mardi 5 février 2008, par Charlie enchaîné,
Jeddo
mise à jour : jeudi 13 novembre 2008
L’entreprise, en situation de quasi-monopole pour exploiter les riches ressources en uranium du pays (« troisième producteur mondial »), doit composer d’une part avec la rébellion Touarègue, car les mines « sont exclusivement basées sur les terres des nomades » et d’autre part avec le président Tandja, qui fait pression « sur le prix d’achat de l’uranium » (par exemple, en retenant dans ses geôles deux journalistes français, Thomas Dandois et Pierre Cresson — sans oublier les autres, qui n’ont pas le privilège d’avoir la nationalité française).
La journaliste de Charlie détaille les « récriminations » des rebelles du MNJ (Mouvement des Nigériens pour la Justice) : « les permis d’exploitation sont distribués (...) sans aucune compensation pour les populations. Areva privilégie la main-d’œuvre originaire du Sud. Les seules infrastructures existantes n’ont d’autre utilité que de servir le commerce de l’uranium. Les Touareg sont virés de leurs meilleurs pâturages... »
Mais il y a mieux : « En 2005, (...) la CRIIRAD démontrait que la pollution radioactive des terres et des puits était 40 fois supérieure aux normes fixées par l’OMS ». Les employés d’Areva, encore moins la population locale, « n’étaient pas informés des risques » encourus. Il faut pourtant savoir se sacrifier pour la sauvegarde de la planète : d’après ses promoteurs, l’énergie nucléaire est à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique (lire ci-dessous)...
Désormais, le MNJ pose ses conditions : « l’utilisation de 50% des revenus de l’uranium pour le développement de la zone Touareg, des dédommagements pour les habitants expropriés et l’emploi privilégié de la main-d’œuvre locale par les sociétés minières », précise Sylvie Coma. La journaliste de Charlie glisse qu’Areva projette d’exploiter un « gigantesque gisement recélant la moitié des réserves » du Niger, ce qui propulserait le pays au second rang des pays producteurs d’uranium dans le monde.
Si les Nigériens n’étaient pas majoritairement analphabètes, ils comprendraient la portée de ce « progrès ».
Le numéro de février 2008 du mensuel La Décroissance s’intéresse de près à la production d’énergie nucléaire. Dans un éditorial intitulé « Sarkatome », Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau Sortir du Nucléaire, rappelle que « la France, avec ses 75% d’électricité d’origine nucléaire, reste une exception. Au niveau mondial, le nucléaire couvre 2,5% de la consommation d’énergie, une part infime qui, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pourtant favorable à l’atome, va encore se réduire. C’est pour cela que le nucléaire, bien qu’émettant peu de gaz à effet de serre, reste incapable de contribuer de façon quantifiable à la lutte contre le réchauffement climatique. » Cela permet de relativiser l’argument selon lequel produire de l’énergie nucléaire contribue à nous refroidir (au sens propre)...
Deuxième point, et pas le moindre, « l’atome ne constitue en rien une alternative crédible face à la montée du prix du pétrole, d’autant que les réserves d’uranium, le combustible du nucléaire, s’amenuisent aussi vite que celles des hydrocarbures », poursuit Stéphane Lhomme. On apprend plus loin, dans « Le journal de la joie de vivre », qu’« il a été extrait de l’uranium sur le sol français de 1956 à 2002 ». Il n’y a donc plus rien à extraire chez nous. Sous cet angle, on comprend mieux les intérêts d’Areva, qui se confondent avec ceux de l’État, au Niger. En clair, l’indépendance énergétique de la France est toute relative.
Témoin de cette pénurie en uranium qui s’annonce bien plus précoce que prévue, le « marché ». Emmanuel Broto écrit que « le prix d’un kilo d’uranium est passé de 18 dollars en 2000 à 360 dollars en juin 2007 ». Soit une multiplication par 20 en l’espace de 7 ans : il y a des signes qui ne trompent pas. Cette augmentation vertigineuse s’explique par l’augmentation considérable de la demande, tandis que l’offre, c’est-à-dire les capacités de production, stagne au point qu’il a fallu, en 2006, puiser 40% de l’uranium nécessaire au fonctionnement des centrales dans divers stocks dits « d’approvisionnement secondaire ». C’est à se demander, entre l’uranium et le pétrole, lequel des deux sera le premier à faire défaut...
Le plus inquiétant n’est peut-être pas l’amenuisement des ressources en uranium — au contraire — mais bien le risque de la prolifération de la technologie nucléaire civile qui, quoi qu’on en dise, constitue le premier pas vers la maîtrise du nucléaire militaire. D’abord, les « pays nouvellement nucléarisés » sauront-ils éviter des catastrophes comme celle frôlée récemment au Japon ? Ensuite ils seront également « confrontés au problème insoluble des déchets radioactifs ». Enfin, donc, l’accès à l’arme atomique de pays situés dans des régions particulièrement agitées, par exemple l’Égypte « pour contrer les projets de l’Iran et la nucléarisation déjà ancienne d’Israël », ou encore la Lybie de Khadafi et ses accointances terroristes, rendu possible par l’activisme de notre représentant d’Areva de président de la République.
Bref, tout un cocktail explosif.
Jeddo
À lire sur le site internet du réseau Sortir du nucléaire : « À qui profite l’uranium nigérien ? » (Ajout du 14/02/08).
À (re)lire ici-même « Les bienfaits d’Areva au Niger (suite) » et « Le cynisme d’Anne Lauvergeon » (Ajout du 13/11/08).