Tribune
mardi 2 février 2010, par Charlie enchaîné,
Denis
mise à jour : mercredi 10 février 2010
Je suis navré de voir que Charlie enchaîné participe à la curée contre Philippe Val. Contrairement à l’opinion qui semble prévaloir un peu partout, j’estime qu’il n’y a eu aucune trahison de la part de l’ancien patron de Charlie. Il ne s’est jamais montré tiède dans sa critique du pouvoir actuel, et je n’arrive pas à croire qu’il soit le salopard et le vendu que tout le monde se plaît à décrire. Moi, je l’aime bien, Val.
Mais je ne veux pas faire de lui un saint. Peut-être est-il cassant, autoritaire, et peut-être aussi me décevrait-il sur le plan humain si j’étais amené à le rencontrer. Mais je m’en tiens à ses écrits et, contrairement à certains alters puérils et inconséquents, je ne vois aucune trace de pensée réactionnaire dans ses propos. J’aime les gens capables de bouleverser les idées reçues qui prévalent jusque dans leur propre camp.
Je ne vois pas non plus en quoi il aurait détourné l’esprit Charlie. Il a, me semble-t-il, fait preuve d’une exigence morale qui n’est nullement incompatible avec l’esprit voyou et iconoclaste voulu par Cavanna, et je regrette que ce dernier — que je vénère par ailleurs — n’ait pas apporté à Val un soutien plus significatif.
Cessons aussi d’idéaliser l’époque bénie de Choron : l’humour surréaliste du professeur m’a parfois fait rigoler, même si ce n’était pas toujours très fin, mais il n’était pas non plus à l’abri de tout reproche : on frôlait parfois l’anarchisme de droite. Cavanna n’a d’ailleurs pas toujours considéré le chauve comme son frère et, en certaines circonstances, il lui est même arrivé de le traiter de fripouille.
C’est pourquoi je trouve étonnante la nostalgie de l’auteur des Ritals lorsqu’il évoque le bon temps où Charlie était un journal de voyous rabelaisiens. Je me souviens de son visage déconfit, sur le plateau de Droit de réponse, lorsque Choron et Siné offraient de Charlie l’image la plus déplorable qui soit. De même, je comprends mal qu’il se soit réjoui bruyamment du départ de Val — « Vive la liberté ! » — après avoir affirmé qu’il n’avait pas démérité.
Par ailleurs, je me suis réjoui du licenciement de Siné, que j’ai toujours considéré comme un exécrable dessinateur et un déplorable polémiste : aucun humour, aucun esprit, et une propension à radoter éternellement ses vieilles haines recuites.
Denis
Réponse de Charlie enchaîné. Philippe Val a été — est encore ! — l’objet de nombreuses critiques lorsqu’il était encore directeur de la rédaction de Charlie Hebdo. Charlie enchaîné, qui s’intéresse à tout ce qui tourne un tant soit peu autour de ce journal, s’y est intéressé et a donc rapporté quelques unes de ces critiques, dont certaines évoquent effectivement une trahison ou un renoncement de Val aux idées qu’ils défendaient naguère. Mais ce n’est pas parce que nous avons rapporté ces critiques que nous y souscrivons nécessairement. D’ailleurs, nous avons apporté un certain nombre d’éléments à décharge de Philippe Val (et de Caroline Fourest, également vivement critiquée), en particulier dans les commentaires de nos articles (ici et là). Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas vocation à être partie prenante de la petite meute qui s’en prend régulièrement à l’actuel directeur de France Inter, ni à en être des défenseurs inconditionnels.
Le problème de P. Val — pour résumer grossièrement — est que sa proximité avec le pouvoir le rend nécessairement suspect. Aux yeux des « alters puérils » que vous dénoncez, cela ne fait que confirmer la trajectoire opportuniste empruntée par Philippe Val — et il est difficile de leur donner tort sur ce point. Néanmoins, Val doit être jugé sur ses écrits et sur ses actes et non sur les intentions qu’on veut bien lui prêter (Stéphane Guillon, Didier Porte et Daniel Mermet sont encore à l’antenne d’Inter…). Si l’on se plonge là-dedans, effectivement, le propos se doit d’être nuancé. Et cela est difficile à concevoir pour beaucoup de monde. Même pour Val qui, généralement, faisait preuve d’une certaine pondération dans ses éditos, mais qui s’est parfois adonné à des réactions à l’emporte-pièce sur certains sujets (deux exemples : Internet et la critique de médias) qui lui ont attiré des élans d’antipathie de la part des personnes visées.
Au final — c’est notre interprétation — on aboutit à des querelles de personnes et d’égos, des postures, et des débats de forme plutôt que de fond. Un cas typique est l’« affaire Siné » et ses outrances de part et d’autre. Du grand n’importe quoi…
Réponse de Denis (ajout du 10/2). Merci pour votre réponse, qui me semble équilibrée. Cela dit, même l’opportunisme supposé de Val et sa prétendue proximité avec le pouvoir ne me convainquent pas.
Faire évoluer son point de vue en le nuançant n’est pas, à mon avis, une preuve d’opportunisme, et je ne vois pas ce qu’il y a d’admirable à radoter, lorsque l’on prend de l’âge, les slogans que simplistes que l’on braillait lorsque l’on avait vingt ans (est-il besoin de préciser que je pense inévitablement à Siné en faisant cette remarque ?). Les slogans n’ont jamais fait avancer quoi que ce soit. J’aime les positions intransigeantes lorsqu’elles visent juste et qu’elles sont argumentées.
Cela ne m’intéresse pas, lorsque j’achète un journal, de lire chaque semaine « Mon plus grand bonheur est de voir de la cervelle de flic éclatée », comme l’a fait Siné dans une ancienne chronique (la citation n’est peut être pas reproduite mot pour mot, mais c’était l’idée exprimée, et à peu près en ces termes).
Enfin, je ne pense pas que Val tape régulièrement sur le ventre de Sarko pour la seule raison qu’il est ami avec Carla Bruni. Et si le fait d’exercer une fonction publique sous un gouvernement que l’on combat est une preuve de trahison, alors il faut faire fusiller tous les fonctionnaires !