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Le délit de « maladerie » pour soigner les maladresses de l’Assurance maladie

mercredi 21 décembre 2011, par Hadi Taibi

Le travail c’est la santé. C’est ainsi qu’est établi le rapport entre le travail en tant qu’activité économique et la santé en tant que notion de bien-être physique, mental et social ; les deux seraient directement proportionnels. Plus on travaille et mieux on se porte. Avec le concept de son « gagner plus », le président de la République permet donc à ceux qui consentent à « travailler plus » de joindre l’utile sanitaire à l’agréable pécuniaire. Ceci n’empêcherait toutefois pas d’observer quelques précautions : il faut manger cinq fruits et légumes par jour, en évitant, bien évidemment, à ce qu’ils ne soient ni trop sucrés, ni trop salés, ni trop gras.

(Illustration : visual07 / Flickr.)

Dès lors qu’un travailleur arrive à réunir tous ces outils de fortune économique et de prospérité physique, la nature humaine aspire à lui faire franchir une nouvelle étape. Durant la suivante, on passe son temps à chercher le temps nécessaire pour faire son marché, s’approvisionner en fruits et légumes, préparer ses repas, les déguster à son aise, les digérer au rythme qu’exige l’anatomie du broyage et, si possible, pratiquer une activité sportive qui assure la forme optimale aux hommes et la ligne parfaite aux femmes.

Ceux qui n’ont pas encore eu la chance de décrocher un job, peuvent toujours s’occuper à vagabonder entre les deux « boues » du système en faisant un peu de sport et pas trop de bruit. Tant qu’il y a la vie, il y a l’espoir ; le rallongement de la durée de vie, fait durer le plaisir d’espérer.

Le physique ne l’entend pas de cette oreille. Les têtes subissent pareillement les affres aussi bien des ventres creux que des ventres bourrés. Des centaines de milliers de travailleurs et autant de chômeurs sont ainsi cloués annuellement au lit. Les uns s’orientent vers l’automédication et les autres recourent aux recettes de grand-mères. Les deux catégories manipulent ce qu’ils comptent de plus précieux, leur santé, chacun selon ses moyens de bord, pour se remettre d’aplomb. Les cas les plus sérieux résistent autant aux molécules pharmacologiques qu’aux produits herboristes. La nuit fût bien longue. Dès la levée du jour, on rend visite à son médecin traitant ; il consulte, papote, diagnostique, suspecte, demande des examens complémentaires, vérifie, confirme et estime que le patient nécessite du repos. Il le lui prescrit.

À ce niveau, c’est l’Assurance maladie qui ne l’entend plus de cette oreille. Le travailleur souffrant depuis hier soir, mis en arrêt de travail sur prescription de son médecin à compter d’aujourd’hui, ne peut être considéré comme effectivement malade qu’à compter de demain. Faut-il encore qu’il soit fonctionnaire. Car, si notre patient fait partie des 85% des assurés qui œuvrent dans le secteur privé, il serait carrément impoli de lui souhaiter un prompt rétablissement, du fait qu’il ne sera officiellement malade qu’à partir du cinquième jour de sa convalescence. Durant les quatre premiers jours, il se contentera d’observer le repos tout en se cantonnant dans sa nouvelle condition de « présumé malade ». Et si, par « malheur », il guérit avant le début officiel de sa maladie, il sera rapidement débusqué et constituera la preuve matérielle de l’existence de pratiques frauduleuses.

Voilà comment « frauder » devient « voler ». Il suffit, en effet, à l’administration sociale de prouver qu’un des ses assurés soit malade (élément matériel de l’infraction), qu’il soit intentionnellement tombé malade dans le but de tirer profit ou par simple envie de nuire aux finances d’autrui (élément moral de l’infraction) et pour conclure le tout, Sarkozy ramène sa loi, dissuasive pour ceux qui envisagent de céder à la maladie et répressive à l’endroit de ceux qui oseront franchir le cap (élément législatif de l’infraction) ; il ne reste plus qu’à établir un lien de causalité entre le fait de tomber malade et le résultat de percevoir des indemnités journalières, et l’on assiste à la naissance, sous nos yeux, du délit de « maladerie ».

Visionnaire ou chimérique, Mirabeau ne connaissait que trois manières d’exister dans la société : il faut être mendiant, voleur ou salarié, disait-il. Faute de travail pour cause de crise, il est difficile d’être salari. ; Par manque de salariés en quantités suffisantes, l’Assurance maladie collecte moins de cotisations sociales et offrent, du coup, moins de possibilités de remboursement aux fraudeurs qui ne peuvent même plus se permettre le luxe de voler dans les caisses vides de leur assureur. C’est dire qu’en ces temps d’accumulations de dettes, et pour la Sécu et pour les ménages, en cas où un travailleur malade, normalement assuré, se verrait astreint au repos, il sait ce qui lui reste à faire.


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