samedi 30 mai 2009, par Jeddo
Marre de devoir vous déplacer jusqu’à la boulangerie dans le grand froid le dimanche matin, mal réveillé, mal rasé ? La machine à pain — MAP pour les intimes — est faite pour vous. Avec cette merveille technologique, la vie devient plus facile. Plus besoin de sortir juste pour aller chercher la baguette : vous confectionnez vous-même votre pain maison, vous gagnez du temps et de l’argent !
Cette publicité imaginaire, reconstituée à partir d’arguments véridiques, vante les mérites du nouveau gadget devenu indispensable à la maison, objet de frime qui compile la plupart des tares induites par la croissance économique : produit tendance faussement innovant, utilisation prétendument ludique, obsolescence programmée et baisse de prix orchestrée, etc.
La machine à pain s’adresse avant tout au flemmard désireux d’épater la galerie à moindre frais — du moins en faisant le moins d’effort possible. L’opération consiste à mettre les ingrédients nécessaires à la fabrication du pain (farine, levure, eau, sel) dans le récipient prévu à cet effet, puis d’appuyer sur quelques boutons. Au bout de quelques heures, c’est prêt. L’utilisateur peut ainsi s’approprier le travail réalisé par la machine et s’autoproclamer boulanger : « Admirez mon pain maison ! »
Le pain fabriqué dans ces machines a d’abord le goût de l’autosatisfaction ; personne parmi les convives n’osera faire remarquer au boulanger amateur que son pain sent la levure, que sa croûte est dure comme de la brique, que sa mie ne respire pas, bref, qu’il est dégoûtant. L’hôte pourrait sentir sa fierté de faire son pain soi-même contrariée.
Quand bien même le pain fabriqué en machine serait aussi bon que celui pétri à la main par un artisan boulanger — ce que d’aucuns osent affirmer —, l’utilisation des MAP est une catastrophe écologique doublée d’un échec social. L’individualisation et la mécanisation de ce moyen de production usuellement collectif et humain nourrissent l’illusion que ses utilisateurs pourraient vivre en autarcie en maîtrisant la fabrication du pain. Cette attitude pour le moins égoïste implique en outre la multiplication des machines à pain — donc d’un potentiel de déchets électroniques dangereux — en même temps que la disparition des boulangeries traditionnelles devenues progressivement obsolètes. Les consommateurs préfèrent peut-être entretenir un contact chaleureux avec les hôtes de caisse en grande surface — eux aussi condamnés à disparaître à terme — où ils achètent ce dont ils ont besoin pour faire leur pain (« Vous avez une carte de fidélité, un ticket de parking ? »), que d’affronter quotidiennement une conversation forcément futile avec le commerçant du coin et ses clients (« Comment allez-vous ? », « Quel beau temps aujourd’hui ! »)...
Un autre argument avancé par les promoteurs des MAP est que l’utilisateur a l’avantage de connaître les ingrédients utilisés pour la confection du pain. De ce fait, la machine à pain satisferait ceux qui ont l’habitude de manger bio (sic) et donc la réputation de surveiller leur alimentation. Il est bien connu que tous les artisans boulangers — ces fabricants de poison — sont manipulés par les lobbies de l’agroalimentaire, sans compter que tout ce petit monde fait évidemment parti du complot judéo-maçonnique qui règne sur la planète.
Sous prétexte que le prix du pain augmente, une MAP — une telle machine coûte en moyenne entre 50 et 150 euros — serait, selon ces mêmes promoteurs, amortie en quelques mois. Mais c’est faire abstraction d’une part du fait que l’énergie consommée par ces machines a un impact écologique qui va au-delà du simple coût de l’électricité dépensée pour la fabrication du pain, et d’autre part qu’il existe un effet naturel de surconsommation : on a acheté la machine, il faut bien qu’on l’utilise pour la rentabiliser.
Qu’on se rassure, toutefois, il reste bien un espoir. De nombreux utilisateurs insatisfaits — ou lassés — fréquentent de nouveau leur boulangerie et ont remisé leur MAP au placard ou à la déchetterie. Dommage que ceux-ci n’aient pas réfléchi plus tôt à la pollution qu’ils allaient fatalement engendrer avec cette saloperie.
Jeddo