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Tribune

La France, un pays en manque d’idées neuves

mercredi 21 octobre 2009, par Hadi Taibi, silette

Une lectrice nous a transmis un article rédigé par l’un de ses amis d’outre-Méditerranée. Celui-ci nous offre un regard original sur la rentrée politique française, ses “vedettes” et leurs spectateurs — c’est-à-dire nous. (Charlie enchaîné)

Depuis le procès du chancelier Guillaume Poyet, jamais les Sceaux de la République française n’ont été aussi bien gardés que lors du passage de Madame Rachida Dati à la tête du ministère de la Justice. La garde des Sceaux a, grâce à ses déboires à répétition, réussi à mettre la presse en alerte, guettant les moindres de ses faits et gestes, et ce durant toute la période de son commandement de l’institution judiciaire. Ses décisions controversées prêtaient à contestation et mettaient à mal la magistrature, placée par la chancellerie sous haute tension. Son cabinet, qui tentait de lui disputer la vedette finira par (se faire) démissionner en bloc.

Et pourtant Madame Dati, qui préférait priver de liberté les gens déférés devant les juges plutôt que les renvoyer sèchement en taule, ne cherchait, ni plus ni moins, que l’instauration d’une justice expéditive pour répondre aux détestables récidivistes qui empêchaient les magistrats de rentrer gentiment chez eux après trente-cinq heures de dur labeur et le sentiment du devoir honnêtement accompli. Elle obtint de l’Élysée, coup sur coup, les appuis qui lui étaient nécessaires sur les dossiers de réforme inhérents à sa nouvelle carte judiciaire, au rôle du Parquet, à la réforme du Code pénal des mineurs et au statut du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Ne trouvant rien à redire sur sa manière de conduire les affaires de la République, on s’intéressait alors à sa manière, à elle, de se conduire. On fait à sa place le shopping pour dénicher son train de vie, on la juge par procuration pour les délits commis uniquement par deux de ses frères, alors que sa fratrie en compte plusieurs autres qui sont lavés de tout soupçon, et enfin on entreprend de mettre en doute l’authenticité de ses diplômes. Madame la ministre se défendait magistralement en caporalisant les magistrats sensés la juger. Ses performances oratoires font par ailleurs un tabac auprès du jury du prix « Busiris » qui sanctionne les déclarations aberrantes et qu’elle obtint par six fois de suite établissant un record absolu en la matière.

Un seul être vous manque…

Et voilà qu’avec le départ de la désormais ex-garde des Sceaux, pour honorer son mandat de député européen, la vie politico-médiatique en France feint à trouver l’audace, l’énergie et la sapidité que lui fournissait Madame la ministre lorsqu’elle était en poste. Pourtant, à la faveur des débats sur l’instauration de la taxe carbone, la classe politique française, dans toutes ses dissimilitudes, trouve le encore le zèle qui lui est vital pour faire bloc autour de la question et donner matière à s’attirer les faveurs des médias pour remplir l’espace laissé vacant par Madame Dati. L’enthousiasme qui prévaut actuellement dans les salons et hémicycles parisiens n’a d’équivalent que le climat de quiétude politique qui régnait à la veille du référendum sur le traité établissant une Constitution européenne ; l’union sacrée des élus de la nation n’avait pourtant pas empêché les électeurs d’aller outre les ambitions affichées.

Les femmes et les hommes politiques, malgré toutes leurs bonnes volontés, gardent un déficit criant en matière d’originalité. À en juger par cet échantillonnage.

- Manque de fantaisie dans les mémoires de Jacques Chirac, qui l’oblige à différer l’édition de son livre, juste après l’apparition de Le Président et la princesse, autre livre, écrit par son prédécesseur Valéry Giscard d’Estaing. Chirac veut un best-seller, mais comment l’obtenir sans s’inscrire dans la dialectique de Mitterrand ? Faute d’une Mazarine figurant dans ses états de services à révéler à la France, il n’est pas si sûr que le lectorat soit curieux de savoir qui a coiffé, chaussé ou habillé Bernadette.

- Manque d’excentricité chez Nicolas Sarkozy, dont la compagne ne peut plus grand-chose pour vendre une popularité en baisse constante pour son mari de Président. À défaut, elle fait vendre sa propre image au corps dénudé qu’on retrouve collée à tout bout de champ, sauf au palais de l’Élysée ; c’est le geste à travers lequel on tente de sauver les meubles en préservant ce qui peut l’être de l’auguste image de la République. Une Carla Bruni romancière pourquoi pas ? Il lui faudra seulement réussir à l’épreuve de l’écrit, là où elle a échoué à l’oral. C’est-à-dire séduire un lectorat qui n’a guère apprécié l’entendre chanter. Entre-temps, Monsieur Sarkozy occupe son temps au nucléaire Iranien.

- Manque de style chez Dominique de Villepin, qui clame son innocence là où la justice ne l’a point accusé. Il trouve anormal qu’il soit mis en cause dans une affaire qui ne le concerne pas, mais tout à fait normal qu’il ponde un livre pour dénoncer une société écran, c’est-à-dire qui n’existe même pas. Affaire à ne pas suivre, sauf si l’on n’a rien d’autre à faire.

- Manque d’intérêt chez François Hollande, qui prend des airs de retraité depuis son retrait du secrétariat national du Parti socialiste et du domicile conjugal qu’il partageait en union libre avec Ségolène Royal. Plus rien ne semble l’intéresser en dehors de son image qu’il expose volontiers dans les pages de la presse people. Il annonce un livre pour dicter à Martine Aubry la manière de mener le débat au sein du son parti, chose qu’il avait du mal à concrétiser le long de la période où il était aux commandes du même parti. De plus, ce n’est pas avec sa « zigounette », qu’il traine sans retenue, que l’on consomme ses échecs et encore moins que l’on rédige ses déconvenues, car même après Royal, il y aura toujours une morale à préserver.

- Manque de singularité chez François Bayrou, qui ne sait décidément plus si son centre se trouve à sa droite ou bien à sa gauche. Dans ce cas, il propose au Parti socialiste d’adopter une philosophie capitaliste pour aboutir à une démarche « textualiste ». Il veut des interprétations en accord avec la signification que les doctrines avaient au temps de leurs révélations. J’avoue que l’homme est compliqué. Il propose des idées qu’il qualifie d’originelles tout en revoyant son monde à chercher le sens dans les intentions originelles de ceux qui les avaient faites. Le comble de la suffisance intellectuelle chez ce Monsieur est de croire qu’il peut faire apprendre aux autres ses idées par le seul fait de s’entendre homologuer. Ceux qui comptent lire son livre savent à quoi s’en tenir.

- Manque de diplomatie chez Bernard Kouchner, qui ne trouve plus le temps pour écrire un livre. Depuis qu’il livre ses avis aux multinationales, dans des rapports à 25 000 euros/pièce, le « French doctor » ne se juge plus capable physiquement pour transporter les sacs de riz ; seul le mental reste habile. Le mentor et aussi « impostor » de la politique, du point de vue de la langue de Shakespeare qu’il affectionne et qu’il n’hésite d’ailleurs pas à utiliser même lors de ses conférences de presse au Quai d’Orsay. La langue de Molière semble le gêner tant, pour accepter qu’à sa qualité de docteur, sans frontières et sans scrupule, soient collés les sobriquets de menteur et d’imposteur. Sa compagne Christine Ockrent trouve intérêt à couvrir les zones de conflits, où son mari s’octroie le droit d’ingérence, mais pas de conflit d’intérêts pour s’occuper de l’audiovisuel extérieur de la France, en étant l’épouse du ministre des Affaires étrangères.

- Manque de discernement chez Dominique Strauss-Kahn, le Directeur général du Fond Monétaire International qui, dans un réflexe quasi pavlovien, vient d’évoquer les années 1930 pour suggérer un dénouement à la crise financière actuelle. DSK estime, à juste titre, que lorsque la maison brûle il faut sortir la lance à incendie. Et en sa qualité de lance à incendie de l’économie mondiale, on doit le faire sortir d’urgence, avant que la planète Terre ne crame. Car prêter de l’argent aux banques, sans conditions, c’est tout juste de quoi permettre d’alimenter l’incendie. De toute façon, ce socialiste transfuge, qui refusait tout ce qui tourne autour de l’argent-roi, se tape à Washington les reines de l’argent ; plus personne ne semble le prendre au sérieux, hormis Anne Sinclair qui s’efforce encore pour lui assurer l’exclusivité d’une écoute sept sur sept.

- Manque de personnalité chez Raymond Domenech, qui trouve du mal à qualifier l’équipe de France à la phase finale de la coupe du monde 2010. Benzema et Naceri, d’origine algérienne, ne lui suffisent plus, ni pour le jeu, ni pour l’alibi. Il réclame de la Fédération de bloquer le transfert vers l’Algérie, leur pays d’origine eux aussi, de Meghni et Labda, sous prétexte qu’ils ont été formés en France et que la France a besoin de leurs services. Seul réconfort venant de chez Domenech : il ne compte pas écrire un livre. Ouf !

Théâtre microcosmique

Tous ces personnages du cercle très réduit du microcosme parisien gagneraient à se fabriquer un scoop au lieu d’assener les mentalités avec des justifications fallacieuses et surtout improductives. Ils ont tous l’avantage d’évoluer devant une galerie de France qu’ils font payer chèrement pour les voir à l’œuvre ; pour peu que ça dure, ils n’en demandent pas mieux ! Seulement voilà, chacun doit en contrepartie s’en saisir pour booster ses méninges. C’est à cette seule condition qu’ils peuvent se maintenir au devant de la scène, et ils le savent.

Tout comme ils n’ignorent pas que l’hexagone glorifie les frémissements et sollicite de son personnel politique qu’il lui fournisse les exclusivités les plus palpitantes qui soient. Quand on ne peut plus réfléchir, on doit deviner ; et si l’on n’a plus d’idées, on doit improviser. J’imagine mal comment ces gens peuvent faire pour s’en sortir indemnes, en dehors du fait qu’ils doivent inventer l’argument selon lequel chacun d’eux serait le père potentiel de l’enfant de Rachida Dati.


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