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Défense

Il est beau mon bateau

vendredi 11 avril 2008, par Charlie enchaîné

Le site Mer et Marine relaie (et justifie) l’irritation de DCNS (ex-Direction des construction navales) suite à un article moqueur du Canard enchaîné sur les déboires de la frégate Forbin [1].
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« Une frégate neuve qui flotte à peine »
Article de Brigitte Rossigneux paru dans Le Canard enchaîné (26/03/08)

Entre l’inauguration du sous-marin Le Terrible et l’annonce de l’envoi de renforts en Afghanistan, l’actualité militaire est chargée ces derniers temps. Le Canard enchaîné (26/03/08) rapporte que la construction à Lorient de la frégate antiaérienne Forbin, pour le compte de la Marine, a connu quelques ratés (ci-contre). Nous commentons un article publié par Mer et Marine qui tente de déminer l’information de l’hebdomadaire satirique.

« C’est un véritable tissu d’âneries ! » À la lecture du Canard enchaîné, hier matin [mercredi 26 mars 2008, NdR], certains cadres de DCNS ont avalé leur café de travers. L’hebdomadaire satirique s’est, en effet, fendu d’une violente bordée contre le dernier fleuron de l’industriel : la frégate de défense aérienne Forbin, un bateau qui, à en croire le journal, « flotte à peine ». Et Le Canard de dresser une liste accablante des problèmes survenus sur le Forbin : « Les torpilles restaient coincées dans les portes », « lors des dernières sorties, les gouvernails de la frégate se sont déplacés », « Le sondeur (...) avait une position telle que, dans les remous, on n’y voyait goutte », « les caméras de surveillance ne parviennent toujours pas à visionner le quai et une corrosion de la coque est déjà apparue sur cet engin tout neuf ». Le journal poursuit avec les « vibrations de la boîte de vitesse » qui seraient « si gênantes que certains techniciens ont suggéré de balancer dans les cales du bâtiment quelques tonnes de sable pour en amortir les effets ».

L’article du Canard enchaîné, signé Brigitte Rossigneux, s’intitule « Une frégate neuve qui flotte à peine », calembour que l’on pourrait interprété comme « flotte avec peine ». Jusqu’ici, le traitement qu’en fait Mer et Marine est relativement mesuré (on espère simplement que les « cadres de DCNS » en question ne se sont pas étouffés avec leur café). C’est ensuite que cela se corse.

Hier l’émotion était palpable, tant chez les industriels que chez les marins, futurs propriétaires du navire. S’il est vrai qu’Horizon, premier programme naval franco-italien, a essuyé les plâtres de la coopération et s’est caractérisé par un montage industriel des plus complexes, la situation s’est largement améliorée ces trois dernières années. La plupart des soucis évoqués dans Le Canard sont, en fait, déjà anciens. Et, comme par définition, une période d’essais consiste à corriger les défauts, de pavés lancés dans la marre de DCNS, il n’y en a finalement guère. L’industriel avait, d’ailleurs, invité la presse à bord du navire avant son départ de Lorient, preuve s’il en est que sa situation n’a rien d’alarmante. On imagine en effet mal l’entreprise faire venir à bord des journalistes pour que ceux-ci constatent une série de ratés...

Un dernier argument qui laisse songeur. Mais revenons pour commencer aux « soucis (...) déjà anciens », à la « situation (...) largement améliorée » et à la « période d’essais ». On remarquera tout d’abord l’emploi de l’imparfait dans l’article du Canard, qui confirme, en quelque sorte, les soucis certes « anciens », peut-être corrigés grâce aux « essais », mais en tout cas bien réels ! Et ce qu’oublie de préciser Mer et Marine, et qui figure au début de l’article de l’hebdomadaire satirique, c’est que « la construction de cette frégate antiaérienne par l’arsenal de Lorient accuse deux bonnes années de retard ». Heureusement, donc, que « ces trois dernières années » ont été mises à profit pour combler le retard, ou « corriger les défauts », selon l’euphémisme employé par le site internet.

On apprécie, ensuite, l’argumentation qui consiste à écarter la critique en affirmant, sans rire : « Puisque des journalistes sont montés à bord, circulez il n’y a voir ». La presse est montée à bord « avant [le] départ » (pour une visite en totale liberté d’un navire de guerre ?), mais rien n’indique qu’elle est restée après. On peut même fortement penser que ce n’est pas le cas. Du coup, les « ratés » observés quand le navire est en fonctionnement lui auraient de toute façon logiquement échappé.

Pour en revenir au fameux article, le problème de la corrosion, révélé par Mer et Marine le 31 janvier 2007, est aujourd’hui solutionné. Il en va de même pour l’appareil propulsif, confronté à quelques difficultés et avaries en 2006 et 2007, ce qui n’a au demeurant rien d’exceptionnel pour un prototype. Aujourd’hui, on note simplement, chez DCNS, que la frégate a réalisé « sans encombre le transit entre Lorient et Toulon » [c’est bien le moins..., NdR] et ce, par des conditions météorologiques peu clémentes. À bord, un officier salue quant à lui « les excellentes performances nautiques » du Forbin. Quant au lestage éventuel des fonds pour amortir les vibrations, « des sacs de sable ont été positionnés et retirés à différents endroits lors des tests sur la discrétion acoustique. Mais il s’agissait simplement de comparer les mesures ». Que les marins se rassurent donc, l’installation d’un bac à sable sous la ligne de flottaison n’est pas à l’ordre du jour.

Passé complètement inaperçu dans les grands médias (il faut reconnaître que le sujet est moins porteur que la robe portée par Carla au dîner de la reine d’Angleterre ou que celle de Cécilia à son mariage), l’article de Brigitte Rossigneux est au moins « fameux » dans le milieu de la construction navale. Pour démontrer que la plupart des problèmes évoqués (à l’imparfait et au présent) par Le Canard sont résolus, Mer et Marine ne rechigne pas à donner la parole à la Défense, du moins au constructeur. Et n’hésite pas à apporter sa propre expertise sur les questions techniques. En effet, il n’y « rien d’exceptionnel » à ce qu’un « prototype » soit « confronté à quelques difficultés et avaries ». Mais qu’un « prototype » soit utilisé pour équiper un « fleuron », cela n’a rien d’exceptionnel non plus ? Un peu comme pour l’hélice du Charles-de-Gaulle, en somme.

Concernant le système de lancement des torpilles MU90, aucun problème majeur ne serait à signaler selon le constructeur de la frégate. Pour ce qui est du sondeur, « il y a effectivement eu des interférences de constatées pendant les essais mais celui-ci a été déplacé et maintenant fonctionne ». Dans l’article de l’hebdomadaire, il est également question du Combat (sic) Management System (CMS), le cerveau du navire, présenté comme un outil « du genre asthmatique. Il faut le relancer toutes les trois heures en moyenne ». Ce passage fait référence aux importants problèmes — déjà connus —, survenus au début de la phase de mise au point. Dès la fin de l’année 2005, avant même que le bateau soit en mer, les essais à terre démontraient que le CMS, des plus complexes, allait nécessiter plus de temps que prévu pour être fiabilisé. L’État et les industriels ont renégocié le contrat, entraînant un glissement du programme de 18 mois. Fin 2006, les craintes allaient se confirmer durant les campagnes au large de Lorient. Après avoir mené des essais équipement par équipement, lorsque le constructeur a tenté de les faire dialoguer ensemble via le CMS, la conversation a alors tourné à la cacophonie la plus complète. Mais, dès février 2007, des progrès significatifs étaient constatés. « Le système n’est pas encore mûr à ce stade, ce qui est normal. Mais les essais sont très encourageants, les résultats bons et les performances du système très impressionnantes. Le CMS a pu fonctionner, d’affilée, plusieurs heures sans bug. Il doit désormais être fiabilisé pour être opérationnel en permanence », nous expliquait alors un ingénieur travaillant pour le programme Horizon.

Mer et Marine revient (longuement) — ce n’est pas inintéressant — sur l’historique des « importants problèmes (déjà connus) » du système de gestion de combat de la frégate. Et admet que lesdits problèmes ont entraîné « un glissement du programme de 18 mois ». On admire, là encore, l’euphémisme. Par ailleurs, on relève l’aveu de cet ingénieur, cité par le site internet, qui explique que « le CMS a pu fonctionner, d’affilée, plusieurs heures sans bug ». Ce qui, d’une certaine manière, ne contredit pas l’affirmation de Brigitte Rossigneux sur le comportement « asthmatique » du système.

Ajoutons, en outre, cette information de l’hebdomadaire satirique, oubliée par Mer et Marine : « Les deux radars de navigation sont si performants que le commandant a jeté son dévolu sur un troisième, acheté dans le civil. Enfin si cette frégate antiaérienne est équipée de beaux missiles Aster, pour la défense dite “rapprochée”, ses canons ont un peu de mal à ajuster leur tir. Authentique. » Forbin est presbyte ?

Ainsi, depuis un an, le rodage du CMS s’est poursuivi et il fonctionne aujourd’hui suffisamment bien pour que le Forbin soit autorisé à partir vers Toulon. Si la mise au point n’est pas encore achevée, DCNS et la Marine semblent confiants et tablent sur une livraison de la frégate après la trève estivale, c’est-à-dire en septembre ou octobre.
Enfin, concernant d’éventuels surcoûts et le contribuable « qui paiera les ratages petits et grands », industriels et militaires démentent catégoriquement la version du Canard enchaîné. « Le programme Horizon a un contrat notifié à prix ferme. S’il y a un problème, ce sera à la charge de DCNS et pas du contribuable », explique-t-on chez le constructeur, information par ailleurs confirmée au ministère de la Défense.
Pour la partie française, le coût du programme Horizon, mené en coopération avec l’Italie, est évalué à 2,7 milliards d’euros pour deux navires (les Forbin et Chevalier Paul). Ce budget intègre également le développement et la réalisation du système d’armes principal, le PAMMS, conçu avec l’Italie et la Grande-Bretagne.

Aujourd’hui, donc, la frégate « fonctionne (...) suffisamment bien » pour rejoindre Toulon d’ici l’automne. Avec, rappelons-le, plus de deux ans de retard. Le constructeur et le ministère de la Dépense expliquent que les surcoûts, « s’il y a problème » — on se pince —, ne seront pas à la charge du contribuable, contrairement à ce qu’affirme Brigitte Rossigneux, mais de DCNS... dont l’État est encore actionnaire à 75% (source : Wikipédia). Cherchez l’erreur.

En tout cas, ces deux bijoux que sont Forbin et Chevalier Paul coûtent la bagatelle de « 2,7 milliards d’euros », ce qui correspond exactement — c’est un pur hasard — au chiffre d’affaire (pour 213 millions de bénéfice) de DCNS en 2006. Heureusement pour cette entreprise nécessiteuse que l’État actionnaire souhaite encore se doter d’un arsenal naval performant.

Voir en ligne : Frégate Forbin : Tir au Canard chez DCNS

Notes

[1] Source photo : www.netmarine.net.


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2 Messages de forum

  • Il est beau mon bateau

    27 avril 2008 19:35
    c’est toujours le problème de la marine nationale qui est obligée de faire travailler la DCNS... dès qu’elle aura le choix du constructeur, cela sera moins cher et plus rapide... les ouvriers des arsenaux seront au chômage !!!

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    • Il est beau mon bateau 12 juin 2008 14:23, par gratte papier ouvier

      Pour avoir travaillé sur ce programme de l’avant-projet jusqu’à la réalisation, je peux vous assurer que la DCNS a fait son propre malheur. En effet, le programme accuse de nombreuses années de retard, un manque de communication entre la sous-traitance et la DCNS, un véritable manque de sérieux des différents responsables d’entreprise DCNS (chargés, je le rappelle, de gérer les points bloquants entre la DCNS et la sous-traitance), de la corrosion effectivement trop présente dans tous le navire — en effet les chemins de câble par exemple sont galvanisés et non peint et il suffit de faire preuve de jugeote pour savoir qu’un chemin de câble tronçonné avec une faible épaisseur de galva est sujet à l’oxydation (je suppose qu’il faut faire des économies de peinture)... Ah oui, la peinture, toutes les verrines, des fluos ont été changés. Sans compter les coups de cutter sur les beaux écrans plasma ainsi que les prises cramées à cause de poste à souder branché dessus... Bref de la conception jusqu’à la réalisation, c’était un gros n’importe quoi.

      Résultat final, 4 bateaux de prévus, que 2 au final ; les FREM, 17 bateaux, plus que 11 ; plus de porte-avion en remplacement du premier lorsqu’il est en hyper.

      Un grand merci à tous mes collaborateurs pour le manque de sérieux qui me fait me retrouver dans une situation de chômage actuellement...

      (Note de Charlie enchaîné : nous nous sommes permis de corriger l’orthographe et de remettre en forme ce message, que son auteur n’en prenne pas ombrage.)

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