Charlie enchaîné

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Interview

François Forcadell : « L’avantage du Net, c’est la facilité d’exister et de diffuser »

Le rédacteur en chef d’Urtikan.net nous parle de son projet éditorial

jeudi 21 avril 2011, par Charlie enchaîné, Jeddo
mise à jour : vendredi 22 avril 2011

Mardi 26 avril prochain paraît le premier numéro d’un nouveau journal satirique, Urtikan.net, qualifié de « webdo » par ses créateurs puisqu’il sera disponible uniquement en ligne — une petite révolution dans le monde du dessin de presse. François Forcadell, son initiateur, nous explique les choix qu’il a opérés avec son équipe de dessinateurs.

Charlie enchaîné. D’où vient le titre « Urtikan.net » ?

François Forcadell. Dès le nom, on affiche le style du journal. C’est « Urtikan », l’hebdo qui gratte là où ça démange. Et « .net » c’est pour préciser dès le départ qu’on est bien sur Internet.

Qu’est-ce qu’un « webdomadaire » satirique ?

Il fallait trouver une appellation un peu différente. On n’est pas un hebdomadaire traditionnel dans les kiosques, mais on sera sur le Web chaque semaine. Ce ne sera pas un journal en jet continu comme le sont la plupart des sites aujourd’hui. On donne rendez-vous tous les mardis aux lecteurs. On tient à cette idée de rendez-vous, même sur le Web.

Pourquoi paraître le mardi ?

Il fallait choisir un jour. Charlie Hebdo sort le mercredi. À une époque, Hara-Kiri Hebdo sortait le lundi. En fin de semaine, cela ne nous semblait pas très intéressant. On s’est dit que le mardi c’était un bon jour.

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Capture d’écran de la page d’accueil du site Urtikan.net le 21 avril 2011

Vous avez choisi le Web plutôt que le papier. Quel est le modèle économique du journal ?

On peut parler d’une expérimentation. De La Grosse Bertha à Siné Hebdo, j’ai pu constater qu’un journal revenait de plus en plus cher à faire. Aujourd’hui, Internet est le support le plus accessible économiquement. Un journal papier doit payer des locaux, un imprimeur, la diffusion… La diffusion, par exemple, c’est 50% du prix d’un journal comme Charlie Hebdo. L’avantage du Net, ce n’est pas la gratuité — car rien n’est gratuit —, c’est la facilité d’exister et de diffuser. Les frais sont réduits au minimum.

L’autre partie du modèle économique, dans la mesure où on n’a pas de financier ou d’investisseur au départ, repose sur l’investissement en travail de l’équipe, c’est-à-dire une quinzaine de personnes en comptant les dessinateurs. Au départ, nous avons réalisé un numéro zéro et le numéro un sera encore gratuit. Après, les gens pourront souscrire un abonnement mensuel de quatre numéros pour 4,90 euros. Les numéros deux et trois seront exceptionnellement accessibles au numéro, pour 1,30 euro.

On fonctionnera un peu comme les modèles participatifs d’Arrêt sur images ou de Mediapart. Ce sont des journaux qui n’existent que parce que les internautes et les abonnés les font vivre.

« La photo et la vidéo ont très vite trouvé leur place sur Internet. Pourquoi pas le dessin ? »

Les collaborateurs seront-ils rémunérés ?

Forcément. On ne peut pas faire quelque chose de payant pour les internautes et ne pas reverser des piges aux dessinateurs. Cela fait partie du contrat de départ. L’argent des abonnements sera réparti entre tous ceux qui font le journal. Il nous faut environ 10 000 abonnés pour rendre viable l’aventure. Il y a un public intéressé par la satire en France qui peut nous permettre d’exister.

Ce modèle présente l’avantage de pouvoir « délocaliser » la production de contenus. Mais n’est-ce pas un problème pour maintenir la cohésion d’une équipe de rédaction ?

La cohésion, c’est la rédaction en chef qui la maintient. On discute beaucoup par mail ou par téléphone pour mettre au point les sujets. Comme dans une vraie rédaction, tout est déterminé par la rédaction en chef. Le fait que ce soit décentralisé n’est pas gênant pour la création et le travail des dessinateurs, qui travaillent déjà comme ça pour d’autres titres.

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Dessin de Chimulus publié le 20 avril 2011 sur le site Urtikan.net

N’est-il pas inconfortable de lire un dessin sur un écran ?

Non, au contraire. On a fait des démonstrations sur des tablettes. Le site Ça ira mieux demain publie sur des smartphones, qui limitent encore plus le dessin. Que ce soit les ordinateurs, les tablettes, ou bientôt la télé, le confort de lecture est là. C’est un moyen de diffusion qui respecte le dessin. On le voit bien pour la photo et la vidéo, qui ont très vite trouvé leur place sur Internet. Pourquoi pas le dessin ?

Nous allons aussi inaugurer un système qui permet d’agrandir les dessins et d’augmenter le confort de lecture. Internet est un support très souple, qui peut mettre en valeur le dessin. On peut prendre le temps de le regarder. On évitera de le noyer dans le texte. Les sujets seront traités dans les dessins. Il n’y aura pas de textes de journalistes que les dessinateurs devront illustrer.

Justement, y aura-t-il autre chose que du dessin dans Urtikan.net ?

Il y aura sans doutes des chroniques d’intervenants extérieurs, des brèves parce que cela se marie bien avec le dessin, une revue de presse du Web pour amener sur des sites qui correspondent un peu à l’esprit d’Urtikan. Il y aura un courrier des lecteurs où les lecteurs pourront se raconter. Des chroniqueurs vont nous rejoindre. Mais pour nous, la priorité c’est de créer un support pour le dessin et le dessin de presse.

Peut-on faire un journal satirique uniquement avec des dessins ?

Chacun voit les choses comme il l’entend. Depuis des années, je défends le dessin de presse en tant que moyen d’expression à part entière. On avait déjà ce débat avec Cabu à La Grosse Bertha. J’étais très content de faire une pleine page avec un grand dessin de Willem. Cabu disait qu’il fallait du texte dans un journal, parce que sinon les gens le lisaient trop vite. Ce sont deux approches différentes. Apparemment elles cohabitent vu que tous les journaux satiriques en France ont du texte.

« Pas de concurrence avec Charlie Hebdo »

Votre webmaster, James Tanay, est aussi celui de Siné. Ce dernier fera-t-il partie de l’aventure Urtikan.net ?

Non, même s’il m’a souhaité bonne chance en précisant que la Toile c’était pas son truc. Tous ceux qui font partie de cette équipe sont des personnes avec qui je travaille depuis de nombreuses années, bien avant Siné Hebdo. Que ce soit Jiho, Berth, Chimulus, Deligne, Lécroart, Faujour, Cambon, ou même James Tanay. On a déjà fait des journaux ou des livres ensemble. Ce projet d’Urtikan existait avant Siné Hebdo, mais comme je n’ai pas pu résister à l’appel de Siné pour créer un hebdo, cela a un peu reporté l’échéance.

L’expérience Siné Hebdo m’a cependant permis de voir qu’un journal papier est désormais très lourd à monter, notamment à cause des moyens de diffusion, qui sont totalement opaques. On a donc bifurqué vers le Web. Et dans la mesure où James Tanay est un webmaster compétent et qu’il se bat lui aussi pour le dessin avec sa société Iconovox.com, on a lancé Urtikan.

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François Forcadell au moment du lancement de La Grosse Bertha, en janvier 1991

Vous considérez-vous comme un concurrent de Zélium ou de Charlie Hebdo ?

De Zélium, non. C’est un autre projet éditorial, un mensuel. La démarche est sympathique, elle réunit pas mal de gens qui avaient travaillé ensemble et qui voulaient retrouver ce plaisir. On a bien précisé aux gens qui voulaient travailler avec Urtikan.net que chaque journal devait avoir sa personnalité, donc ses dessinateurs. On n’aura pas non plus la même personnalité que Charlie Hebdo. Donc pas de concurrence. D’ailleurs, on n’est pas au même niveau. Ils vont fêter leurs vingt ans et ont un lectorat acquis depuis longtemps. Il y a une suprématie de Charlie Hebdo de fait. Nous, on va tout juste éclore.

Malgré tout, je considère que la concurrence, l’émulation — c’est un discours que je tenais déjà au moment de Siné Hebdo — est un très bon moteur pour la création. Pour les dessinateurs, le fait de savoir que d’autres vont chercher des idées de dessins sur le même thème est très stimulant.

Que pensez-vous de la situation actuelle de Charlie Hebdo ?

Charlie Hebdo première époque était un journal de dessinateurs, fait par les dessinateurs et pour le dessin. Quand il est reparu en 1992, il est devenu un peu un journal où le texte primait, parce que le rédacteur en chef [Philippe Val, note de Charlie enchaîné] écrivait. Aujourd’hui, il a retrouvé cet esprit satirique plus libre. Ça se voit dans les « unes ». Ils semblent privilégier l’impact des dessins même s’ils publient régulièrement des scoops.

Le problème, c’est qu’ils souffrent beaucoup de l’image due à leur ancien rédacteur en chef. Malheureusement, certains lecteurs ne font pas la part des choses. Mais je pense que la période qui va venir, jusqu’en 2012, va les aider à remonter un peu.

Propos recueillis par Jeddo


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