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L’Express jette un (nouveau) pavé dans la mare du Canard enchaîné

mardi 25 novembre 2008, par Charlie enchaîné
mise à jour : lundi 3 août 2009

Le Canard enchaîné fait la une de L’Express (20/11). L’événement sensationnel qui vaut à l’hebdomadaire satirique cet honneur est la parution, le 26 novembre, d’une « enquête » co-écrite par Karl Laske et Laurent Valdiguié, journalistes respectivement à Libération et à Paris Match, intitulée Le vrai Canard (Stock). Au delà de la polémique médiatique suscitée par cette sortie, il est permis de s’interroger sur la soudaine sollicitude de L’Express à l’égard de son confrère du mercredi. Le Canard enchaîné a promis de répliquer dans sa prochaine édition, le jour même de la sortie du livre.

Le contentieux entre L’Express et Le Canard enchaîné ne date pas d’aujourd’hui. À chaque coup de griffe du premier, le second répond avec un coup de bec. On se souvient surtout, ici, du scoop d’Élise Karlin : un journaliste de l’hebdomadaire satirique avait déjeuné avec Carla Bruni. Le Canard avait donc sorti sa plus belle plume la semaine suivante pour expliquer les « dessous du charme » à ses lecteurs...

Quelques mois plus tôt, en août 2007, le journaliste du Canard enchaîné Louis-Marie Horeau avait adressé un droit de réponse à L’Express concernant l’affaire des diamants de Bokassa : l’hebdomadaire satirique aurait, selon L’Express, produit de faux documents, ce que Horeau réfutait.

Deux partout, balle au centre ? Il semble que L’Express ait envie de prolonger la partie. «  “Nous critiquons les autres, donc nous sommes critiquables”, reconnaissait Roger Fressoz, ancien patron du journal », écrivent Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express, et Jérôme Dupuis pour justifier la couverture de leur hebdomadaire et le dossier consacré au Canard enchaîné.

Le vrai Canard, livre à paraître de Karl Laske et Laurent Valdiguié, serait donc un travail « minitieux » qui « lève le voile sur cette face cachée d’une institution qui se veut au-dessus de tout soupçon ». « Face cachée », une terminologie qui « rappelle l’enquête menée en 2003 par les journalistes Pierre Péan et Philippe Cohen pour La face cachée du Monde », relève aussitôt l’AFP.

Le vrai Canard (Stock) Une présentation alléchante pour un ouvrage qui doit sortir une semaine plus tard. Charlie enchaîné se gardera bien de juger cette enquête puisque, contrairement à L’Express ou à l’AFP, nous n’avons pas eu l’immense privilège de la lire. Ce qui nous intéresse, c’est le phénomène qui a lieu autour de la sortie du livre. Nous lirons également avec intérêt la réaction du Canard enchaîné.

Bonnes feuilles ?

Sur le site internet de L’Express, on trouve quatre passages du vrai Canard de Karl Laske et Laurent Valdiguié. Sans surprise, deux concernent l’argent : « Que les gros salaires lèvent la palme », sur ce que gagne les journalistes du Canard enchaîné, et « Un Canard laqué or », sur les bénéfices du journal. Plus anecdotique, « Bonnes feuilles d’un pot » raconte « le rituel qui fédère tous les ans la maison Canard ».

Le coup qui se veut le plus rude est l’extrait intitulé « La page d’eux, ou le journal de Nicolas S. », où les auteurs du livre cherchent à démontrer que la « Mare aux canards » serait sous influence sarkozyste, de même que « Le journal de Carla B. ». « Force est de constater qu’avec la présidence Sarkozy, Le Canard est en dessous de la main », écrivent-ils. « “Lorsqu’on analyse la Mare aux canards, on s’aperçoit que ces brèves sont souvent à décharge de Nicolas Sarkozy”, estime un pigiste politique », ajoutent-ils.

« Force est de constater », « on s’aperçoit » : pour étayer leurs affirmations, nos deux auteurs ne citent, dans ces bonnes feuilles, aucun écho de la page 2 du Canard enchaîné qui soit susceptible d’aller dans le sens de ce qu’ils avancent. « Sarkozyste, la page 2, s’interroge de son côté Daniel Schneidermann dans Libération ? Le lecteur moyen ne l’avait pas remarqué. » Pourtant, récemment, nous avions relayé ici les inquiétudes de Luc Douillard, qui avait estimé que Le Canard dédouanait Sarkozy à propos de son rôle dans la mise en place de feu Edvige.

Plus acide est le billet de Jus Murmurandi, qui tire un « Portrait du Canard enchaîné en Pinocchio impénitent ». Relayant un propos de Michel Houellebecq (« Jamais, pas une fois, je n’ai lu dans Le Canard Enchaîné, me concernant, une information exacte »), ce blog écrit que « l’essentiel de ce qui est affirmé [dans le journal] sous le sceau du scoop et de la révélation est faux, mensonger ».

Pour les défenseurs de l’hebdomadaire satirique, par exemple Sacristie, la page 2 est « loin d’être la plus intéressante ». Poursuivant sur la même idée, un commentateur du site fluctuat.net, sous le pseudonyme jean24, estime que « Le Canard est plein de papiers sérieux et fouillés qui n’ont pas peur des aspects techniques des dossiers et qui, à mon sens, en font toute la valeur ».

Tout le monde n’a donc pas le même sentiment vis-à-vis de cette fameuse page 2. Quant à la « révélation » selon laquelle Carla adore son journal, qu’elle écrirait elle-même par l’intermédiaire de son conseiller en communication, on attend là aussi la réaction de l’hebdomadaire satirique. Si l’on sait que Carla Bruni lit Le Canard enchaîné, grâce à une photographie innocente de Paris Match, journal de Laurent Valdiguié, on ignorait qu’elle faisait partie de sa rédaction, comme s’en vante sans retenue l’entourage du président de la république.

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Le Canard enchaîné
Extrait de l’émission « J’ai mes sources » du 24/11/08 sur France Inter

En attendant la réponse du Canard enchaîné, Karl Laske et Laurent Valdiguié paradent tranquillement ici ou là pour faire la promotion de leur livre à charge. Sur France Inter (écouter ci-contre), les auteurs prennent pourtant bien soin, au début de l’entretien, de préciser que, selon eux, « Le Canard est indispensable à la vie démocratique française ». Ils insistent cependant, à l’instar de Karle Laske sur 20minutes.fr, sur le fait que l’indépendance du Canard enchaîné serait toute relative.

De son côté, interrogé sur son indépendance par des commentateurs perfides, qui soulignent l’amitié autoproclamée de Christophe Barbier envers Carla Bruni, L’Express répond tranquillement par une autre perfidie. Certes, nous avons nos entrées à l’Élysée, explique en substance l’hebdomadaire, mais nous, au moins, ne nous cachons pas (sous-entendu : contrairement au Canard enchaîné)... Vous ne trouvez pas ça choquant ?

Une rhétorique si peu sarkozyste.

P.-S.

À (re)lire sur Charlie enchaîné :
- « L’Express « embarrasse » Le Canard enchaîné avec Carla Bruni »
- « L’Express, Carla Bruni : Le Canard dévoile les « dessous du “charme” » »
- « Carla Bruni lit Le Canard enchaîné dans Paris Match (suite) »
- « L’art de minimiser de « L’Express » »
- « Carla Bruni : « J’aime l’insolence » »

Ailleurs :
- « Ouverture de la chasse au Canard enchaîné » (La République des Lettres), prend la défense du Canard enchaîné
- « Pan sur Le vrai Canard, le livre polémique  » (PaSiDupes), n’aime pas vraiment l’hebdomadaire satirique (comme nous l’avions déjà remarqué dans cet article : « Il vaut mieux lire Le Canard Enchaîné chez le dentiste »)


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