Charlie enchaîné

Une revue de presse de Charlie Hebdo et du Canard enchaîné.
Et un peu plus.

Accueil du site > Charlie Bazar > Antonio Fischetti : « Je voulais faire de la science avec une dimension (...)

Interview

Antonio Fischetti : « Je voulais faire de la science avec une dimension beaucoup plus politique et sociale »

mardi 31 mai 2011, par Charlie enchaîné, Jeddo

Charlie enchaîné a rencontré le journaliste scientifique de Charlie Hebdo le 1er mai dernier à Arras (Pas-de-Calais) à l’occasion du 10e salon du livre d’expression populaire et de la critique sociale, où il venait dédicacer son dernier livre intitulé L’empire des sciences (éd. Les échappés), qui regroupe un ensemble de brèves publiées dans l’hebdomadaire satirique. Antonio Fischetti nous a accordé un long entretien, dans lequel il nous parle de son parcours, de son travail de journaliste scientifique à Charlie Hebdo et en dehors, de l’affaire Siné, de son rapport obsessionnel au sexe ou encore des procès qui le concernent de près ou de loin. Ambiance détendue et tutoiement de rigueur.

« Je ne pensais pas du tout venir dans le journalisme à plein temps »

Charlie enchaîné. Quand es-tu rentré à Charlie Hebdo ?

Antonio Fischetti. Ma première pige, c’était en 1997. Mais je n’ai pas été embauché tout de suite. Pendant à peu près six mois je faisais des piges régulièrement. Puis après j’ai travaillé à mi-temps pendant encore six mois. J’ai vraiment été embauché à plein temps à partir de 1998.

PNG - 156.1 ko
Antonio Fischetti
Photo : Charlie enchaîné

Le journal avait-il un besoin particulier ?

Oui et non. J’étais à Sciences et Avenir, une revue de vulgarisation scientifique, et je lisais Charlie Hebdo. Il y avait une rubrique de science tenue par différentes personnes, dont Guillaume Lecointre. A priori, le sujet était déjà traité. Mais, en tant que lecteur et journaliste scientifique, j’avais un regard sur cette rubrique, je pensais qu’on pouvait faire de la science dans Charlie avec une dimension beaucoup plus politique et sociale. Donc j’ai écrit pour proposer mes services.

Ça n’a pas été rapide. D’abord, j’ai appelé. On m’a demandé d’écrire, ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de réponse, alors j’ai rappelé plusieurs fois… Mais c’est souvent comme ça dans les journaux. Il faut insister un peu. Je tombais sur des personnes qui me disaient : « Si on ne vous a pas répondu, c’est qu’on n’a pas besoin. » Mais moi je voulais que ce soit Philippe Val qui me le dise, et pas quelqu’un d’autre, parce que c’était lui le décideur.

Au bout de deux mois, je finis par tomber sur Val, qui me dit : « Passe à la prochaine réunion puis propose des papiers. Après, on voit si ça nous plaît ou pas. » C’est comme ça que ça s’est fait. J’ai commencé à passer un papier, puis d’autres régulièrement. Ça leur a plu. Petit à petit, j’ai progressivement quitté Sciences et Avenir pour venir à Charlie.

Tu es docteur en acoustique. Comment es-tu venu au journalisme scientifique ?

Au départ, j’avais un parcours universitaire classique, c’est-à-dire maîtrise, DEA et doctorat. Après, j’ai fait de l’enseignement et de la recherche pendant 12-13 ans. J’étais dans un circuit qui, normalement, ne mène pas au journalisme.

Cela dit, j’ai toujours été intéressé par le journalisme, un peu comme d’autres font du karaté ou de la musique. Quand j’étais en fac, j’avais monté une revue étudiante, qu’on vendait à la sortie du restaurant universitaire. Pendant les vacances, j’avais écrit gratuitement deux ou trois articles dans un journal, à Nantes, La Tribune de Loire Atlantique. Avant de travailler à Sciences et Avenir, j’y écrivais des articles environ tous les six mois, mais pas nécessairement sur l’acoustique.

J’ai laissé un peu tombé parce que je travaillais à plein temps comme enseignant-chercheur au Conservatoire national des arts et métiers puis dans différentes écoles de cinéma. Après, c’est un peu un concours de circonstances. À l’époque, j’avais un poste d’assistant, qui n’était pas un poste de maître de conférences. C’était limité à quatre ans. J’ai été au chômage parce qu’il n’y a pas eu de concours tout de suite. Et c’est là que, par hasard, Sciences et Avenir m’a rappelé. J’ai écrit plusieurs papiers avant d’être embauché.

Au départ, je ne pensais pas du tout venir dans le journalisme à plein temps. Je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Plein de choses m’intéressaient. C’est une passion d’avant, que j’avais laissée de côté, qui m’a rattrapée sans le vouloir. Après, je n’ai fait que ça et je ne l’ai jamais regretté.

« Des fois, je passe une journée entière et je ne trouve rien qui m’intéresse »

Comment fabriques-tu la rubrique « L’empire des sciences » ?

C’est une sorte de revue de presse de l’actualité scientifique. La matière, c’est la publication scientifique. Je mets toujours le laboratoire et le nom. Ça j’y tiens. C’est pour valider tout ce dont je parle. Je cherche des sujets qui me permettent d’avoir une dimension politique, sociale, qui me permettent de raconter quelque chose. En général, il y a la publication, puis il y a une conclusion, un commentaire. Et ça, ce n’est pas forcément évident.

Encore faut-il savoir où chercher pour trouver les idées. Avec Internet, il est possible de tout faire de chez soi. Je cherche sur les sites d’actualité scientifique, dans les banques de données scientifiques, dans les revues scientifiques… Je passe aussi des coups de fil. Ça prend du temps quand même. Je ne vais pas juste sur un site pour avoir les infos. Des fois, je passe une journée entière et je ne trouve rien qui m’intéresse.

Il peut aussi y avoir des choses de l’actualité générale dans « L’empire des sciences ». C’est être tous azimuts. Quand je fais un article sur le respirianisme — les gens qui disent qu’ils ne mangent pas —, ce n’est pas nécessairement dans une publication scientifique. C’est parce qu’il y a un film sur le sujet qui sort, et que c’est relaté dans l’actualité. On en parle comme s’il y avait une étude scientifique. Mais où est cette étude ? Je n’ai rien trouvé. Mais ce n’est quand même pas une rubrique d’investigation. Ça reste globalement une revue de presse, mais avec une dimension personnelle.

Peux-tu citer quelques sources ?

Ce sont des sources ouvertes. Par exemple des sites de seconde main qui eux-mêmes reprennent l’actualité scientifique, comme celui de Sciences et Avenir en France. Mais ça ne suffit pas. Les sites anglophones, ABC science ou ScienceDaily par exemple, sont plus nourris. Je vais aussi sur Science Direct, qui est destiné aux chercheurs, ou MedLine, une banque de données en médecine. Il faut parfois avoir des codes d’accès…

L’outil Internet permet de chercher mais quand on dit Internet, c’est à double tranchant. Il y a tout et n’importe quoi. Il faut savoir faire le tri. Qu’est-ce qui est sérieux, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Les revues scientifiques avec comité de lecture, qui ont pignon sur rue, en général c’est attesté comme sérieux.

Quand j’ai commencé, en 1998, il n’y avait pas tout ça. J’allais dans les bibliothèques universitaires. Je passais deux jours pour faire ce que je fais maintenant de chez moi, sans quitter mon bureau. C’est beaucoup plus pratique.

L'empire des sciences Pourquoi choisir de traiter tel ou tel sujet ?

Parce que ça m’interpelle. Que j’y vois, comme je l’ai dit, une répercussion sociale, politique, ou philosophique. Des fois c’est juste parce que ça me fait marrer. Mais si je n’ai rien à dire dessus, je n’en parle pas. Il faut que ça suscite un commentaire de ma part. C’est ça le critère. Je pense que c’est ce qui fait la plus-value de cette rubrique par rapport à ce qu’on peut trouver dans les autres journaux de sciences, où on relate simplement l’information. Encore faut-il avoir quelque chose à dire. Je reconnais que mes commentaires pourraient sembler un peu tirés par les cheveux, mais je les assume totalement. Je m’amuse tout en étant sérieux.

« À Charlie Hebdo, on peut avoir un parti pris plus politique »

Est-ce que la satire est un bon moyen de traiter la science ?

Ça dépend ce qu’on entend par satire. Moi, je m’inscris dans la démarche scientifique. Je pense que c’est un facteur de progrès. Avec une satire de la science, on pourrait aussi avoir un regard différent, antiscientifique. Ce n’est pas du tout ce cadre-là.

Maintenant, la satire est bonne dans tous les domaines. Il n’y a pas de raison que la science y échappe. Le comportement de la communauté scientifique — où l’idéologie existe aussi puisque les conclusions scientifiques permettent de dire des choses sur la société ou de faire des choix — peut être traité par le biais de la satire.

Je ne suis pas un dessinateur, ni un satiriste. Ce n’est pas comme ça que je me définirais. C’est plus du journalisme personnalisé ou du journalisme d’auteur que je fais. Je peux être critique ou non, en tout cas je donne mon avis. Dans les autres journaux c’est beaucoup plus rare. Je ne pourrais pas faire ça dans une revue de vulgarisation scientifique.

Tu te sens plus à l’aise dans la façon d’écrire pour Charlie

Oui. C’est pour ça que j’ai quitté Sciences et Avenir pour Charlie Hebdo. J’avais envie d’avoir une dimension plus politique. Des revues comme Sciences et Avenir, Science et Vie, ou d’autres, permettent d’être plus fouillé, de rentrer plus dans les détails. Mais il y a quand même une prudence de ton, sur le plan politique notamment.

Est-ce une question d’indépendance ?

Tout à fait. En même temps, sur certains domaines, les revues de vulgarisation peuvent être très engagées. Peut-être pas sur tous les sujets. Il y a la pub sans doute, mais il n’y a pas que ça qui bride l’expression. Il y aussi une certaine image qu’on se fait du lecteur. On ne veut pas le froisser, parce qu’on se dit qu’on va être lu par des familles. Il ne faut pas employer tel ou tel mot, adopter tel engagement politique. Par exemple, on peut être critique sur le nucléaire, mais comme on peut vendre aussi bien à gauche qu’à droite, on ne va pas prendre violemment le parti de la gauche. À Charlie Hebdo, on peut avoir un parti pris plus politique, ou anticlérical.

« Je ne sais pas si je suis écolo »

Comment se passe la cohabitation avec Fabrice Nicolino ?

Ça ne me pose strictement aucun problème. Il fait plus les trucs écolos, lui. Moi, je ne suis pas spécialement dans ce créneau. De temps en temps, il m’arrivait de parler de choses un peu écologiques. Et même maintenant, je peux le faire si j’en ai envie. Mais c’est moins ma tasse de thé. Donc ça tombe très bien puisqu’il traite de tout un tas de choses que je n’ai pas spécialement envie de traiter. En plus, je ne sais pas si je suis écolo (rires).

JPEG - 8.7 ko
A. Fischetti croqué par Cabu

Il existe un certain pluralisme de l’expression sur ce thème de l’écologie à Charlie Hebdo avec Oncle Bernard, Cavanna, Nicolino…

En effet, on peut ne pas être d’accord. Mais c’est bien. Je peux exprimer des positions qui ne sont pas les mêmes que celles d’Oncle Bernard ou Cavanna. Il n’y a pas de soucis. Si on est en réunion, on peut s’engueuler. Mais ça ne va jamais chercher très loin. Sur ce terrain-là, il n’y a pas de grosses engueulades. C’est une cohabitation fraternelle.

Avec Bernard Maris [Oncle Bernard], on a discuté plusieurs fois, on n’était pas d’accord. Avec Cavanna, encore plus de fois. Le dernier gros papier que j’ai écrit sur les femmes dans l’histoire de France, il n’était pas d’accord avec l’idée de traiter l’histoire comme ça. Je n’ai jamais eu directement de confrontation avec Nicolino, parce qu’il ne vient pas tellement en réunion. J’y viens moins aussi parce que je suis à mi-temps maintenant, je ne fais quasiment plus que la rubrique science.

Quelle est ton opinion sur la décroissance ?

J’ai beaucoup d’affection pour les gens qui militent dans ces mouvements. Mais je n’irai pas plus loin qu’une sorte de bienveillance et d’affection. Parce que politiquement, mon angle c’est plutôt de dire, entre la croissance vantée par la mondialisation, le capitalisme, etc., et la décroissance prônée par ces mouvements-là, je pense qu’il peut y avoir un confort accessible à tout le monde qu’on peut obtenir par la lutte politique.

Sur la voiture, par exemple, les adeptes de la décroissance diraient, en schématisant un peu, qu’on n’en a pas besoin, qu’on va tout faire à vélo. Les adeptes de la croissance à tout crin diraient qu’il faut quatre voitures par foyer. Je ne suis pas contre la voiture. C’est bien si on veut voyager. Je n’ai pas forcément envie de faire le tour du monde à vélo. Je reviens d’Amérique du Sud, j’y suis allé en avion. Ce serait donc illogique si je disais « Vive la décroissance ! » Je serais pour une croissance raisonnée, contrôlée, au profit du plus grand nombre, plutôt qu’une décroissance pour la décroissance. La solution, c’est une meilleure répartition des richesses.

Ce qui me gène un peu dans le discours des militants de la décroissance, c’est une sorte de culpabilisation du citoyen de base, du prolo. On a l’impression que c’est le citoyen lambda qui gaspille parce qu’il utilise sa bagnole. Les plus grands gaspilleurs ce sont quand même les entreprises, les grands groupes, etc. C’est pour ça que, malgré l’intérêt, l’affection, la bienveillance que je porte à ce mouvement, je ne suis pas complètement d’accord sur plein de choses. Mais ça dépend aussi de qui on parle. Il y a une frange un peu radicale à laquelle je ne peux pas adhérer, et d’autres avec lesquels je suis complètement d’accord. On n’est pas obligé de consommer à outrance. Le bonheur n’est pas dans la consommation. Il faut évidemment le dire et le répéter. On l’a dit en 1968.


Commenter cet article





Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette