samedi 1er décembre 2007, par Charlie enchaîné
Être pauvre est un état, une norme statistique établie par rapport à une moyenne selon l’INSEE, mais aussi une condition : c’est quand la vie résiste — et d’abord par le détail. Les pauvres vivent comme des doigts gourds dans un troupeau de cintres. Quiconque a essayé de séparer des cintres enchevêtrés comprendra de quoi il s’agit. Quand vous croyez en avoir décroché un, l’autre le rattrape comme Achille par le talon. C’est pire s’ils sont vieux, tordus, en fer souple, entassés depuis des semaines ou des mois, squelettes d’élégance. Alors ils dévoilent toute leur méchanceté. On dirait qu’ils se vengent. Ils ne veulent plus porter aucune des panoplies qui feront de vous un homme. S’ils parviennent à s’unir, s’ils sont assez nombreux, et vous, plutôt fatigué, vous êtes cuit. Être pauvre, c’est vivre parmi les cintres.
« La vie des cintres », par Philippe Lançon, Charlie Hebdo n°806, 28/11/2007.