Charlie enchaîné

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« Je suis Français d’origine algérienne et je vais voter pour le Front national »

L’identité en débat sur Charlie enchaîné

mercredi 10 mars 2010, par Chantal Sayegh-Dursus, Charlie enchaîné, Hadi Taibi, Sarkophage, silette

En novembre dernier, au lancement du débat sur l’identité nationale voulu par Éric Besson, alors soutenu par Nicolas Sarkozy, Charlie enchaîné recevait un courriel d’un lecteur, Brahim, se déclarant Français d’origine algérienne et affirmant qu’il voterait pour le Front national aux prochaines élections. Nous avons alors demandé aux contributeurs du site de répondre à Brahim. Quatre d’entre eux — Hadi Taibi, Sarkophage, silette et Chantal Sayegh-Dursus — ont répondu à l’appel de Charlie enchaîné. Nous les remercions vivement de leurs contributions respectives.

(Le dessin d’illustration, signé Large, est tiré du blog Identité nationale, le grand débat à la con et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur. D’autres dessins de ce dossier sont empruntés au même site.)

La réponse de Hadi Taibi.

J’accuse réception de votre courriel du 19 novembre 2009, relatif à l’identité nationale, et qui m’a été transmis à l’effet d’y suggérer une réponse. Sans trop m’attarder sur les raisons qui peuvent motiver une telle demande, ni comprendre en quel honneur ai-je été sollicité pour formuler une réponse à un correspondant qui ne m’en a rien demandé, je me plais de vous signaler qu’en ma qualité de citoyen algérien, il s’agit là pour moi du genre de sujet qui me cause le plus d’inimitiés avec mes amis français, aussi bien “de souche” que ceux “issus des minorités communautaires”, de par ce que mon avis comporte comme austérités historiques et sociologiques. Difficile de trouver des consommateurs à leurs goûts…

Et sans trop chercher, non plus, à m’inviter dans une polémique franco-française, je me permets de vous faire part de mon point de vue sur la question de l’identité nationale. Nonobstant le choix du rédacteur du texte de voter Front national, ce qui reste, à mes yeux, une question strictement et intimement personnelle, j’aimerais juste faire savoir que l’identité dans son principe large est une question qui relève de l’individu, plutôt qu’à un ensemble national, voir simplement ethnique. Ainsi, trouver des difficultés pour s’exprimer au sein d’une entité caricaturale est a priori une question bien raciale, qui peut être à connotation raciste, mais qui incomberait fondamentalement à la personne elle-même, plutôt qu’à la structure qui ne la reconnait pas.

Dans ce contexte, un citoyen français est en droit d’avoir des origines bouddhistes, pour peu qu’il se reconnaisse dans l’identité nationale faite pour lui, par “plus français” que lui. S’il arrive à accomplir des prouesses gratifiantes pour le pays, c’est tant mieux pour son intégration ; par contre, s’il dévie de la ligne de conduite républicaine, il y aura toujours quelqu’un pour nous rappeler que c’est le méfait d’un Bouddhiste mal inséré dans les normes citoyennes civilisatrices.

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« Besson est content… »
Dessin de Roy

Zinedine Zidane fût le Français le plus connu sur la planète Terre, selon un sondage réalisé en l’an 1999, soit entre deux exploits majeurs du football français. De la “racaille” qui a envahi le Stade de France, à peine quelques années plus tard, il y aurait pu y avoir, s’il ne l’avait été réellement, le frère de la star, qui elle, se trouvait à ce moment sur le terrain en train de défendre les couleurs de son pays d’accueil aux dépens de celles de son pays d’origine. On se serait contenté de nous annoncer que des deux frères “ennemis”, pour les besoins du matraquage identitaire, il se trouve que le premier est “plus français” que l’autre, non plus par la racine (car il serait aberrant que de le dire), mais par le feuillage qui diffuse sur le pays des vertes et des pas mûres.

Et comme Zinedine n’est français que par la qualité de son football, il redevient le Français d’origine algérienne lorsqu’il décide de rejoindre Le Caire pour supporter l’équipe nationale de son premier pays, au même moment où son autre pays disputait la même compétition en Europe. Je l’imaginais, le lendemain, en train de célébrer la double qualification à la phase finale de la coupe du monde, avec deux drapeaux, chacun dans une main, un alliage des deux dans le cœur. N’en déplaise à J.-M. Le Pen qui disait que « ces jeunes gens revendiquent avec fougue leur identité nationale » ; et il demande aux autorités du pays de « satisfaire cette revendication, en leur permettant d’abandonner l’identité française qui leur a été imposée contre leur gré et en les aidant à s’installer dans le pays qui correspond à leur drapeau ».

Plus généralement que de se confiner dans des cas d’espèce, qui ont beau être représentatifs, je note les méthodes machiavéliques utilisées pour ramener tous ces citoyens révoltés à rejoindre l’armée des “bons Français”, les uns pour le salut de leur pays, les autres pour leur propre salut. Cette méthode, utilisée par les grandes dictatures, consiste à répondre au climat de l’insécurité installée par l’instauration d’un semblant de sentiment de sécurité. Même sous les bombes, on continue de faire confiance au chef qui nous protège ; les dégâts subits à partir de là seront imputés au facteur « pas de chance », ou bien à la fatalité divine dans certaines croyances.

À l’opposé de cette méthode, le Front national, qui évolue dans une société relativement bien sécurisée, utilise la psychose comme moyen de propagande pour atteindre tous les révoltés de la nation et autres objecteurs de conscience, et ce sous la forme de diffusion d’un sentiment d’insécurité. C’est séduisant et beaucoup de gens sincères succombent malheureusement à ce sortilège malveillant ; c’est un peu l’histoire du coup de foudre et de ses dégâts collatéraux. Sarkozy s’en était largement inspiré lors de sa campagne électorale, Brice Hortefeux et Éric Besson se chargant successivement du service après-vente. On viole l’émigration clandestine à tour de rôle, et l’on viendra par la suite se plaindre qu’elle a enfanté de monstrueux sans-papiers.

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« Grand parti national »
Dessin de Sergio

En effet, Monsieur Besson estime, je le cite, que « l’identité d’une personne n’est pas figée et correspond à un parcours de vie ». Soit. Subjectivement, l’identité renvoie le sujet à ce qu’il a d’unique, de particulier, à son individualité ; elle englobe des notions de sa représentation (nom, prénoms, parents, famille, origines, etc.). Objectivement, elle permet d’identifier le sujet de l’extérieur (sexe, groupe social, métier, etc.). À partir de là, peut-on légitimement se demander quels sont les bons noms, la bonne couleur de peau, le bon sexe, le bon métier, les bonnes origines, etc., pour faire un bon Français ? Être français selon l’identité nationale, c’est commencé d’abord par être un renieur de sa propre identité et, par extension, un usurpateur d’identité d’autrui, serais-je tenté de répondre.

Car, à ce que je sache, les initiateurs du concept d’identité nationale, inventé au début des années 1980 pour en faire un leitmotiv électoraliste à profusion, veulent faire admettre que pour appartenir à la communauté française, une personne se devrait de partager le maximum de points communs. Serais-je, à cet effet, et à mon insu, devenu citoyen français par l’identité, par le seul fait que je partage avec les Français la langue, la culture, la lecture, une partie de leur histoire et un tas d’autres choses qui font parfois défaut même à l’élite française et sur lesquels je ne veux pas m’étaler, par décence et également par humilité intellectuelle ?

Cependant, force est de constater que ceci est rendu impossible du côté de chez la “mère patrie” qui ne reconnait les siens que parmi ceux dont les Gaulois en sont les ancêtres. Les autres, tous les autres, n’y portent que la nationalité qui les identifie par rapport aux diverses autres entités constituant le monde. Tout autre paramètre identificateur de la personne française butera inéluctablement devant des vérités historiques dont l’évocation risque de laisser un gout amère dans les bouches.

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« Le débat sur l’identité nationale est lancé… »
Dessin de Cambon

Si Sarkozy opte pour l’émigration choisie, à sous-entendre profitable au pays, on peut calmement conclure que la génération d’émigrés qui a creusé le métro de Paris ou taillé la pierre qui garnit les Champs-Élysées aurait été moins rentable. Ils auraient inutilement perdu, eux aussi, qui sa jeuneuse, qui sa santé et qui d’autre carrément sa vie en ayant servi de chair à canon pour le compte d’une France qui traite leurs enfants de racaille. Je pense notamment à tous ceux qui avaient participé aux batailles de Crimée, de Sedan, de Verdun, de la Marne, et même aux lointains Mexique, Indochine et Madagascar. Les flots des sangs multiraciaux qui ont coulé pour la France ne pèsent décidément pas lourd dans la balance de l’identité nationale.

Je veux là seulement rappeler à tous ceux qui ne le savent pas ou qui feignent de l’oublier que des Maghrébins, notamment des Algériens, ont laissé leurs vies dans les batailles de Marseille et à Monte Cassino (mont Cassin) en se battant contre les Panzer-grenadiers allemands soutenus par des volontaires hongrois — ah, ça ravive bien la mémoire de certains ! — activant au sein de la division Charlemagne. Ce sont malheureusement les enfants des Français “nationalement identifiés” comme tels, qui, toute honte bue, se permettent de profaner les tombes de ces valeureux combattants morts pour la France et de malmener leur progéniture par des propos et des actes de bas étage.

Combien sont-ils les Français à qui l’on a enseigné que dans la Turquie actuelle, on compte des descendants des Galatie, une branche des gaulois, certes lointaine, mais beaucoup plus proche que les départements français d’outre-mer ? La logique des “gaulois nos ancêtres”, et le bon sens aussi, dictent qu’il aurait été plus commode que cette frange de la population turque, cousins germains des Gaulois par excellence, fassent partie, au moins, de l’espace culturel et historique de la France, plutôt que de voir monsieur Sarkozy simplement y habiter.

La mouvance dite “identitaire”, ce courant idéologique de l’extrême droite européenne, né au XXe siècle sous l’influence du courant de la révolution conservatrice, fait rage en France. À tel point qu’Éric Besson, le socialiste, s’était posé la question de savoir si la France était prête à élire en 2007 un « néoconservateur Américain à passeport français »… Madame Sylvie Brunel, son ex-compagne, qui le connait donc mieux que quiconque, décrit Besson comme un « opportuniste » dans son livre au titre révélateur : Manuel de guérilla à l’usage des femmes.

Qui mieux qu’un transfuge opportuniste et renégat impénitent, à l’identité entachée d’irrégularités, selon sa propre définition de la chose (le monsieur est né au Maroc et y a passé toute son adolescence), pour s’occuper de la question de l’identité nationale, alors que pour ce faire, il devrait commencer par se doter, pour lui-même, ne serait-ce que de personnalité ?

Hadi Taibi

À suivre, la réponse de Sarkophage…

P.-S.

Nous rappelons que tous les propos tenus ici n’engagent que leurs auteurs.

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