Voici la réaction de Cavanna (Charlie Hebdo, 21/1) suite à la colonne de Cabu — reproduite plus bas en annexe — dans le numéro précédent (lire, ici-même, « Le malaise Choron »). Ni Philippe Val, ni Jean-Baptiste Thoret ne sont cités par le fondateur du journal qui, dans cette chronique, préfère se focaliser sur le dessin de Cabu, qui « démolit Choron », pour rappeler au dessinateur que, selon lui, « sans Choron, ce que nous avons fait ne l’aurait pas été. » Le tout écrit sans animosité.
Il y a :À ma droite, un film : Choron dernière. C’est lui1 !
À ma gauche, un dessinateur : Cabu. C’est l’autre !
Entre les deux, le corps du débat : Choron.
Le film encense Choron. Cabu démolit Choron. Je vais essayer de faire le point. Que ceux qui aient absolument besoin d’une idole fasse de Choron cette idole, pourquoi pas ? Choron a toutes les caractéristiques de l’antihéros spectaculaire, personnage qu’il soignait lui-même avec efficacité. Les exemples cités par Cabu pour démolir cette image ne font que la renforcer, rendre le « soldat perdu », cabochard, ivrogne, roublard et incitateur de banquiers à la noyade d’autant plus sympathique aux gogos. Une espèce d’Astérix mâtiné de Che Guevara et de Pieds-Nickelés. Notons au passage que l’existence même du film et du débat montre que Choron, en ce domaine du moins a réussi son coup, fût-ce de façon posthume.
Si Choron n’avait été que cela... Mais Choron était aussi bien autre chose. Une intelligence — non, pas « fulgurante », mais fort vive —, un esprit déroutant, alerte, s’adaptant très vite, d’une audace saisissante, d’une agilité souvent imprévisible. Surtout, Cabu, souviens-toi que, sans Choron, ce que nous avons fait ne l’aurait pas été. Si nous ne nous étions pas rencontrés, Choron et moi, s’il n’avait pas partagé avec enthousiasme l’idée saugrenue de créer un journal d’humour absolu et sans concession, s’il n’était pas entré dans le rêve et n’y avait pas consacré, sans mégoter, lui qui était aussi fauché, aussi purotin que moi-même, son talent de maître-colporteur à faire jaillir le fric d’entre les pavés, il n’y aurait pas eu d’aventure Hara-Kiri, ni, conséquemment, de Charlie Hebdo.
La vérité est que ceux qui, aujourd’hui, divinisent Choron ne le font que pour mieux démolir ce qu’est Charlie Hebdo aujourd’hui. Mais là, nous pénétrons sur le terrain pourri et semé d’embûches des desseins de comploteurs aux intérêts obscurs. J’aurais aimé que tu évoques cela, plutôt que de t’acharner sur la personne de Choron, qui, en l’occurrence, n’est qu’un leurre.
Ça m’amuserait que le pape en fasse un saint.
1. Est-ce que ça se dit toujours ? Au temps où je boxais, quand l’arbitre présentait le premier boxeur, le public hurlait : « C’est lui ! », pour le challenger : « C’est l’autre ! » Je ne boxe plus depuis fort longtemps et ne fréquente pas les salles de boxe. Peut-être cette coutume n’est-elle plus en usage ? Dans ce cas, dommage. Et pardonnez-moi l’allusion perdue.
Charlie enchaîné
Voir en ligne : Le malaise Choron