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L’affaire Guy Môquet

Pourquoi il y a lieu de se poser des questions...

lundi 22 octobre 2007, par Sophie Lambert

La polémique ne vise pas le jeune homme en question mais son intrumentalisation politique.

Rappelons les faits. Le président de la république Nicolas Sarkozy a ordonné par le Bulletin officiel de l’éducation nationale du 30 Août 2007, la lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées le 22 Octobre. Ce jeune homme de 17 ans, résistant communiste, fût fusillé par le fanatisme nazi et son bras français, le régime de Vichy, ce même jour d’octobre 1941.

Il ne s’agit pas de nier la valeur de la lettre de ce résistant, mais son instrumentalisation politique qui pose question. Tout d’abord, il est important de rappeler que les professeurs de l’éducation Nationale sont tenus à une neutralité politique durant leurs cours prévue par l’Etat. Ils doivent appliquer des programmes qui prévoient l’acquisition de connaissances en fonction des années du cursus scolaire, mais gardent, dans la limite de leur réserve politique et idéologique, une certaine liberté dans le choix des œuvres et des supports de connaissance. Et depuis quand les contenus scolaires se font en fonction des émotions et humeurs d’un chef de l’exécutif et des armées, sans examen ni consultation préalable, mesure spontanée digne d’un monarque absolu ? L’injonction présidentielle, en effet un peu illuminée, vient remettre en cause cet équilibre puisque l’instance sensée protéger les élèves des obédiences de leurs professeurs, ordonne la lecture simultanée en France, sous forme de commémoration patriotique, de la lettre du jeune résistant français ; la parole du gouvernement dans la voix du maître.

Choisir la lettre de ce jeune résistant communiste de 17 ans auquel les élèves pourront s’identifier, cette figure du héros français qui meurt en martyre dans sa lutte contre l’oppression totalitaire étrangère, quel symbole touchant pour unir la Mère Patrie et ses enfants autour de celui qui a donné sa vie pour que survive la fière identité française opprimée. Communion mais pas réflexion. L’Histoire sauce identité française pêche par omission en ne citant pas que ce même martyre fût arrêté et désigné pour l’exécution par le régime de Vichy en raison même de son engagement. Certes, la majorité des français se sent plus proche aujourd’hui de la France résistante que de celle qui serrait la main cordialement à Hitler et même « lui donnait un coup de main » dans son épuration identitaire, néanmoins il faut expliquer et comprendre, assumer pour se détacher de ce pan honteux de notre histoire qui nous appartient tout autant que celui que l’on commémore. Pour que l’histoire ne bégaye plus, il faut raconter impartialement. On ne construit pas l’avenir dans l’amnésie du passé.

Pourquoi ne pas avoir inscrit au bulletin officiel la lettre émouvante de Missak Manouchian, ce résistant qui a fuit le génocide arménien et s’est engagé en 1943 dans les FTP MOI (Francs tireurs et Partisans, Main d’œuvre immigrée), arrêté et fusillé sur le Mont Valérien le 21 Février 1944 ? Aragon immortalisa dans « Strophes pour se souvenir » cet arménien français de préférence, il fût chanté par Léo Ferré dans l’Affiche Rouge ; il y avait matière dans cette lettre et ses réécritures poétiques à célébrer les valeurs de Fraternité, Liberté, Egalité de la république française dans le cadre d’un réflexion historique et littéraire pédagogique, il y aurait eut dans ce symbole la volonté d’éradiquer la peur du « complot immigré », bouc émissaire contemporain de tous nos maux, mais cela aurait été discordant avec la politique de l’Elysée…

Il ne faut pas que cette lecture, sur ordonnance d’un gouvernement qui se targue d’ouverture en réutilisant à l’emporte pièce Léon Blum, Jean Jaurès et désormais Guy Môquet dans des discours déconcertants, se transforme en une commémoration sous le mot d’ordre du « pleurons nous tous ensemble » où finalement le jeune fusillé a plus à perdre. Cette lettre, pour trouver sens, doit être inscrite dans un contexte historique, mise en relief par des témoignages, des supports filmographiques de l’époque afin qu’elle retrouve un caractère pédagogique épuré d’instrumentalisation pathétique par le politique.

Heureusement que les professeurs ont suffisamment d’estime pour leur profession pour ne pas la réduire à n’être que l’organe vocal de l’Elysée, et redonner sens à une « ordonnance » qui fait désordre…


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