mardi 2 septembre 2008, par Charlie enchaîné
Dans un entretien d’une douzaine de minutes, l’animatrice Elsa Boublil interroge Érik Emptaz (rédacteur en chef au Canard enchaîné), Philippe Val (directeur de Charlie Hebdo) — présenté à tort comme « rédacteur en chef » par l’animateur de la matinale Pierre Weill [3] (il a apparement mélangé les fonctions des invités) — et, donc, Thierry Tinlot (Fluide Glacial). La journaliste précise d’entrée de jeu que le plateau a été enregistré « il y a quelques semaines » [4], soit avant « le malheureux épisode Val-Siné ».
La première question posée aux invités concerne la fonction de ces journaux sans publicité : à quoi servent-ils ? Réponse de Philippe Val : « ça sert de surmoi », c’est-à-dire que les journaux qui dépendent de la pub « savent » que, fatalement, quelque chose qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas dire sortira dans un journal indépendant [5]. À propos d’indépendance, Érik Emptaz confirme que la « vrai et seule indépendance » réside dans le fait de ne pas avoir de publicité : « la vrai pression aujourd’hui, dans les journaux, ce n’est pas Sarko, c’est les annonceurs », affirme-t-il.
Le rédacteur en chef du Canard explique ensuite que la liberté éditoriale permise par l’absence de pression économique de la part des annonceurs permet en fait de « vendre des journaux », prenant l’exemple de son propre hebdomadaire — « largement bénéficiaire », se plaît-il à souligner. Il annonce ainsi un chiffre « qui date du dernier conseil d’administration » du Canard enchaîné : « nos ventes payées sont de 503 000 exemplaires ». Un chiffre que les lecteurs de Charlie enchaîné connaisse bien puisque nous avons eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises dernièrement [6]. Du côté de Charlie, la diffusion est « plus confidentielle », reconnaît Philippe Val, qui donne une fourchette de « 90 [à] 95 000 » numéros payés chaque semaine.
L’intervieweuse demande alors ce qui motive les lecteurs des journaux satiriques. Pour Philippe Val, c’est parce qu’« on a envie d’entendre cette musique-là (...), d’avoir des informations dont on sait qu’elles n’ont été triées qu’à l’aune de leur valeur journalistique », ajoutant confraternellement qu’« on peut faire confiance au Canard enchaîné pour ça ». Érik Emptaz parle quant à lui du « rôle de décryptage » de la presse satirique qui adopte un autre ton pour raconter « l’info à l’eau tiède qu’on lit un petit peu partout ».
Philippe Val.
Source : RTL.fr
On apprend ensuite que l’AFP ne fait pas partie des sources d’information du Canard enchaîné (ni de Charlie Hebdo) — « on n’est pas abonné parce qu’on trouve que c’est trop cher », plaisante le rédac chef. Érik Emptaz confie que parmi les informateurs de l’hebdomadaire satirique, il y a des confrères journalistes dans d’autres rédactions. Et « dans les coulisses du pouvoir ? », demande Elsa Boublil. « Vous savez, quand il y a quatre personnes autour d’une table, généralement il y en a trois qui parlent », suggère-t-il.
En guise de conclusion, Philippe Val se défend de tout angélisme (« On ne fait pas un métier de gentils, (...) on est là pour informer les gens »). Érik Emptaz affine ce qui pourrait être vu comme un aphorisme pour la presse satirique d’information : « on essaye de ne pas être méchant gratuitement, (...) la seule règle au Canard [c’est qu’]on peut écrire ce qu’on veut sur qui on veut à partir du moment où on a des faits et que ces faits sont avérés, c’est-à-dire qu’on a les moyens de prouver que ce qu’on écrit est vrai ».
Voir en ligne : Les irréductibes de la presse sans publicité
[1] Nous nous faisons, ou nous sommes faits, ici l’écho d’autres journaux exempts de publicité (La Décroissance, Le Plan B, CQFD et La Brique) — peut-être trop subversifs (et diffusés à moins grande échelle) pour avoir les honneurs d’un média mainstream tel que France Inter ?
[2] Nous mettrons de côté le cas du mensuel Fluide Glacial, dont le rédacteur en chef Thierry Tinlot reconnaîtra lui-même que la comparaison avec ses deux confrères est difficile, eux étant « dans l’actualité et la satire », lui plutôt « dans la bande dessinée et le divertissement ».
[3] Rappelons que Philippe Val est le directeur (relativement controversé, plus encore depuis l’éviction de Siné) de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo ; le rédacteur en chef de l’hebdo est Gérard Biard.
[4] On apprendra par la suite que c’était le 9 juillet.
[5] Un peu plus tard, il dira qu’une information « un peu difficile à publier » peut sortir dans des journaux comme Le Monde, Le Figaro, ou Libé, du fait qu’autrement cette info se retrouverait dans Le Canard enchaîné.
[6] Voir « Portrait radiophonique du Canard enchaîné » et « Les (bons) comptes du Canard enchaîné ».