Charlie enchaîné

Une revue de presse de Charlie Hebdo et du Canard enchaîné.
Et un peu plus.

Accueil du site > Coin des rédacteurs > Chroniques > Le sport, nouvel opium du peuple et des médias ?

Le sport, nouvel opium du peuple et des médias ?

jeudi 18 octobre 2007, par Sophie Lambert

Où comment passer des lois discrètement pendant l’euphorie populaire...
Mots-clés : médias

La coupe du Monde de Rugby. Quel évènement formidable, quelle communion nationale autour d’une même équipe, la même fièvre unissant tous les français derrière leur équipe, haletants à l’annonce des résultats, des défis à venir et à remporter… Impossible de passer au travers du filet de cette manne économique et financière pour le pays largement exploitée par les médias, particulièrement la télévision, qui jusqu’à l’élimination de notre équipe, enchaînait gros titre sur gros titre sur ce culte de la compétition. Et finalement, le lapsus révélateur du premier ministre Fillon qualifiant de « détail » la loi sur l’ADN concernant le regroupement familial, révèle bien l’enjeu médiatique d’un tel événement. « Du pain et des jeux » pour les français et nous pourrons faire passer inaperçues ces lois qui sont en réalité les détails qui font tache à la tradition française des droits de l’Homme, qui devraient avoir la primauté sur les droits du français, qui craint ces derniers temps pour la dilution sanguine de son identité française… Malheureusement c’était sans compter sur quelques esprits éveillés qui peuvent suivre un match de rugby tout en surveillant les agissements de son gouvernement, n’étant pas dupe de la tactique de diversion. Soupir de désespoir à l’Elysée, les français sont disqualifiés. La loi sur l’ADN, le Grenelle de l’environnement et la réforme des régimes spéciaux de retraite reprennent la place qui leur était due à la une des médias. Enfin. En effet, ce ne sont pas nos exploits en escrime ou en foot qui réussiront désormais à détourner l’attention des concitoyens, il est temps de parler politique.

Petite digression sur les antécédents du culte sportif. Il faut parfois se méfier d’une sur-médiatisation de ce genre d’évènement qui peut être un symptôme de changements de valeur au sein de la société. Rappelons que les régimes totalitaires vouent un véritable culte à l’athlète, c’est l’éloge du stakhanovisme chez Staline, ce sont les Jeunesses Hitlériennes chez Hitler où l’entraînement physique et militaire passait bien avant l’éducation académique et scientifique. Hitler avant de provoquer ouvertement la seconde guerre mondiale en Europe, espérait démontrer la supériorité de la race Aryenne lors des Jeux Olympiques qui se tinrent à Berlin en 1936 dans un stade aux effigies de croix gammées ; un cruel démenti lui fut apporté lorsque l’afro-américain Jesse Owens remporta le 100 mètres contre les athlètes allemands. Je renvoie également au livre bouleversant de Georges Perec W ou le Souvenir d’Enfance, et sa saisissante allégorie du totalitarisme concentrationnaire au moyen d’une île vouant un culte indéfectible et illimité au sport. Mon intention n’est pas de diaboliser la pratique sportive au contraire, « un esprit sain dans un corps sain » comme l’exprime si justement Montaigne, je stigmatise simplement le détournement médiatique et politique de ces grandes manifestations de ferveur populaire dont les desseins ne sont pas innocents.

Dernier fait qui, derrière le caractère anodin, révèle un état d’esprit troublant ; l’entraîneur de rugby Bernard Laporte a fayoté l’injonction présidentielle en lisant la Lettre de Guy Môquet à son équipe avant le match les opposant à l’Angleterre. Il me semble déplacé de faire lire les mots d’un résistant français fusillé pendant la guerre avant un match qui jusqu’à preuve du contraire n’est pas sensé se faire le reflet d’une guerre ; quel sentiment cherchait-il à susciter chez ses joueurs ? Exacerber chez eux un désir de vengeance ? Je cherche l’esprit fair play de cette initiative et dénonce ce manque de respect à la mémoire.

« Le sport amuse les masses, leur bouffe l’esprit et les abêtit », disait l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, sans être aussi excessive, méfions-nous de la propagande médiatique sportive et de son vocabulaire belliciste, parfois ambigu…


Commenter cet article





Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette