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Feuilleton

La réponse du « Canard » à la réponse de Sarkozy

vendredi 9 mars 2007, par Charlie enchaîné
mise à jour : dimanche 30 septembre 2007

Dans son édition du 7 mars 2007, le « Canard enchaîné » persiste et signe sur ce qu’il a appelé dès l’origine la « belle affaire immobilière de Sarko ». L’hebdomadaire consacre une nouvelle fois une page entière (la page 4) à cette affaire pour répondre à un courrier du « candidat-ministre-propriétaire ».

Le « Canard » apporte les preuves concrètes à ses accusations de la semaine précédente. Nicolas Beau et Hervé Liffran répondent aux quatre points d’une lettre que Nicolas Sarkozy a envoyé au journal en guise de défense. La suite du présent article reprend les titres employés par le « Canard enchaîné ».

Un audit inexistant. L’ancien député-maire prétendait, déjà depuis Madrid, avoir fait vérifier par les services des impôts que le montant qu’il allait alors payer pour son duplex était conforme au prix du marché. Or, comme l’explique le « Canard », l’“enquête”, menée par les services fiscaux des Hauts-de-Seine, dirigés à l’époque par Bernadette Le Bot, « n’a laissé aucune trace écrite. » Aux questions des journalistes, la directrice a même concédé que « tout s’est passé par oral. »

Des prix fantaisistes. Le ministre d’État se défend par ailleurs d’avoir bénéficié d’un tarif au mètre carré avantageux par rapport aux prix pratiqués alors, en le comparant à celui de deux autres appartements du « même immeuble » et à la « même période ». Mais, selon le « Canard enchaîné », qui est allé vérifier sur place, le premier se trouve « dans un bâtiment voisin (et de standing inférieur). » Quant au second, il coûtait effectivement moins cher, et pour cause : « une bonne partie de ce logement longe... la rampe d’accès au parking de la résidence. »

La preuve par la facture. L’hebdomadaire satirique reproduit trois documents qui étayent ses accusations concernant les aménagements effectués au rabais par le groupe Lasserre pour le compte de l’ancien maire, qui dit avoir payé 600 000 francs pour ces travaux. Or une première facture affiche un montant très largement supérieur à un million de francs (hors-taxe) pour les prestations obtenues. Le « Canard » démontre que Nicolas Sarkozy n’a payé que 400 000 francs pour ces travaux supplémentaires en présentant la facture « non révisable » réellement acquitée par le ministre de l’Intérieur, ainsi qu’une lettre adressée à Denise Lasserre dans laquelle il l’enjoint de régler un « conflit qui ne [le] concerne en rien » avec la société Artisy, qui avait réalisé une partie des équipements.

L’esprit d’escalier. Pour enfoncer le clou, le journal ironise sur le fameux « escalier de chêne » du désormais ancien duplex de Nicolas et Cecilia, payé 72 360 francs à un artisan. Les journalistes nous apprennent, d’après ce dernier, que l’escalier « n’était pas du goût » du couple, qui aurait bénéficié d’une nouvelle remise d’environ 30 000 francs de la part du promoteur immobilier Lasserre.

P.-S.

Nicolas Sarkozy fait l’objet, dans cette édition du « Canard enchaîné », d’un traitement “exceptionnel”. En effet, outre l’intégralité de la page 4 consacrée à la réponse au candidat, un éditorial conséquent, intitulé « Prenons de la hauteur », publié en une du « Canard » et signé de la “plume” du journal [1] - c’est dire ! - fustige l’attitude du ministre face aux accusations de l’hebdomadaire. Ce texte raille notamment le « militant de la transparence » qui « n’a rien à cacher », le « chevalier blanc » qui s’est fait des « vilaines taches sur [sa] cape ».

Le « Canard » loue, avec une ironie non dissimulée, un « homme qui gère aussi bien son patrimoine » car il « montre à tous qu’il saura gérer la France au mieux de nos intérêts. » Mais, l’hebdomadaire satirique, qui va beaucoup plus loin que le “mélange des genres” évoqué à la fin du premier article de Charlie enchaîné à ce sujet, emploie les expressions grossières de « prise illégale d’intérêt » et « corruption passive » pour parler de la « bonne affaire » du candidat, laissant « aux juristes et aux procureurs » le soin de trancher [2].


Dans « Libération » (02/03/2007), Daniel Schneidermann, à travers un billet intitulé « Des médias sans journalisme », rendait hommage au travail d’investigation du « Canard enchaîné ». Il y écrivait notamment ceci :

Certains jours, on dirait qu’il n’existe en France qu’un seul journal : le Canard enchaîné. On va se récrier. Tous ces journaux ! Tous ces hebdos, qui nous révèlent tout sur le pétage de plombs aérien de Delarue ! Toutes ces claironnantes radios du matin ! Toutes ces chaînes de télé, avec leurs panels de vraies gens ! Tout ce déploiement de pluralisme, que le monde nous envie !

Certes. Mais se rendre au service de la conservation des hypothèques, et donner le prix de l’appartement acheté en 1997 par l’actuel favori de l’élection présidentielle, à un promoteur bien en cour à la mairie de Neuilly ; comparer le prix du mètre carré de cet appartement à celui des appartements voisins ; livrer le détail des largesses supposées du promoteur au maire de Neuilly et futur candidat, une bibliothèque en chêne avec six pilastres cannelés, des portes de placards recouvertes de miroirs fumés, un dallage de marbre, des marches d’escalier en chêne ciré, une terrasse-jardin à jouissance privative ; solliciter la réaction du candidat, et citer son directeur de cabinet expliquant, pour justifier la non-réponse, que « la lettre a été égarée » ; rappeler que le candidat avait promis en janvier dernier de publier le détail de son patrimoine et ne l’a toujours pas fait : seul un journal en France s’y attelle, et c’est le Canard enchaîné.

Derrière, il faut les voir, tous les autres médias, suivre la danse du Canard, et faire coin-coin derrière lui. Plus ou moins vite. Avec plus ou moins d’agilité et de conviction. Tous ensemble. Tous en file indienne. Les agences de presse reprennent. Les chaînes de télévision filment la façade de l’immeuble. Interrogent parfois les copropriétaires, ou des agents immobiliers choisis au hasard, qui fournissent des réponses, des estimations invérifiables. Les embedded de Sarkozy racontent avec force détails sa crise de fureur au cours du voyage à Madrid, dans sa première réaction aux révélations. Les auditeurs auront le droit de savoir qu’il était « en nage » quand il est venu répondre dans la salle de presse. On aura le droit de savoir comment les micros et les caméras ont été coupés pendant la riposte sarkozyenne. En face, les embedded des autres candidats recueillent la non-réaction des autres candidats, et se demandent avec pertinence si le camp d’en face ne craindrait pas, par hasard, les révélations du volatile annoncées pour la semaine suivante. Gravement, avec la solennité requise, les éditorialistes commentent. Une moitié déplore « qu’on ait atteint le niveau du caniveau ». L’autre moitié se réjouit que « la transparence se fasse enfin ». La revue de presse matinale de France Inter prend bien soin de citer l’éditorialiste qui dit noir, après l’éditorialiste qui dit blanc, dans son irréprochable démonstration de l’irréprochable pluralisme de la presse française. On se demande comment ils se mettent d’accord, les éditorialistes de la presse régionale, cités par la revue de presse de France Inter. Se concertent-ils chaque soir, pour tirer à pile ou face ? « Demain, tu dis blanc et moi noir. Après-demain, on inverse. » Mystère.

Son article se conclut par ces mots :

(...) si le journalisme est en train de disparaître du paysage de cette campagne électorale, c’est qu’il s’autoefface, écrasé par ses propres faiblesses, inhibé par ses erreurs passées. Parce qu’il s’est renfermé sur une sorte de commentaire hippique permanent, seulement capable de regarder passer les sondages, et de solliciter des réactions sur les stratégies de second tour, les crocs-en-jambe, les petites phrases et les réactions aux petites phrases. Parce qu’aucun journaliste n’ose, ne pense, n’a envie d’aller enquêter au service des hypothèques des Hauts-de-Seine, pourtant ouvert au public.

Notes

[1] Il s’agit d’un dessin représentant un buste de canard étant enchaîné au niveau du col tout en tenant une plume dans son bec. Ce genre d’éditorial correspond généralement à une prise de position de la part du « Canard enchaîné ».

[2] Voir cet article (et celui-ci) pour une citation plus conséquente de cette partie de l’éditorial.


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