Charlie enchaîné

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Cavanna et le tabou Siné

mercredi 4 mars 2009

Suite du feuilleton Siné et de l’inévitable débat interne qui agite la rédaction de Charlie Hebdo depuis le départ du dessinateur. Cette semaine (4/3), Cavanna réagit à la récente relaxe de Siné [1] après l’examen de la plainte de la Licra. Voici ce qu’écrit le fondateur de Charlie Hebdo sous sa chronique hebdomadaire, dans un texte intitulé « Le sujet délicat (ô combien !) ».

Je n’admets aucun tabou. Or, il y a ici même un tabou. C’est le nom « Siné ». On en arrive à ceci que prononcer le nom, c’est passer à l’ennemi [2]. D’où conjuration du silence, voix feutrées, mal à l’aise.

Il se trouve que Siné vient d’être blanchi par un tribunal d’une accusation d’antisémitisme et d’incitation à la haine raciale portée par la LICRA. Le tribunal a été jusqu’à stigmatiser ceux qui brandissent à tout propos la « haine raciale » et à soutenir les droits de la caricature, déplorant une soumission générale au « politiquement correct ».

J’estime que nous devrions nous réjouir de voir un confrère de notre bord échapper à un genre de censure qui porte la presse à l’hypocrisie. On a tellement peur d’être assimilés à des nostalgiques des temps maudits qu’on s’autocensure en permanence et qu’il y a des choses « dont on ne doit pas parler », par respect, ou plutôt par trouille.

Il semblerait, à l’audition de ce jugement, qu’un certain dégel soulève — timidement ! — ce que j’oserai appeler « le tabou d’Auschwitz ».

Je sais. Les hurlements, je les entends déjà. Me voilà assimilé à Faurisson, à l’autre barbu dont j’ai oublié le nom... J’en prend le risque, en espérant qu’il se trouve des lecteurs pas trop cons pour rectifier le tir.

Je suis heureux que Siné échappe à la condamnation, je le dis, je serais encore plus heureux si son journal ne cultivait pas la haine personnelle contre Charlie Hebdo comme un fonds de commerce.

Cavanna voudrait bien, en quelque sorte, enterrer la hache de guerre.

Charlie enchaîné

Ajout du 5/3 (1). François Forcadell, sur le blog Fait d’images, revient aujourd’hui sur cet article de Cavanna. Visiblement au courant de ce qui se trame dans les locaux de Charlie Hebdo, il nous apprend que « la relaxe [de] Siné n’a pas été abordée lors du dernier comité de rédaction ». F. Forcadell explique que depuis le licenciement de Siné « beaucoup de choses n’ont pas été dites ouvertement, et ces non-dits créent depuis un véritable malaise dans l’équipe. » Enfin, il estime que « ce n’est pas le journal qui est visé par les diverses polémiques, mais bel et bien son directeur et propriétaire », Philippe Val, « aujourd’hui plus préoccupé par sa carrière médiatique que par “son” journal », selon lui.

Ajout du 5/3 (2). Dans le même numéro de Charlie Hebdo, Philippe Val consacre son éditorial au négationnisme (« Quatre vérités contre le négationnisme »), avec ce qu’on pourrait comprendre comme une allusion voilée au jugement rendu par le tribunal de Lyon. « L’air du temps pue, comme il n’a jamais pué depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. On se penche avec bienveillance sur un passé qui ne mérite aucune bienveillance. On tolère des propos qui réveillent les racismes les plus liberticides au nom d’une liberté d’expression qui n’a pour projet que de miner les lois qui garantissent les libertés. On tend à confondre le droit légitime au débat et à la polémique et le droit à l’incitation à la haine [3]. Avec une fausse innocence, on feint de confondre l’insulte aux personnes avec la critique des idées. » Comme Cavanna, le directeur de Charlie Hebdo parle de tabous. « Jamais ceux qui dénoncent le phénomène [du négationnisme], comme nous le dénonçons ici, n’ont fait l’objet d’une telle haine. La mode est à la levée des tabous, sauf que, ce qui redevient tabou, c’est de dénoncer la levée des tabous... On se fait traiter de culs pincés et de censeurs en feignant d’ignorer qu’il y a un gouffre entre s’en prendre aux personnes pour ce qu’elles font — ce qui est nécessaire en démocratie — et s’en prendre pour ce qu’elles sont [4] — ce qui est à la base du fascisme, qu’il parte de la gauche ou de la droite. » « Tabou », « ici », « censure », les mêmes mots que Cavanna, mais pour exprimer une autre opinion.

Ajout du 7/3. Le site Caricatures et caricature, dans son commentaire hebdomadaire visant à comparer les unes de Charlie Hebdo et Siné Hebdo, fait référence au papier de Cavanna tout en confortant la thèse du chroniqueur quant à la « haine personnelle » que cultiveraient Siné et de son équipe à l’égard de son ancien journal. Extrait. « Dès le début, Siné Hebdo s’est illustré par une forte propension au nombrilisme, au martyrologue et à la haine contre son concurrent, comme le déplore d’ailleurs cette semaine Canava qui se réjouit néanmoins de la relaxe de Siné. Plutôt que de tirer un trait (pour un dessinateur…) sur le différent profond qui l’oppose à Charlie Hebdo et surtout Philippe Val, le patron de Siné Hebdo utilise la ”une” de son journal pour alimenter le clivage, se montrer provocateur et exacerber la polémique. » À lire, le match du 4 mars.

Notes

[1] Lui-même débouté de sa plainte pour diffamation contre Claude Askolovitch, auquel Siné Hebdo demande néanmoins des excuses pour les victimes d’antisémitisme.

[2] Nous relevions notamment, la semaine passée, le départ d’Emmanuelle Veil pour Siné Hebdo (note de Charlie enchaîné).

[3] Siné a été lavé de l’accusation... d’incitation à la haine raciale. En outre, le juge a estimé que les propos du dessinateur « participaient au débat d’idées » (note de Charlie enchaîné).

[4] Siné, dans sa zone du 2 juillet 2008, s’en prenait à Jean Sarkozy à cause de son opportunisme, donc pour ce qu’il « fait ». Ce que lui reprochait Philippe Val, c’est l’emploi selon lui ambigu du qualificatif « juive » à propos de sa fiancée « héritière des fondateurs de Darty », donc ce qu’elle « est ». Mais l’attaque de Siné visait seulement le fils du président de la République, pas sa fiancée (note de Charlie enchaîné).


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