Sorti le 2 mars 2005, Le Cauchemar de Darwin est, selon son réalisateur Hubert Sauper, un « documentaire de création ». Jean-Luc Porquet le décrit comme « ce fameux documentaire consacré au commerce de la perche en Tanzanie, autour du lac Victoria ». Charlie Hebdo précise que l’« argument principal » de ce film est le suivant : « les avions arrivent avec des armes sur l’aéroport de Mwanza, au bord du lac Victoria en Tanzanie, et repartent chargés de perches du Nil ».
Ainsi, Le Cauchemar de Darwin dénonce « la catastrophe écologique que représente l’introduction de la perche dans le lac Victoria ; les emplois détruits qui ne contrebalancent pas les emplois créés ; comment les deux tiers de ces perches sont exportées en Europe ; la famine régnant dans la région ; les carcasses que consomment les gens du coin ; le trafic d’armes, etc. », écrit Jean-Luc Porquet. C’est précisément sur ce dernier point que le témoignage d’Antonio Fischetti intervient.
En 2006, « la revue Les Temps modernes publie un article de François Garçon qui met en cause la véracité de certains faits ». Le journaliste de Charlie enquête à Mwanza et « publie un reportage émaillé de critiques à l’encontre du film », remettant notamment en cause la thèse selon laquelle « les avions arriveraient avec des armes et repartiraient avec du poisson ». Fischetti dit partager « la dénonciation de la spoliation de l’Afrique par les pays riches », mais tient avant tout au « respect des faits ».
Depuis, estime Jean-Luc Porquet, « François Garçon (...) s’acharne à démolir ce film, à coup d’articles, d’émissions, interviews (et même un livre entier) ». C’est justement en raison de « propos tenus sur RFI » que Hubert Sauper attaque l’historien du cinéma : celui-ci a qualifié Le Cauchemar de Darwin de « foutaises ». Outre la question du trafic d’armes, le tribunal a débattu, le 18 janvier 2008, de la question des carcasses de poisson destinées ou non aux humains, ainsi que du fait que les enfants des rues auraient été payés pour jouer.
Antonio Fischetti se limite, dans son compte-rendu, au seul trafic d’armes, raison pour laquelle son reportage a été versé au dossier. Le journaliste de Charlie Hebdo affirme « qu’après enquête (...) personne, ni Sauper, ni ses témoins, n’est en mesure d’avancer le moindre élément permettant d’étayer la fameuse équation armes contre poissons qui a fait le succès du film » et qui en est son « fil conducteur » puisque, selon Fischetti, tout (« l’affiche », « le dossier de presse », « le synopsis », « Hubert Sauper ») « le dit » et tout le monde (« les journalistes », « les spectateurs ») a « compris ça ».
Dans Le Canard enchaîné, Jean-Luc Porquet se montre ironique sur l’affirmation de François Garçon qui nie l’existence du trafic d’armes : « la preuve irréfutable en est que Sauper n’en montre aucune image et que lui-même (Garçon, NDR) n’en a pas été témoin lors de son séjour sur place, du coup le trafic ne peut être qu’une vue de l’esprit ». La divergence entre le journaliste du Canard et celui de Charlie concerne précisément cette question. L’argumentation d’Antonio Fischetti n’a, semble-t-il, pas convaincu.
Le journaliste de Charlie Hebdo explique que « Hubert Sauper n’a pu (...) apporter aucun élément » nouveau pour étayer l’existence du trafic d’armes qu’il dénonce. Pourtant, la procureure estime que l’accusation de François Garçon (« il n’y a pas de trafic d’armes à Mwanza ») est diffamatoire. Ce à quoi Antonio Fischetti réplique que « la charge de la preuve incombe à l’auteur de l’affirmation », ce qui est une « règle élémentaire du droit ». De ce fait, « l’évocation d’une vague caisse fermée, aperçue une seule fois à Mwanza » par le réalisateur du film ne suffit pas à démontrer le trafic.
Par ailleurs, le journaliste de Charlie s’interroge sur « la défense de Sauper » basée sur le « documentaire de création » qui, « porté par un point de vue d’auteur », ne serait pas « tenu à la démonstration ». Jean-Luc Porquet écrit, lui, que « ce qu’on accepte pour un livre polémique ou un éditorial (choisir et ordonner les faits, les mettre sous une certaine lumière, accuser le trait), certains le refusent à ce film ». Antonio Fischetti, à nouveau, oppose la « réalité des faits » à la « suggestion » revendiquée par Le Cauchemar de Darwin, ce qu’un intertitre exprime ainsi : « Métaphore de la réalité contre réalité de la métaphore ».
Jugement en délibéré au 22 février 2008.
Liens :
Site officiel du Cauchemar de Darwin (le logo utilisé pour illustrer cet article en provient)
« Le Cauchemar de Darwin : après la polémique, le procès en diffamation » (AFP)
« Le Cauchemar de Darwin rebondit » (Libération)
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