Suite et — ouf ! — fin
par Cavanna
dimanche 31 août 2008, par Charlie enchaîné
(Voir dernier numéro.)
Et avant Bonaparte, la Belgique, c’était quoi ? Beuh... Un peu tout ce qu’on veut. Des morceaux rapportés, si vous voyez. D’abord, tout là-bas, au fond des siècles, quand le temps n’existait pas encore, quand l’espace n’était qu’une cochonnerie informe, quelque chose d’assez déprimant, il faut bien dire, là où c’est tout noir avec des Huns qui rôdent, nous trouvons quoi ?
Nous trouvons le Saint Empire Romain Germanique, ne lésinez pas sur les majuscules, s’il vous plaît... Celui de Jules César qu’on voit dans Ben-Hur ? Pas tout à fait. Et je vous ferai remarquer que Jules César n’a jamais été empereur, bien que ce ne soit pas que l’envie lui en ait manqué. Mais pourtant vous avez dit « romain » ? J’ai dit « Romain » et « Germanique ». Pas celui d’Auguste, pas celui de Néron, mais celui de Charlemagne. Oh ! Le Charlemagne de 800 ? 800 tout rond, c’est cela. Et aussi l’empire de Charles Quint, mais plus tard.
On appelait cet endroit les Provinces-Unies, ou bien les Pays-Bas, c’est selon, les frontières, ça va ça vient, au gré des guerres qu’on gagne ou qu’on perd, les gens ne peuvent pas tenir en place. Un temps, il y eut la Bourgogne, avec Charles le Téméraire qui faisait la nique à Louis XI, plus tard la Hollande et son Guillaume d’Orange qui mit la piquette à Louis XIV, et puis il y eut Bonarparte, comme je vous disais l’autre jour, qui fit cadeau de la Hollande à son frère... Lequel ? Le grand un peu chauve ? Ah, non, celui-là, c’était l’Espagne, mais c’est vrai, il avait d’abord eu la Hollande... Vous m’embrouillez. Bon, il en avait eu assez, le Bonaparte, il avait annexé tout le paquet, la Hollande et aussi la Belgique, qui n’existait pas encore et ne s’appelait donc pas comme ça mais faisait comme un grand vide entre la France et la Hollande qui était aussi la France, j’espère que vous avez tout bien suivi, et bon, pour aller promener le chien en Hollande il fallait enjamber cette chose qui n’existait pas, on n’était plus chez soi, vraiment.
L’Histoire, ça va un temps, mais faut pas abuser. Revenons à ce moment où il y a enfin une Belgique toute neuve juste là où il en fallait une, et qui s’y trouve encore maintenant. L’Anglais se frotte les mains. Tout le monde est content. On chante en chœur La Brabançonne, c’est La Marseillaise traduite en belge. Il y a même un roi, c’est ça qui fait joli, dans une cérémonie ! Il y a des frites, il y a des moules, il y a de la bière. Il y a aussi le ver dans le fruit. J’explique.
Quand je dis « le ver », c’est ce qu’il est convenu d’appeler une métaphore. C’est plus poétique que de dire « la question linguistique », mais on ne peut pas longtemps cacher la vérité. Cette question-là est comme je vais vous le dire.
La moitié de la Belgique est peuplée de gens qui ne sont pas normaux. Ils croient qu’ils parlent, mais en fait c’est juste du bruit qu’ils font avec leur bouche. Tu as beau tendre l’oreille, tu as beau, rien à faire. Du charabia. L’autre moitié, ça peut aller. On arrive à saisir un mot par-ci par-là, et il suffit de regarder les autres pour savoir quand il faut rire.
La Belgique est donc coupée en deux. D’un côté, il y a les non-parlant, de l’autre les bavards. Les non-parlants non-parlent, les bavards racontent des histoires belges qu’ils appellent « histoires françaises ». Entre les deux court la frontière linguistique, sinistre sinuosité que l’on voit très bien, par temps clair, depuis la surface de la Lune. Comment voulez-vous qu’un pays pareil tienne debout ? Hé, oui. C’est exactement ce qu’avait voulu l’Anglais de tout à l’heure, c’est pourquoi il se frottait les mains, et si l’on avait tendu l’oreille, on eût entendu son cynique ricanement. Le ver, c’était lui. Dans le fruit, paf.
Voilà pourquoi la principale industrie de la Belgique est le séparatisme. Chose pernicieuse, chose regrettable. Un peuple qui aime la bière, les moules et les frites ne peut pas être entièrement mauvais. Quoiqu’il y aurait beaucoup à dire sur la fâcheuse coutume typiquement belge de tremper les frites dans la mayonnaise.
Vous avez raison, ce qu’il leur faudrait, c’est un homme à poigne. Tout au long de l’Histoire, quand par hasard il arrivait aux indigènes de ce coin-là d’être dirigés par un homme à poigne, ça fonctionnait. Le croiriez-vous ? Ils parlaient tous, même les non-parlants, et tous la même langue. Ça, alors ! Néron les obligeait à parler latin, rosa rosam et la suite, Charlemagne à parler allemand — eh oui, Charlemagne était un Boche, vous ne le saviez pas ? —, Charles Quint à parler espagnol — olé ! —, Bonarparte à parler ce qu’il croyait être du français. Comme ça, ça marchait. Ils parlaient tout ça avec l’accent belge, ce qui leur donnait une splendide unité.
Le séparatisme, ça paraît simple, comme ça, mais il ne faut pas croire. Ceux qui savent parler — on les nomme « Wallons » ou « francophones » — peuvent rêver d’être accueillis dans le sein de notre mère la France, où, avec un peu de bonne volonté, on les comprend. Mais les autres ? Les « Flamands » ? Il existe bien un lieu où les gens font le même bruit, c’est la Hollande, mais voilà que se dresse la barrière de la religion. Le petit Jésus de là-bas n’est pas tout à fait le même... Oui, c’est complexe. C’est bien pourquoi il y a problème. On en recausera, il faut absolument qu’on en recause. Absolument.
À (re)lire, le premier volet : « La Belgique, terre de contrastes ».
Merci à celzza pour la saisie de cette chronique.