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Dérive

La « rétention de sûreté » pour les présumés futurs coupables

vendredi 25 janvier 2008, par Charlie enchaîné
mise à jour : mardi 5 février 2008

« En quelques heures, le système judiciaire français aura basculé. Le 10 janvier, à 2 h 30 du matin, dans un hémicycle désert, sans cri ni manifestation. » (Louis-Marie Horeau)
« Cette [nouvelle loi Dati] fait s’écrouler deux piliers fondamentaux de la justice, qui soutenaient l’édifice depuis le siècle des lumières : la présomption d’innocence et la non-rétroactivité des lois. » (Marine Chanel)
Explications.

Un article en une du Canard enchaîné (« Taulard et la la manière », par Louis-Marie Horeau) et un long article de Charlie Hebdo (« Prise d’otages à l’Assemblée — La loi Dati tient les victimes », par Marine Chanel), dans leurs éditions du 16/01/08, revenaient sur « le projet de loi sur “la rétention de sûreté” (...) adopté la semaine [précédente] par les députés. »

Dans Le Canard, Louis-Marie Horeau fait part de « quelques amendements sournois [qui] ont modifié le texte » initialement prévu, à savoir « garder chaque année au frais “entre dix et quinze criminels dangereux” après la fin de leur peine ». Le projet de loi visait en particulier les pédophiles, potentiellement récidivistes. Marine Chanel, dans Charlie, explique que « cette loi Dati (troisième du nom en moins de sept mois) fait suite à deux événements tragiques : le viol du petit Enis et le double assassinat des infirmières de Pau. » « Oui, c’est une loi de circonstance ! », revendique le rapporteur du texte Georges Fenech, qui « assume », avec la majorité, sa position au côté des victimes et de leurs familles [1].

Conséquence, le périmètre de la loi a été étendu, par les député, à « tous les criminels condamnés à au moins quinze ans, pour atteinte à la personne », écrit Louis-Marie Horau. Du coup, ce sont « plusieurs milliers de condamnés » qui seront concernés, estime le journaliste du Canard, du fait de la rétroactivité, souhaitée par Rachida Dati, de la loi. « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit », indique l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, invoqué par Marine Chanel, qui rappelle que ce principe a déjà été bafoué en France. « C’était pour les Sections spéciales, du temps de Vichy », écrit la journaliste.

« Sans rémission »

Quant à la présomption d’innocence, elle est supplantée dans ce nouveau texte par un concept de « présomption de culpabilité ». En effet, « les criminels pourront être condamnés à une nouvelle peine avant même d’avoir récidivé si les psychiatres estiment qu’ils sont toujours dangereux », explique Marine Chanel. « À la fin de leur peine, ils seront “rejugés”, non pas par un tribunal indépendant, mais par une “commission” », précise Louis-Marie Horeau, « pour [des actes] qu’ils sont susceptibles de commettre ». Ce qui entraîne, de fait, « une possible perpétuité, sans rémission ».

Dans un encadré contextuel à l’article de Charlie (« Gauche, es-tu là ? »), Marine Chanel critique l’opposition parlementaire, sous-représentée au moment de voter les amendements décisifs : seulement « cinq députés, sur les 228 que compte la gauche, étaient présents dans l’hémicycle pour faire entendre leur voix ». La journaliste renvoie aux socialistes l’argument, utilisé pendant la campagne des législatives, selon lequel ils entendaient « éviter que la droite ne concentre tous les pouvoirs au Parlement ».

Face aux députés de droite, dont une partie voudrait aller jusqu’à rétablir la peine de mort, il ne reste donc plus que le Sénat [2] et l’« obstacle » du Conseil constitutionnel. Deux institutions dont les membres et personnalités sont... majoritairement de droite, et n’ont pas retiré de la loi sur la « maîtrise de l’immigration » l’amendement qui instaure les tests ADN (ni nombre d’autres dispositions moins médiatiques, mais pas plus sympathiques, à l’encontre du droit d’asile).

P.-S.

À lire, sur le blog de Maître Eolas, des explications techniques sur la rétention de sûreté, et sa réaction au lendemain du vote par les députés.

À voir, M le maudit, un film de Fritz Lang terriblement d’actualité (1931), notamment la fin (peut-on punir un homme qui n’est pas responsable de ses actes ?)... Film en intégral ci-dessous, en version originale (allemand) sous-titrée (anglais).

Internet Archive : M - Eine Stadt sucht einen Moerder

Notes

[1] Sur l’utilisation des faits divers à des fins politiques, lire « Information ou instrumentalisation ? Le Figaro, Le Parisien et les criminels récidivistes » (Acrimed).

[2] Le Sénat s’est opposé à l’introduction de la rétroactivité. Non seulement par principe (un peu), mais pour éviter la « censure » du texte par le Conseil constitutionnel (surtout). En revanche, la remise en cause de la présomption d’innocence ne semble pas avoir ému outre mesure nos très honorables sénateurs.


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