Charlie enchaîné

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« Je suis Français d’origine algérienne et je vais voter pour le Front national »

L’identité en débat sur Charlie enchaîné

mercredi 10 mars 2010, par Chantal Sayegh-Dursus, Charlie enchaîné, Hadi Taibi, Sarkophage, silette

En novembre dernier, au lancement du débat sur l’identité nationale voulu par Éric Besson, alors soutenu par Nicolas Sarkozy, Charlie enchaîné recevait un courriel d’un lecteur, Brahim, se déclarant Français d’origine algérienne et affirmant qu’il voterait pour le Front national aux prochaines élections. Nous avons alors demandé aux contributeurs du site de répondre à Brahim. Quatre d’entre eux — Hadi Taibi, Sarkophage, silette et Chantal Sayegh-Dursus — ont répondu à l’appel de Charlie enchaîné. Nous les remercions vivement de leurs contributions respectives.

(Le dessin d’illustration, signé Large, est tiré du blog Identité nationale, le grand débat à la con et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur. D’autres dessins de ce dossier sont empruntés au même site.)

La réponse de Sarkophage.

Tout d’abord, merci à Charlie enchaîné de me faire l’honneur de solliciter mon humble avis de poète pamphlétaire polémique au sujet de l’identité nationale, bien que je sois loin de posséder la maîtrise et l’habileté de ce cher Hadi Taibi en matière d’analyse politique et que, d’autre part, je ne sois peut-être pas la personne la plus recommandée en cette occurrence.

Déjà, dans nos Antilles, ce problème d’identité est très compliqué du fait des données historiques et géographiques, des différents métissages et apports successifs. Sommes-nous africains, descendants d’esclaves oui, mais de quelle ethnie puisque le trait d’union linguistique a été l’invention de la langue créole pour répondre à la diversité des langues africaines originelles ? Sommes-nous amérindiens d’origine caraïbe comme les occupants primitifs de nos îles ? Sommes-nous par le métissage avec les colons et par la culture qu’ils ont imposée durant 3 siècles, français de Normandie et Bretagne ? Sommes-nous indiens tamul venus en masse du Kérala pour remplacer les esclaves libérés en 1848 dans les travaux sur les plantations sucrières ? Sommes-nous chinois ou libanais, syriens, palestiniens comme les dernières vagues d’immigration plus récente ? Sommes-nous de culture hispanique par l’apport musical cubain très important de la salsa ou bien anglophone avec le calypso de nos plus proches voisins ou bien, à la croisée géographique de tous ces mondes culturels en strates successives, notre identité martiniquaise n’est-elle pas tout simplement la résultante de tous les mélanges qui la constituent en un tout original ?

Mais aussi d’un point de vue plus personnel, m’étant depuis toujours défini comme un humaniste libertaire et “communard” et un libre penseur très jaloux des prérogatives de l’individu, j’ai quelque peu du mal à adhérer à cette invention très récente du concept d’identité nationale surtout que, chez ses concepteurs, elle a été dès le départ entachée d’idéologie nationaliste intolérante, inégalitariste et porteuse d’exclusion arbitraire. Avant que Sarkozix ne songe à piquer les voix du FN, Jean-Marie La Peine en fut le premier souteneur…

Ma conception de la sacro-sainte trilogie de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité dépasse largement les notions très restrictives et étriquées de frontières, de race, de religion, voire même de langue. Mais s’il faut en tant qu’être humain se définir une identité dans une communauté de coutumes et d’usages, on peut effectivement mettre en avant l’usage d’une langue commune comme un facteur non négligeable, à condition bien entendu de l’élargir en se référant à une “francophonie” de fait. Goethe n’a-t-il point proclamé que « le génie d’un peuple est dans sa langue » ? C’est d’ailleurs pourquoi, lorsque je voyage avec l’intention de passer quelques temps dans un endroit, mon premier effort consiste à acquérir les rudiments de langage local nécessaires à une bonne communication…

D’autre part, le Temps, ce grand maître de toute chose, a consacré pour un certain lieu une manière de vivre commune comme étant la mieux adaptée à cet environnement particulier à force le plus souvent d’expérimentations relevant de l’empirisme et du tâtonnement et constituant le fond de commerce de toute civilisation qui se respecte. Cela vaut aussi bien pour la façon de se nourrir, se vêtir, l’expression artistique, l’imaginaire et la spiritualité, les rapports à l’énergie cosmique et la nature, la façon de fêter, bref de vivre ensemble et avec soi-même c’est à dire l’idiosyncrasie d’un peuple. Mais s’il suffit de faire preuve de qualités d’adaptation au milieu pour acquérir ce fond commun, il ne s’agit évidemment pas que cela se fasse aux dépens de l’affirmation de son identité individuelle, quelle qu’elle pût être, et donc de sa liberté. Il s’agit d’enrichissement et non d’exclusion, de choix imposé et douloureux, de reniement d’un passé dont les strates successives constituent la personnalité de l’être humain. Là où un homme vit, mange, travaille, a sa famille, éduque ses enfants et là où il va peut-être mourir si on lui en laisse le loisir, au-delà des clivages absurdes du “droit du sol” et du “droit du sang”, là sont ses réelles racines et son identité fondamentale et par conséquent là doit s’exercer son droit imprescriptible de vote ! Ce n’est pas pour autant, cependant, bien que le monde moderne se soit efforcé avec un certain succès, hélas, de les éradiquer, que les nomades n’ont pas à l’égal des sédentaires leur identité même si celle-ci s’avère plus ethnique que nationale mais tout aussi forte sinon plus parce que persistant à travers le temps en des lieux différents.

Voilà les quelques réflexions supplémentaires bien au-delà de la simple politique auxquelles je me suis laissé entraîner à propos de ce sujet d’actualité si sensible de l’identité nationale en espérant n’avoir pas été trop “hors sujet”. Je terminerai par cette pensée dont je ne me rappelle pas l’auteur mais que j’ai faite mienne depuis mon adolescence : « Rien de ce qui est humain ne peut et ne doit m’être étranger… » [Il s’agit semble-t-il de Térence (note de Charlie enchaîné)]

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« Sarkozix rétablit l’usage du grand pavois »
Dessin de PMG, alias Sarkophage

Sarkophage

À suivre, la réponse de silette…

P.-S.

Nous rappelons que tous les propos tenus ici n’engagent que leurs auteurs.

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