Lutte sociale
dimanche 5 octobre 2008, par Charlie enchaîné,
Jeddo
mise à jour : lundi 2 août 2010
Remarquez, il vaut peut-être mieux que le quidam ne s’aperçoive pas du genre de la grève dont il est question — grève qui, de fait, est passée relativement inaperçue. Après avoir d’abord constaté la baisse du pouvoir d’achat, voilà que la récession s’installe dans notre beau pays. Il paraît même qu’en cette période de crise économique de portée mondiale, certains Français renoncent à se soigner [2]. Fichu automne !
Pour les chirurgiens exerçant une fois par semaine à titre privé — ils préfèrent le terme « libéral » — dans les hôpitaux publics, la période est également morose. Ils sortent d’une grève qui aura duré trois mois, le temps d’un été, et qui aura coûté la bagatelle de 200 millions d’euros à l’AP-HP, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. Rassurons-nous, cela n’aura pas occasionné de pertes à nos courageux grévistes. Mais ils y auront quand même laisser quelques plumes à cause de leur excès de zèle.
Revenons aux origines de ce dossier suivi de près par Le Canard enchaîné, qui y a consacré quelque trois articles (les 30 juillet, « 300 chirurgiens gavés mais fâchés », 13 août, « Des hôpitaux victimes de frappes chirurgicales », et 17 septembre 2008, « Les chirurgiens font bloc contre Bachelot », tous signés Jérôme Canard), et par Charlie Hebdo, par l’intermédiaire de son chroniqueur Patrick Pelloux, qui titrait sobrement, le 20 août dernier, « Les conducteurs de Porsche en grève ».
À l’origine, donc, il y a cette redevance de 2,25% sur l’activité des médecins exerçant à titre libéral dans les locaux de l’Assistance publique. Les deux journaux citent le même exemple [3] : pour un acte facturé 200 euros au patient, le chirurgien doit reverser 5,50 euros à l’hôpital. Une misère ? Vous n’y êtes pas ! « C’était encore trop », écrit Le Canard (30/7), qui ajoute que des médecins « avaient saisi le Conseil d’État pour contester une nomenclature qui rognait très légèrement leurs bénéfices. »
C’est à partir de là que les choses se sont gâtées. Parce que le Conseil d’État n’a pas été sensible aux arguments de ces pauvres toubibs. En effet, « les juges (...) se sont étonnés du faible niveau des redevances. Et ils ont sommé le gouvernement de réviser les tarifs... à la hausse. » Résultat, la ministre chargée de la Santé Roselyne Bachelot a eu, selon le terme employé par Patrick Pelloux, le « courage » de signer, le 15 mai dernier, un décret [4] qui stipule que les « praticiens qui exercent une activité libérale » au sein d’un établissement public « doivent verser à l’hôpital une redevance (...) pouvant atteindre 40% des honoraires » perçus au titre de cette activité (Le Canard du 13/8).
Les médecins concernés ont immédiatement dégainé leur calculette : dans un préavis de grève émis le 23 mai par le trop méconnu SNDELMH, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, on peut lire que — vous êtes priés de sortir vos mouchoirs — « il en découle, pour les praticiens, une augmentation de 500 à 1500% (souligné dans le texte) du montant de la redevance payée à l’hôpital. » Effectivement, de 2,25 à 40%, la redevance est multipliée par 17,78 très précisément. Le reste de cette pétition est à déguster lentement.
Aucune modification des prestations fournies ne justifie cette majoration. Ce décret aboutit donc à une confiscation pure et simple du fruit de mon travail et de ma réputation.[...]
En conséquence, je demande l’abrogation immédiate du décret 2008-464 du 15 mai 2008.
Faute de quoi, (...) j’entamerai une grève totale, immédiate et illimitée de toutes mes activités administratives comportant notamment :
— la codification des actes (T2A), source exclusive de financement de l’hôpital
— la participation à des réunions administratives et autres.[...]
Ces menaces ont été mises à exécution par près de 300 chirurgiens (le double selon les organisateurs). « En clair, traduit Le Canard enchaîné (30/7), quand ils opèrent sous la casquette du service public, ils refusent de transmettre à l’administration le détail des opérations effectuées ». Conséquence, « l’hôpital ne peut plus rien se faire régler par la Sécurité Sociale ». C’est pourquoi, magnanime, le ministère de la Santé a décidé de revoir à la baisse ses prétentions, en proposant de fixer le seuil à 30% au lieu de 40. Il faut dire qu’une telle grève des cotations coûte 5 millions d’euros par semaine à l’AP-HP. Il ne fallait donc pas que ça s’éternise.
Mais 30%, ça fait toujours une hausse maximale supérieure à 1000% de la redevance pour les praticiens, qui n’ont pas accepté cette entorse insupportable à leur pouvoir d’achat. Il est vrai que cette activité libérale peut représenter tout de même entre 100 000 et 450 000 euros d’argent de poche annuellement, en sus de leur salaire mensuel de 10 000 euros (brut) en moyenne. « Les professeurs de médecine et de chirurgie qui font des actes privés dans les hôpitaux publics représentent la catégorie la mieux payée des universitaires français », affirme ainsi Patrick Pelloux.
Pour venir à bout des récalcitrants, Roselyne Bachelot a concédé un seuil de 25%. Mais pour cela, révèle Le Canard enchaîné (17/9), il a aussi fallu qu’elle les menace, à son tour, de représailles : si vous continuez, leur a-t-elle écrit en substance, vous risquez le « non-renouvellement du titre de chef de service », ou encore la « fin de l’autorisation d’avoir une clientèle privée » au sein de l’hôpital public. L’argument, semble-t-il, a porté. Mais seulement à titre provisoire, nous avertit Le Canard [5].
Qu’attend donc l’opinion publique pour soutenir un mouvement social qui a le mérite, pour une fois, de ne pas perturber les-gens-qui-se-lèvent-tôt-pour-aller-travailler et de ne pas provoquer d’épidémie d’usagers-en-colère ? Que l’information sorte au JT de Jean-Pierre Pernaut ?
[1] Citation extraite du discours tenu devant le Conseil national de l’UMP par Nicolas Sarkozy le 5 juillet 2008.
[2] Selon une étude Ipsos pour le Secours populaire, « 39% des français ont déjà renoncé à un soin ou l’ont retardé en raison de son coût tandis que 30% d’entre eux ont le sentiment de ne pas avoir les moyens financiers pour disposer d’une alimentation saine et équilibrée ». Ils n’ont que le « sentiment » d’être pauvres et mal nourris, ouf !
[3] Il semblerait que le début du papier de Patrick Pelloux ait été fortement inspiré par ce qui figure dans les articles du Canard enchaîné. De ce fait, les citations que nous empruntons ici proviennent essentiellement de l’hebdomadaire satirique. Dans le cas contraire, nous le préciserons, cela va de soi.
[4] Intitulé « Décret n° 2008-464 du 15 mai 2008 relatif à la redevance due à l’hôpital par les praticiens hospitaliers à temps plein exerçant une activité libérale dans les établissements publics de santé ».
[5] À raisons, puisque les grévistes ont remis ça les 2 et 3 octobre dernier (voir aussi sur le site du SNDELMH).
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