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Femmes décalées

Les petites fourmis

mardi 20 novembre 2007, par Brizann

Il n’y a pas que les fonctionnaires des transports publics qui ont des conditions de travail pénibles... que dire des femmes "gagne-misère" ?

Actuellement j’entends beaucoup les hommes travaillant dans les transports publics se plaindre des horaires décalés, du travail de nuit, de la pénibilité de leur emploi et des astreintes ce qui justifie une retraite précoce.

Moi, je voudrais parler de toutes ces femmes qui travaillent dans des maisons de retraites privées et qui ne sont pas fonctionnaires. Ces femmes, infirmières, aide soignantes, agent de service et les moins enviables : les agents de remplacement qui pendant des années travaillent en CDD reconductibles au poste d’aide soignante (sans en avoir la paye puisque que n’étant qu’« agent ») ou au ménage ou à la blanchisserie ou à la plonge avec des horaires qui changent d’un jour à l’autre selon le poste à remplacer. Mettant une croix définitivement sur les vacances en famille et ne pouvant rien prévoir car leur planning hebdomadaire change sans cesse, elles n’ont pas le droit de refuser un remplacement de dernière minute sous peine de voir leur CDD ne pas être reconduit. Une disponibilité sans faille et sans compensation financière autre que le petit salaire variable d’un mois à l’autre. Quant aux vacances au soleil... ça relève du mirage !

Toutes ces femmes titularisées ou non, travaillent pour la plupart en journée continue, n’ayant que 20 minutes de pause repas tout en restant à la disposition des résidents pendant cette pause (autant dire qu’il vaut mieux ne pas manger de l’artichaut). Un jour elles prennent leur service à 6 heures, le lendemain à 13 heures ; horaires décalés, vie de famille décalée, organisme décalé mais paye bien calée sur le SMIC.

Ces femmes ont des planning qui changent sans cesse au gré de la volonté de la direction ; elles sont rappelées pendant leurs congés ou RTT si une épidémie de gastro surgit dans la résidence ou si une collègue est malade. Elles ont toutes des problèmes de santé avant 40 ans : problèmes de surpoids vu la mauvaise hygiène de vie, problèmes de tendons, d’articulations, de dos, car elles doivent souvent se charger seules d’une personne âgée invalide. Problèmes de stress et de surmenage car faute de personnel suffisant, il faut toujours courir et recommencer de retour à la maison car elles ont, pour la plupart, des enfants.

Ces femmes n’ont la retraite qu’au bout de 40 ans de versement. La plupart ne peuvent pas rester dans cet emploi jusqu’à un âge avancé car c’est trop épuisant et les problèmes de santé inhérents à cet emploi ne sont pas reconnus. Elles n’ont pas droit à l’invalidité partielle. Elles ne peuvent qu’espérer trouver un autre emploi moins usant quand elles n’en peuvent plus. Je précise aussi qu’il n’y a pas vraiment de syndicat pour les défendre dans ces petites structures.

Ajouterais-je qu’il en est de même pour les ouvrières ? A la disposition des fluctuations de la production ; les heures supplémentaires non payées puisque récupérées pendant les périodes creuses au bon vouloir de la direction. Les problèmes de santé et les cancers qui en découlent ne sont pas reconnus par la médecine du travail car il n’y a pas que l’amiante qui soit dangereuse : les inhalations des colles, de plastiques ou autres produits chauffés en machine ne sont pas inoffensives... Que dire de certains ateliers où il gèle l’hiver et qui devient un sauna en été ? Là pas de climatisation pour améliorer le confort ; c’est réservé aux bureaux. Vous souvenez-vous de ces décès de travailleurs pendant la fameuse canicule ? Si on n’a pas le droit de laisser un chien dans une voiture en plein soleil, la législation du travail n’interdit pas de laisser un ouvrier rôtir ou fondre à son travail.

Que dire aussi des femmes de ménage qui viennent nettoyer vos cochonneries pendant que chez vous, vous dînez, regarder un film ou dormez ? Elles se lèvent tôt, se couchent tard, cumulant les employeurs pour espérer une paye qui n’atteint pas souvent le SMIC.

Que dire de toutes ces femmes caissières dans les supermarchés qui atteignent à peine le SMIC puisque maintenues à moins de 35 heures et qui en conséquence ne peuvent pas se permettent de refuser de travailler le soir et le dimanche au grand dam de leurs enfants ? Elles sont toutes « volontaires d’office » puisque financièrement et en particulier pour celles qui sont en CDD reconductibles, elles n’ont pas le choix. Facile d’ouvrir les grands magasins le dimanche en maintenant les employées en état de précarité. Pensez-vous à elles qui préféreraient être enfin avec leur famille le dimanche pendant qu’avec la vôtre vous déambulez dans les rayons alors que vos enfants seraient bien mieux à pique-niquer sur l’herbe ce dimanche au lieu de faire leurs caprices de petits consommateurs embrigadés ?

Que dire des ces nombreuses petites fonctionnaires territoriales qui font le ménage et la cantine dans les communes et que l’on maintient à 27 heures 50 hebdomadaires pour ne pas payer la retraite complémentaire plus onéreuse quand les horaires dépassent ce quota ? Elles n’ont pas le droit de cumuler avec un autre travail dans le privé en raison de leur état de fonctionnaire territoriale et n’ont la retraite qu’après 40 ans de cotisation ; retraite basée sur moins de 900 euros de salaire mensuel. Une retraite qui sera équivalente au minimum veillesse accordé aux femmes n’ayant jamais travaillé.

Toutes ces femmes de l’ombre n’ont pas choisi de travailler dans ces conditions. Pour la plupart d’entres elles, pas de pause café (c’est déjà pas mal quand elles peuvent avoir une pause pipi) ; pas de surf sur internet aux frais de l’employeur ; pas le droit de manquer le travail même si les transports sont en grève, s’il y a 20 cm de neige ou la canicule. Pour celles en CDD ou en intérim, pas le droit d’être malade (de toute façon elles ne peuvent pas s’offrir le luxe du délai de carence) alors elles travaillent avec leur maladie mal soignée (quand elles attraperont la grippe aviaire, elles en feront profiter tout le monde puisque non diagnostiquée).

Le plus risible c’est que lorsqu’après avoir passé une journée épuisante, elles consultent leur médecin pour des problèmes de fatigue et de poids engendrés souvent par des mauvais repas irréguliers et le stress, celui-ci ne trouve rien de mieux à dire que : « mais il faut faire de l’exercice Madame ! ».

Souvent elles n’ont pas de formation et n’ont pas d’espoir qu’on leur en offre une pour espérer une vie meilleure. Parfois elles ont une formation mais prennent le peu de travail qu’on leur propose car elles sont souvent seules avec des enfants à élever. Pas besoin de venir d’un pays lointain pour se retrouver dans cette situation de "gagne-misère".

Ces femmes mériteraient de prendre leur petite retraite bien avant 40 ans de versement ; mais qui se soucie de ces petites fourmis discrètes et anodines ? Imaginez une grève générale des femmes de ménage et de toutes celles qui sont au service des autres... Là, la France serait vraiment paralysée car tout ce qu’elles font ne se voit pas, à l’instar du travail des mères de famille, mais quand cela cesse, c’est la débâcle.

La retraite à 40 ans de cotisation pour tous est très inégalitaire car elle ne tient pas compte de la fatigue de certains travails et du fait que les femmes qui ont des enfants et qui font des journées de 15 heures en conséquence, mériteraient en compensation d’avoir moins de 40 ans de versement pour pouvoir enfin se reposer.

Je suis triste pour toutes ces femmes qui n’ont pas le choix et qui vont au travail, le ventre noué, en se disant « vivement la retraite ».

Alors Messieurs les conducteurs de bus et de train, si je comprends tout à fait que vous ne vouliez pas perdre votre avantage qui est (ou était) de partir en retraite plus tôt, prenez cependant un peu le temps de regarder le visage de ces femmes fatiguées et muettes qui montent dans votre véhicule. Parce qu’elles le valent bien...


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