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L’incendie ne peut être que l’œuvre du diable

mardi 15 novembre 2011, par Hadi Taibi

Dans Sa toute-puissance, je ne peux imaginer, un seul instant, que Dieu ait sollicité l’aide experte d’un voyou pour lui confier la mission de réduire en cendre les locaux parisiens de Charlie Hebdo. J’ai même acquis l’intime conviction qu’un tel acte ne peut être que l’œuvre du diable ; mais comme ce dernier, dans sa lâcheté légendaire, est incapable de se présenter par lui-même au front, le lanceur du cocktail Molotov ne serait qu’un minable sous-traitant au service du commanditaire des basses besognes.

Illustration : Claire Sambrook / Flickr.

Les recherches de l’incendiaire nous conduisent dans une contrée où sévissent deux dictateurs qu’on nous présentait jadis comme étant les parfaits spécimens de la bonne gouvernance, parce que contraints de régenter leurs peuples indociles avec une main de fer.

En effet, selon une théorie occidentale, il y aurait les bons dictateurs d’un côté et les mauvais dictateurs de l’autre. Un dictateur serait ainsi comparable au cholestérol ; sauf qu’en l’espèce, le monde « civilisé » s’est réservé, pour lui, le meilleur et a cédé le pire aux peuples sous administration dictatoriale. Ainsi vont les affaires, qu’en la circonstance, fonctionnent merveilleusement bien selon une logique où tout le monde devrait trouver son compte. Jusqu’au printemps où les cœurs bourrés d’absolutisme, graisseux et crasseux à la fois, n’en pouvaient plus. C’est l’artériosclérose sociale. On se révolte comme on peut avec les moyens dont on dispose. Les soumis d’hier, exclus de la sphère réduite du climat des affaires, décident d’en faire leur propre affaire du sort qui sera réservé aux despotes.

Sous un air de jasmin, le premier dictateur est foutu dehors ; il laisse derrière lui un pays en feu. En compagnie des siens, il prend les airs pour aller se refaire une virginité royale chez une généreuse et bienfaisante famille qui s’accapare le monopole du titre de serviteurs, à la fois, des lieux saints et des hommes malsains. Quand le peuple réclame la « dé-Ben Ali-sation » de la province, d’abord on lui sert une dépénalisation de l’acte de gouvernance avant de se ressaisir en lui concédant une insultante dé-MAM-isation d’un gouvernement dont il n’a cure. C’était le minimum diplomatiquement correct qu’on pouvait lui offrir pendant qu’il était encore temps, soit juste de quoi sauver les meubles. L’œuvre est sincèrement diabolique !

Chemin faisant, le voisin d’à-côté n’en pouvait plus. Il se révolte à son tour. Mais cette fois-ci, le diable ne se laissera pas surprendre. Il anticipe sur le devenir d’un peuple dont il s’investit dépositaire de son intérêt supérieur. Il se fait couvrir de légitimité internationale pour assurer la liberté à des gens politiquement libres depuis longtemps mais qui sont sous dictature depuis tout aussi longtemps sans que cela ne semble avoir gêné personne.

On mobilise l’artillerie lourde. Le fleuron de la marine nationale pour surveiller les voies maritimes du pétrole et l’aviation pour épargner les vies menacées d’extermination par le dictateur. On largue les amarres en haute mer et on largue les armes automatiques du ciel, pour approvisionner les révolutionnaires en moyens de leur défense.

Les rebelles sont accueillis en grand pompe par les plus hautes instances du pays. On recueille leurs doléances à tour de bras et répond, aussi bien, au plus pressant qu’au plus superflu de leurs exigences. On crépite les flashs pour immortaliser l’évènement. Les entretiens sont confidentiels, la primeur de leur divulgation est confiée, à plus tard, à la belle plume et au visage médiatique de celui qui s’est transformé en directeur de conscience du chef des armées dans un domaine qui nécessite une variété d’expertises, sauf celle de philosopher.

La seconde partie de la contrée est mise également à feu et à sang. Huit mois de guerre fratricide et quelques 50 000 morts plus tard, le dictateur décide enfin de sortir de sa tanière. Il tente de desserrer l’étau formé entour de lui en ignorant que l’œil du diable ne se ferme jamais. Enfin presque jamais. Le cortège du fugitif est pilonné ; il en sortira tout de même vivant, avant qu’un révolutionnaire fraîchement libéré par l’aviation du diable ne décide de l’achever, privant de fait l’humanité d’un procès pour la postérité. L’exécution sommaire a été vue par la planète tout entière, sauf par l’œil du diable qui avait oublié cette fois-ci de rester ouvert.

La contrée est enfin libérée avec un investissement se chiffrant à 300 millions d’euros ; il n’en reste pas moins qu’il faudrait songer à le reconstruire. Le montant du devis est estimé à 120 milliards d’euros. Pour 5 euros prélevés par tête d’habitant et investis par l’armée, le Medef en recueille 2 000. L’œuvre est infiniment diabolique !

Le dictateur est tué. Ce n’est pas pour autant qu’on doit se réjouir de la mort d’un homme ; on ne se prive pas, par contre, de faire le voyage pour assister au carnaval dédié à fêter les hauts faits d’arme qui ont conduit à son élimination. L’euphorie de la solennité passée, on arrive au traitement des choses sérieuses : le diable veut reconstruire un beau pays avec l’argent du pétrole. Les révolutionnaires libérés veulent adopter la charia comme source de législation pour remercier le Seigneur de leur avoir donné le pétrole qui leur permettra de bâtir une belle théocratie.

À peine libérés et voilà les intégristes en train d’imposer leur modèle d’une façon digne d’une dictature. Les nouveaux bons dictateurs affolent l’occident. Les démocraties leur réclament de solliciter l’avis des citoyens sur le sujet, au risque de les cataloguer dans la liste des mauvais dictateurs. La réponse, sans appel, leur est parvenue quelques jours plus tard : que ce soit avec la force des armes que vous avez bien voulu nous larguer du ciel, ou avec la légitimité des urnes que vous avez bien voulu nous imposer sur terre, la contrée ne connaîtra de lois autres que celles d’inspiration religieuse. Adeptes de la laïcité, s’abstenir !

Il ne reste au diable qu’à assumer le rôle du fameux homard enchaîné au fond du lac de Mobrin, dont l’implacable mission, selon le récit humoristique du poète Kopisch, est de renverser l’ordre de tous les évènements du monde. Il est cependant plus probable que les chevrons des maisons redeviennent des arbres que de voir un jour les intégristes renoncer à leur projet de formation d’États théocratiques. Car, pas plus que pour les dictateurs, il ne peut y avoir de bons et de mauvais intégristes. Il y a juste un but à atteindre selon un programme bien défini que tout fondamentaliste suit avec discipline et abnégation.

Et pour y arriver, on ne s’encombre plus d’aucun scrupule, même pas celui de s’associer avec le diable. Tout le reste constitue un magma de sinistres et d’horreurs à partager entre « pertes et profits » pour les uns et « dommages collatéraux » pour les autres.


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1 Message

  • L’incendie ne peut être que l’œuvre du diable

    24 novembre 2011 11:22, par silette
    Les puissances les plus maléfiques sont assurément maîtrisées par la ruse, il serait plus judicieux de songer à pactiser avec le diable plutôt que de dénoncer ses forces en reprenant un cérémonial conforme aux justes usages d’une fallacieuse diplomatie.Les temps sont durs

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