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Échec au roi !

mardi 23 mars 2010, par Hadi Taibi

Comme dans une partie d’échecs, on vise le roi, mais c’est la reine qui est la plus convoitée. Le roi doit son pouvoir à sa généalogie ; la reine le doit à son livret de famille. À part cette différence de conception, le couple royal s’installe dans un confort et cumule des facultés de décisions qui tiennent du pouvoir régalien — ce pouvoir qui consiste en la détention extraordinaire et exclusive du droit de vie ou de mort sur ses sujets. Sa Majesté est inatteignable. Ses voies sont impénétrables. La reine est son unique confidente dans leur vie privée. Dans la vie publique, la cour, c’est elle ; Son Altesse Royale cumule les fonctions de détentrice de l’agenda du roi et de son carnet d’adresses, qu’elle garde si jalousement loin des curiosités. Mais sa réelle influence, elle la tire de la liberté de ses mouvements à travers le territoire, que même son mari de roi n’ait pu s’octroyer. Elle fait toujours en sorte qu’avant de pouvoir accéder chez le roi, on passe par son harem, où elle se charge du tri des heureux élus à la rencontre de Sa Majesté.

Comme dans une partie d’échecs, Sa Majesté le roi se fait accompagné par Son Altesse Royale pour la photo de famille ; cette règle protocolaire coutumière, ils l’observent avant l’entame de chacune de leurs activités souveraines. Le couple prend place au milieu de la galerie. Sa garde rapprochée est assurée par une paire de fous furieux, positionnés de part et d’autre des deux extrémités. Juste après, les cavaliers prennent place, en jalonnement bien ordonné. Dans un parfait alignement, tout ce beau monde se met à l’abri, sous des tours aux fortifications solidement érigées. Plus personne n’est sensé avoir accès. À partir de là, tout se jouera dans le secret absolu.

« La mort du roi entraîne la fin de la partie »

Comme dans une partie d’échecs, les pions sont placés en première ligne. En nombre, ils égalent toutes les autres pièces rassemblées. En cas de conflit, ce sont eux qui subiront les affres des tirs ennemis. Ils sont les premiers à se déplacer et le rôle d’ouvrir des brèches dans les positions adverses leur échoit. Malgré cela, on n’hésite pas à en sacrifier autant qu’il le faudra, juste pour sauver un fou zélé ou un cavalier isolé, qui se seraient imprudemment éloignés de leur champ d’activité. Si l’une des tours de fortification se trouve menacée, on propose carrément son échange, contre de malheureux pions, sans s’emballer de contingences. Avec les pions, on ne fait pas dans le détail, on agi comme si c’était du bétail. Dès qu’il y a une guerre, les pions payent de leur vie les erreurs de stratégie, les fautes de manœuvre et les délires des mentors qui auraient mal apprécié le danger.

Comme dans une partie d’échecs, les stratèges ne sont pas dans l’échiquier. Aux autres, ils font subir tous les périls, supporter tous les frais et endurer toutes les conséquences. Et comme la mort du roi entraîne la fin de la partie, les machines pensantes des tactiques infinies sont immédiatement réactivées. D’autres hostilités seront au programme. Les risques sont perpétuellement renouvelés, les revers restent inchangés.

La mécanique infernale de l’arbitraire est apparemment bien huilée : l’échec est au roi, le mat est pour les sujets.

P.-S.

Photo © Adam UXB Smith

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