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La bibliothèque municipale de Lille préfère s’abonner à Siné Hebdo plutôt qu’à Charlie Hebdo

mercredi 17 février 2010, par Charlie enchaîné, Jeddo
mise à jour : samedi 7 février 2015

Depuis le début de l’année 2010, les lecteurs de la médiathèque Jean Lévy à Lille ont la possibilité de feuilleter un nouvel hebdomadaire satirique paraissant le mercredi en plus du Canard enchaîné : Siné Hebdo. En revanche, son concurrent Charlie Hebdo ne figure pas parmi les périodiques que l’on peut consulter sur place. Quelque peu surpris par cette nouveauté, Charlie enchaîné a voulu en savoir plus sur les motivations de la bibliothèque municipale de Lille.

Photo © Wikimedia commons / Velvet

Mots-clés : Lille, Siné Hebdo

La bibliothèque municipale de Lille (BM), c’est un réseau composé de huit médiathèques (une par quartier) et d’un bibliobus itinérant. Pour les habitants de Lille et de ses deux communes associées Lomme et Hellemmes, l’inscription est gratuite et valable pour un an. Selon le site Internet de la mairie de Lille, la bibliothèque municipale « met à disposition du public plus de 700 000 documents ». Cerise sur le gâteau, la BM a mis en place depuis septembre 2009 le prêt illimité, pour une durée de trois semaines (renouvelable une fois), de tous les documents empruntables hormis les DVD.

La médiathèque Jean Lévy (photo ci-dessus) est la médiathèque centrale du réseau. Outre son immense collection de documents (650 000 y sont conservés), elle dispose d’une salle des périodiques qui propose un choix important de journaux, revues et magazines. D’après le site Internet de la BM, le réseau compte « 667 abonnements pour un budget de 51 000 euros pour l’ensemble des médiathèques de la ville de Lille », dont « plus de 80 » en libre accès à la médiathèque Jean Lévy. Autant dire qu’on y trouve tout… ou presque.

Bibliothèque municipale de Lille Parmi les derniers abonnements souscrits par la bibliothèque municipale de Lille, on retrouve l’hebdomadaire Siné Hebdo — journal bien connu de nos lecteurs. À l’occasion d’une visite courant janvier 2010, nous avons en effet pu constater sa présence en salle des périodiques, bien en évidence aux côtés de titres comme Le Monde, Le Figaro, Les Échos, Le Monde diplomatique, Le Canard enchaîné et quelques autres. A priori, il n’y a rien d’anormal à trouver Siné Hebdo dans la principale médiathèque de la ville de Lille. Si ce n’est que, curieusement, on ne trouve aucune trace (ou presque) de Charlie Hebdo dans cette même médiathèque.

C’est pourquoi nous avons questionné la bibliothèque sur la présence du premier et l’absence du second. Un questionnement jugé « pertinent » par Thierry Caillier, en charge du service des abonnements de journaux à la médiathèque Jean Lévy. « La bibliothèque n’a jamais été abonnée à Charlie Hebdo », indique M. Cailler. Celui-ci ajoute : « Nous en possédons une collection lacunaire (1972-2009) que nous avons reçue en don. » [1] Dont acte : il est donc possible de consulter quelques numéros sur demande.

Siné Hebdo : plus indépendant, plus libre, plus impertinent ?

Nous avons demandé à la bibliothèque des précisions sur sa politique d’abonnement aux journaux. Voici ses explications :


- « Notre budget consacré aux abonnements papier est très juste. La règle impérative pour souscrire un nouvel abonnement est de résilier un précédent abonnement ou de récupérer l’argent d’un abonnement qui n’a pu être servi par notre fournisseur. »
- « Si nous avions eu l’argent pour nous abonner à deux journaux satiriques, nous aurions pris, par souci de pluralisme et d’équité, un périodique de l’autre bord. Par exemple Le Crapouillot, mais celui-ci a disparu des kiosques en 1996. La volonté de la bibliothèque municipale de Lille est de proposer une vision équilibrée de la presse écrite et sans parti pris. »
- « Notre offre de quotidiens va dans ce sens : vous pouvez lire chez nous L’Humanité, Libération, Le Monde mais également Le Figaro, Aujourd’hui en France, Les Échos et La Croix. Il en va de même pour nos hebdomadaires. »

Soit. Mais pourquoi avoir souscrit un abonnement à Siné Hebdo plutôt qu’à Charlie Hebdo, qui est une publication plus ancienne ? Sur ce point, Thierry Caillier nous a livré trois arguments que nous jugeons discutables. À vous, chers lecteurs de Charlie enchaîné, de nous faire part votre avis.

« Alors que le coût de l’abonnement est quasi identique et que ces deux titres peuvent être livrés sans difficulté par notre fournisseur de journaux, il nous a semblé que Siné Hebdo possédait encore l’esprit qui avait présidé à la création de Charlie, devenu beaucoup plus “institutionnel” à l’instar du Canard enchaîné, à savoir une indépendance farouche à l’égard de tous les pouvoirs et une liberté de ton qui s’est érodée au fil du temps chez son concurrent. »

Pourquoi pas. Cela dit, on voit mal en quoi Siné Hebdo serait aujourd’hui plus indépendant que Charlie Hebdo « à l’égard de tous les pouvoirs ». On s’est beaucoup gaussé du lien amical entre l’ancien directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, Philippe Val, et l’actuelle épouse du président de la République, Carla Bruni. Mais le départ de Philippe Val pour la direction de France Inter en juin 2009 a soulagé l’hebdomadaire de tout soupçon à l’égard du pouvoir politique.

Philippe Val et Caroline Fourest Reste le pouvoir médiatique. L’affaire des caricatures, à partir de février 2006, a rendu célèbres le journal et certains de ses collaborateurs, en particulier Philippe Val et Caroline Fourest. Mais tous deux ont quitté l’hebdomadaire l’année dernière et, par ailleurs, les apparitions médiatiques des autres journalistes, chroniqueurs et dessinateurs — on pense à Bernard Maris, Patrick Pelloux ou Charb — se sont amenuisées. À l’inverse, depuis le lancement de Siné Hebdo en septembre 2008, Siné intervient fréquemment dans les médias. De plus, de nombreuses signatures de son hebdomadaire, comme Guy Bedos, Didier Porte, Christophe Alévêque, Isabelle Alonso, Michel Onfray, ou encore Philippe Geluck, ne sont pas précisément des inconnus du grand public…

Quant à la « liberté de ton », quiconque a lu les deux hebdomadaires rivaux ces dernières semaines peut décemment affirmer que ni l’un ni l’autre ne peut s’en arroger l’exclusivité. Rappelons, à tous égards, ce que Siné confiait au JDD quelques jours avant la parution du premier numéro de Siné Hebdo :

« On va faire ce qu’aurait dû être Charlie Hebdo aujourd’hui. Il n’y aura aucun tabou : on chie sur tout, on est complétement libre. Il faut être politiquement incorrect. Le seul bémol, c’est qu’il faut éviter les procès parce qu’on n’a pas les moyens financiers d’y faire face. »

Après près de 80 numéros, le bilan est de zéro procès intenté contre Siné Hebdo. Qu’il semble bien loin le temps du professeur Choron, qui réclamait « un procès chaque semaine »… Bref, il ne suffit pas de revendiquer un héritage ou une filiation pour en être le dépositaire ou le garant.

Un choix affectif

Le second argument avancé par M. Caillier a justement rapport avec l’état supposé des finances du journal :

« Nous voulions aussi donner une chance de visibilité à un hebdomadaire encore très jeune et dont la pérennité est loin encore d’être assurée. »

On l’a vu, aucun procès n’a pour l’instant ruiné Siné Hebdo. Le journal a diffusé en moyenne entre 50 000 et 55 000 exemplaires chaque semaine durant sa première année d’existence [2]. Dans le même temps, Charlie Hebdo a diffusé entre 40 000 et 43 000 exemplaires, auxquels il faut ajouter 13 000 abonnés [3]. Aucun des deux hebdomadaires ne semble donc plus que l’autre prêt de mettre la clef sous la porte, contrairement à Bakchich Hebdo, qui aura connu un lancement nettement plus chaotique que Siné Hebdo.

{Siné Hebdo} hors-série n°2 D’ailleurs, la dynamique apparaît plus favorable à Siné Hebdo qu’à Charlie Hebdo. Bien que chahuté par plusieurs éditorialistes au moment où a éclaté l’affaire Siné, le dessinateur a bénéficié d’un grand élan de sympathie, notamment sur Internet, qui lui a permis de lancer son journal. Depuis, Siné a comblé son déficit de notoriété [4] et la percée de Siné Hebdo est indéniable. Au contraire, les critiques à l’encontre de Charlie Hebdo et de son ex-directeur Philippe Val étaient vieilles de dix ans et l’hebdomadaire a pâti du départ de son dessinateur historique, entraînant une vague de désabonnements et une dégradation de son image. Aujourd’hui, il semblerait que Charlie Hebdo soit dans une position moins confortable que son cadet. Évidemment, nous n’avons pas eu accès aux comptes des deux hebdomadaires, et l’on se gardera bien de tirer quelque conclusion définitive de cette intuition.

Troisième et dernier argument donné par Thierry Caillier :

« Nous souhaitions donner un coup de chapeau à Siné qui, à 82 ans, reste le révolté iconoclaste, intègre et droit dans ses bottes. »

Il s’agit là, pour nous, de l’argument décisif, étant donné que les deux précédents nous apparaissent assez peu convaincants. La balance aura donc penché en faveur de Siné Hebdo, à notre sens, en raison de critères affectifs plutôt qu’objectifs. Voici ce que répond la BM lorsqu’on le lui fait remarquer :

« Considérant que Siné Hebdo et Charlie Hebdo ont un référentiel commun, il nous a fallu faire un choix difficile et en partie arbitraire. Ceci étant, si nous nous étions abonnés à Charlie Hebdo au lieu de Siné Hebdo, vous auriez pu tout aussi bien nous retourner des arguments similaires. »

Certes, on peut difficilement disconvenir du « référentiel commun » entre les deux publications. Mais la médiathèque n’a jamais été abonnée à Charlie Hebdo, comme le rappelait notre interlocuteur. Elle aurait pu l’envisager bien avant la création de Siné Hebdo. Au demeurant, le « révolté iconoclaste » Siné n’était-il pas un « pilier » de son ancien hebdomadaire ?

La bibliothèque affiche sa préférence dans un climat tendu

La difficile relation entre les deux journaux — rappelons-en les principaux éléments : licenciement de Siné, création de Siné Hebdo, copie avérée de pétition, soupçons de plagiat (réitérés le 10/2 par Siné) — paraît condamnée à demeurer au mieux inamicale, au pire belliqueuse. Siné, dans sa « zone », brocarde fréquemment son ex-maison (il en souhaite purement et simplement la disparition) ; celle-ci se refuse pour l’instant à étaler dans ses colonnes quelque ressentiment que ce soit à l’égard de Siné et de ses collaborateurs.

C’est dans ce contexte qu’elle ne peut ignorer que la bibliothèque municipale de Lille affiche clairement sa préférence pour Siné Hebdo. Nous ne contestons pas ce choix en tant que tel — il est effectivement « difficile » de trancher tant les deux journaux se ressemblent —, mais nous n’avons pas été pleinement convaincus par les réponses apportées par la BM quant aux raisons qui y ont présidé.

Qu’une bibliothèque municipale s’abonne à Siné Hebdo plutôt qu’à Charlie Hebdo paraîtra sans doute anecdotique aux yeux de beaucoup — ces journaux ne représentent finalement « que » 100 000 lecteurs, voire moins si l’on décompte ceux qui lisent les deux —, mais ce choix et surtout la justification donnée par un responsable nous ont semblé symptomatiques de l’image véhiculée par les deux hebdomadaires satiriques au sein de l’opinion publique.

Notes

[1] Le catalogue de la BM fait également état d’un petit nombre d’exemplaires de La Grosse Bertha, hebdomadaire satirique éphémère (moins de 100 numéros en 1991-1992) qui a précédé la renaissance de Charlie Hebdo.

[2] 2 700 000 exemplaires vendus selon le hors-série n°2 de septembre 2009. Le nombre d’abonnés n’est pas précisé (« des milliers »).

[3] Chiffres communiqués par Charb au Nouvel Économiste en octobre 2009.

[4] On plaisante bien sûr.

Disons que Siné aura pu fêter plus dignement ses 60 ans de carrière que ses 59…

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5 Messages de forum

  • Val est peut-être parti à France inter mais il est l’actionnaire principal de charlie hebdo. Et à ma connaissance dans tout bon système capitaliste qui détient le capital détient le pouvoir ! Que le capital soit gelé ou non... Donc l’actionnaire principal du journal a été nommé par le président de la république. ce qui est un gage d’indépendance certain !

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    • L’« actionnaire principal » de Charlie Hebdo Philippe Val a donc certainement apprécié que « son » journal écrive, le 13 janvier dernier :

      France Inter Philippe Val, directeur de France Inter, estime que la radio qu’il dirige « coûte cher à l’actionnaire » Sarkozy. Val se trompe sur l’identité de l’actionnaire, mais a raison sur le coût de sa radio. Le peuple, véritable actionnaire de France Inter, pourrait faire une économie en réduisant le salaire du directeur…

      À moins qu’il soit lui-même l’auteur de cette brève ? Qui sait, il voulait peut-être faire passer un message dans « son » journal… Philippe Val est peut-être aussi l’auteur de la brève suivante, parue dans le numéro du 20 janvier :

      Reconversion La semaine dernière, Philippe Val, directeur de France Inter, s’était fait tancer pour avoir averti seulement deux jours avant son départ en vacances Patricia Martin d’une modification d’horaire de son émission. Val avait alors expliqué : « J’ai été débordé et je n’ai pas eu le temps de les prévenir. » Outre-Atlantique, chez CBS, ce n’est pas beaucoup mieux. Anthony LaPaglia, interprète de Jack Malone, le héros de FBI : portés disparus, est lui aussi très en colère car la série a été définitivement arrêtée, « sans même nous en parler », se plaint-il. Conclusion : après France Inter, Val pourra toujours postuler chez CBS.

      Décidément, l’« actionnaire principal » de Charlie Hebdo ne tient plus « son » journal…

      À moins que, oui, mais c’est bien sûr, ce n’est pas Val qui tire les ficelles, c’est Sarkozy ! En effet : Nicolas Sarkozy, président de la République, est l’« actionnaire principal » de France Inter (dans la tête de Philippe Val) ; Philippe Val, directeur de France Inter, est l’« actionnaire principal » de Charlie Hebdo ; donc en fait c’est le président de la République qui est l’« actionnaire principal » de Charlie Hebdo. Logique, non ?

      Ces deux unes sont là juste pour faire diversion. Il paraît que c’est Carla Bruni qui en a eu l’idée, qui l’a soufflée à son ami Philippe Val, et que celui-ci a commandé à « ses » employés Luz et Riss (qui n’ont aucune liberté) de les dessiner pour faire plaisir à Carla…

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      • En tout état de cause, votre parti pris "subjectif" pour Charlie dans cette querelle désolante est tout aussi patent que celui du directeur de la BM pour Siné... Au-delà des quelques citations que vous mettez en avant, il me paraît difficilement niable (à défaut de pouvoir l’objectiver à l’arrache depuis mon poste) que Charlie conserve une posture un brin plus institutionnelle que son cadet, ne serait-ce qu’à travers son traitement pour la politique politicienne (les articles de A.-S. Mercier pourraient figurer ailleurs que dans Charlie, ceux des chroniqueurs de Siné, par leur côté "caca-boudin" parfois frustrant, parfois amusant, moins...)

        Cela étant dit, Onfray est en train de prendre à Siné la position du philosophe en surplomb éclairé qu’affectionnait Val...

        Amicalement, et bonne continuation pour votre site, très agréable.

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        • Merci de votre commentaire.

          Le monsieur en question n’est pas directeur de la BM, il s’y occupe de l’étude et du renseignement bibliographique, et est chargé du service des abonnements de journaux à la médiathèque Jean Lévy. Il est important de le préciser.

          Bien que subjectif — ce qu’on peut admettre —, notre propos se veut au minimum nuancé.

          Par ailleurs, on peut difficilement vous donner tort sur l’écriture d’Anne-Sophie Mercier, qu’on pourrait qualifier de, disons, “scolaire”. D’une manière plus générale, la satire à Charlie Hebdo ou à Siné Hebdo n’a pas le même “goût” qu’au Canard enchaîné. Chez ce dernier, on sent à la lecture une certaine unité (elle est voulue et travaillée) qu’on ne perçoit pas chez les deux autres, où chaque plume a son style propre. Il est d’ailleurs assez plaisant de voir cohabiter A.-S. Mercier et, par exemple, Fabrice Nicolino à quelques pages d’intervalle, comme il l’était de lire l’édito de Val p. 3 et la chronique de Siné p. 14.

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          • Et puis franchement, entre Geluck, Alévêque et Alonso, sans parler de Didier Porte, Guy Bedos et Michel Onfray à la rigueur, on ne peut pas dire que Siné Hebdo soit totalement hors de l’institutionnalisation !

            Et si on cherche du "pipi-caca" salutaire dans Charlie, il reste Maurice et Patapon de Charb, la Chose de Luz, voire, par les dialogues, la Vie secrète des jeunes de Sattouf, sans parler d’autres dessins occasionnels. Et l’arrivée de Foolz ou de Coco ne va rien "arranger", je le crains, pour ceux qui n’aiment pas voir des bites dessinées dans leur journal ! Et c’est tant mieux !

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