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Nucléaire

Les déchets radioactifs

jeudi 21 mars 2002, par Jeddo
mise à jour : dimanche 26 août 2007

Au lendemain de l’accident de Tchernobyl, en 1986, est née la CRIIRAD. « Alors que les services officiels indiquent que la France, en raison de son éloignement, a été totalement épargnée par le nuage radioactif de Tchernobyl, des familles entières consomment, sans le savoir, du lait, du fromage, des légumes frais... gorgés de produits radioactifs. » C’est pourquoi la CRIIRAD, laboratoire scientifique indépendant, a vu le jour, son objectif étant d’informer le public grâce à des analyses de radioactivité. On compte 4 600 adhérents qui cotisent en France. Pour plus de détails sur cet organisme et ses activités : http://www.criirad.com (site officiel).
Mots-clés : nucléaire

La découverte de la radioactivité a eu lieu vers la fin du XIXe siècle, ce sont les matériaux qui émettent des radiations. Dans la famille de l’Uranium et celle du Thorium, on compte une trentaine d’éléments, lourds en général (masse atomique de 232, 235 et 238, ces atomes ne sont pas stables). L’atome d’Uranium se désintègre en noyau d’Hélium et de Thorium, qui se désintègre lui aussi, ainsi de suite jusqu’au Plomb. On parle alors de filiation radioactive.

On distingue trois chaînes “naturelles” : U238, U235 et Th232. Les phénomènes de rayonnement n’ont pas d’application énergétique. Le rayonnement α résulte en l’émission d’une particule. Le rayonnement β- en l’émission d’un électron du noyau. Ces désintégrations spontanées existent dans la nature. Dans beaucoup de cas, un rayonnement γ accompagne α et β. Il y a émission d’un photon. Ce processus peut être utilisé dans l’industrie comme traceur.

La fission est un phénomène provoqué par un neutron lent qui ne se produit quasiment pas dans la nature. Cette réaction a pour équation : ^235_92 U+^1_0 n \to ^94_38 Sn + ^140_54 Xe + 2 ^1_0 n + E. L’isotope 235 de l’Uranium est heurté par un neutron. La fission produit de l’énergie cinétique que l’on récupère sous forme thermique. Une telle réaction est génératrice d’une grande énergie tandis qu’une réaction chimique produit peu d’énergie à masse égale engagée.

De la bombe atomique aux centrales nucléaires

L’industrie nucléaire était militaire au départ puis elle est devenue civile par le biais de centrales nucléaires (thermiques) [1]. Les produits issus de la réaction de fission sont des déchets extrêmement radioactifs : jusqu’à 106 fois celle de l’Uranium de départ. On définit par activité le nombre de désintégrations par seconde (unité : le Becquerel). Seuls l’U235 et le Pu239 sont fissionables avec réaction en chaîne par neutron formé.

On n’a de l’Uranium 235 qu’à hauteur de 5 % avant la réaction, ce qui génère des produits de fission. Cela forme les déchets les plus radioactifs qui existent au monde. Quelle loi physique régit la radioactivité ? Si on a une quantité N0 de matière radioactive au départ, au bout d’un période Τ, on n’en a “plus” que N0/2, au bout de 2Τ, N0/4, etc. La période physique est une caractéristique d’un élément radioactif donné. Par exemple, elle est de 30 ans pour le Cesium 137, 8 jours pour l’Iode 131 et pour l’Uranium 238 - tenez-vous bien - 4,8 milliards d’années, soit l’âge de la Terre ! Pour d’autres éléments, cette période est de quelques secondes. On parle d’“horloge” radioactive d’un élément.

Il existe deux voies d’exposition :
 → soit par rayonnement
 α : projectiles arrêtés par une feuille de papier, petite distance dans l’air (quelques cm)
 β : électrons qui ont une portée de quelques mètres dans l’air arrêtés par une feuille d’aluminium d’au moins 1mm
 γ : rayonnement qui traverse tout dont on peut diminuer le flux avec des écrans
 → soit par contamination
 C’est ce qui s’est passé pour Tchernobyl : 95 % de contamination et 5 % d’irradiation. Il y a un “bombardement” des particules à l’intérieur du corps (par exemple les champignons “pompent” les radioéléments tels que le Cs). C’est pourquoi on parle de véritable “bombe à retardement” lorsqu’on évoque la catastrophe.
La Biélorussie a subit 70 % des retombées. Les chélateurs (ions ou molécules qui “piègent” les élément lourds) favorisent l’élimination des contaminants.

Quelle est la définition d’un déchet nucléaire ? Il s’agit de toute matière contenant une radioactivité et qui n’a pas d’utilisation. Quelle en est la nocivité ? On a d’abord défini un seuil au-dessous duquel la radioactivité est admissible (unité : Gray). Mais une dose-seuil existe-t-elle ? Il y a un effet systématique à partir de 1 ou 2 Gray, c’est-à-dire à forte dose. À faible dose, cela dépend des individus : on parle d’effets aléatoires. Une commission, créée après les bombes atomiques de 1945, est chargée d’étudier ces effets. Si bien qu’en 1990, on a fixé le seuil à 1millisievert [2] par an, seuil au-delà duquel le risque est inacceptable.

La radioactivité naturelle est-elle une nuisance ? Elle provoque des mutations génétiques. On qualifie un déchet radioactifs par sa période et son activité. Les déchets sont nocifs à la fois pour l’Homme et pour l’environnement. Comment sont-ils classifiés ?

Des déchets en pagaille

Il y a des textes en France pour donner des catégories à certains déchets. Au Japon, pays fortement nucléarisé, on distingue trois catégories :
 → type A : faible ou moyenne activité β ou γ, quelques traces. Ils sont à 99 % originaire de l’industrie nucléaire (centrales, hôpitaux, laboratoires). Ils sont contaminés, inaptes à tout usage et très divers. Le volume annuel en France représente 30 000 m3, conditionnés dans des fûts et stockés dans des cases en béton à La Hague (Manche) et Soulaines (Aube). D’ici 10 ans ce site géré par l’ANDRA (organisme qui s’occupe de la gestion des déchets nucléaires) sera plein. Ces déchets ont une période moyenne inférieure à 30 ans. Le terrain sera donc banalisé d’ici 300 ans.
 → type B : toujours de faible et moyenne radioactivité, leur période est supérieure à 30 ans et leur radioactivité peut être supérieure à celle des déchets de type A. Ils proviennent des usines de retraitement (procédés physico-chimiques) et ne peuvent pas être stockés en surface. Ils sont conditionnés dans des blocs de béton d’1 m3 (solides) et dans des fûts liquides. Ils sont provisoirement entreposés dans des hangars.
 → type C : ils se caractérisent par une haute radioactivité et la présence d’une chaleur importante, du fait qu’ils proviennent des “combustibles” des centrales. Il s’agit d’assurer leur refroidissement (en piscine). Ils sont conditionnés par un procédé de vitrification afin de parvenir à leur étanchéité. En effet l’eau est l’ennemi du déchet. On en produit 200 m3 par an que l’on met dans des cylindres de 200 litres. Ceux-ci sont stockés à La Hague et on en prévoyait 3 000 m3 à la fin du XXe siècle. Il y a des projets d’enfouissement pour ces déchets.

Restent les déchets dits “oubliés” et appelés TFA (très faible activité), c’est-à-dire tout et n’importe quoi susceptible d’avoir été contaminé en usines, centres de recherche, etc. ou par activation. Ce sont souvent des matériaux (ferrailles). En dessous d’un certain seuil, certains pensent recycler. Il n’y avait pas de réglementation en la matière. Si le mélange fait tomber la concentration en dessous du seuil, le déchet devient banal. Ce projet porté au gouvernement, et combattu par la CRIIRAD, a été interdit à cause du problème du seuil.

Un autre exemple : la laine de verre. Saint-Gobain souhaitait incorporer des déchets radioactifs dans la chaîne de production pour s’en débarrasser, puisque aucun site n’existe pour les TFA. Le ministère de la Santé avait donné un avis favorable, tout en n’accordant pas d’autorisation. Un nouveau battage médiatique de la CRIIRAD a fait avorter le projet de Saint-Gobain.

Quels sont les problèmes en France ? Tout d’abord, on l’a vu, la réglementation timide. D’autre part on constate que le volume des TFA est important. On estime qu’en 2030 le volume cumulé de déchets radioactifs sera de 106 m3 pour les déchets de type A, 90 000 m3 pour les déchets de type B et 4 500 m3 pour ceux de type C. 80 % de l’électricité produite en France est d’origine nucléaire. Il y a d’importants groupes de pression (les lobbies du nucléaire).

En ce qui concerne la gestion de ces déchets, la France, contrairement aux États-Unis, a fait le choix du retraitement dans les années 60 [3]. Le désarmement fait que son usage n’est plus légitime et qu’il est souhaitable de l’arrêter. L’usine de La Hague rejette autant d’éléments radioactifs que toutes les centrales nucléaires du monde réunies ! Les déchets en provenance de l’Allemagne et du Japon pour le retraitement induisent un transport de Plutonium. Ces contrats rapportent beaucoup à la France mais impliquent une augmentation de la production de déchets ultimes [4].

Une autre catégorie de déchets : les déchets miniers. On extrait l’Uranium à ciel ouvert dans les roches granitiques. Celles-ci subissent un traitement à l’acide pour mettre l’Uranium sous forme de sels (“yellow cake” ou nitrate d’uranyle), puis il y a un traitement chimique pour extraire l’élément Uranium. Du Radon (unique gaz) est dégagé lorsque l’on casse le granite. Il est cancérigène pour le poumon (deuxième cause après le tabac en France). Les mineurs sont donc très exposés. Il y a ensuite enrichissement de l’Uranium physique en Uranium 235 qui est le seul fissile mais le moins présent naturellement. Il possède les mêmes caractéristiques que l’Uranium 238 qui, lui, est plus facilement trouvé. Ils ont une faible différence de masse si bien qu’on utilise un procédé de diffusion gazeuse. C’est l’usine Eurodif qui est chargée de cet enrichissement. Cette usine consomme beaucoup d’énergie : il lui faut toute la centrale du Tricastin, c’est-à-dire quatre réacteurs de 900 MW, pour fonctionner. Maintenant on va en Afrique et au Canada, où moins de précautions sont prises à l’égard de la main-d’œuvre, extraire l’Uranium.

Certains déchets ne sont pas gérés : les effluents gazeux ou liquides produits par les installations nucléaires en mode accidentel ou non accidentel. On a d’ailleurs constaté une (faible) contamination de la ville de Limoges. Toutes ces questions mises en lumière ont fait prendre conscience qu’il y a un héritage à gérer. Une première loi a été promulguée en 1991. Elle crée des laboratoires d’étude pour des centres d’enfouissement. La décision doit être prise en 2006.

La transmutation est un procédé qui permet de transformer les éléments à longue période en éléments à courte période. Mais cette technique n’est pas au point. Quel intérêt de passer d’une radioactivité de 10 000 à 1 000 ans ? On le voit, il n’existe pas de bonne solution pour l’instant. Même s’il existe un recyclage (mélange d’Uranium et de Plutonium), il y a des problèmes de conduite des réacteurs.

Avec la collaboration de Roland Desbordes, président de la CRIIRAD.

P.-S.


- Dans l’ouvrage de Maurice Tubiana et Robert Dautray, La radioactivité et ses applications (collection « que sais-je ? »), il est question de « sûreté nucléaire ». Ce livre date certes de 1996 mais il est intéressant de s’y attarder. « Dans un pays comme la France, les centrales nucléaires ont atteint une maturité technique qui fait que leur sûreté n’est pas en cause. » Donc si Ben Laden décide d’envoyer ses kamikazes sur nos centrales, on est en sécurité ?

- Le nuage radioactif de Tchernobyl est un « mythe ». Ces grands défenseurs du “tout-nucléaire” n’ont pas peur des mots. Selon eux, les énergies renouvelables « ne peuvent constituer qu’une énergie d’appoint (...), la contribution du nucléaire devrait donc croître rapidement au cours du XXIe siècle. » Mais cela dépend, poursuivent nos visionnaires, de « l’influence de certaines tendances agissant sur quelques médias et sur le public ». Ceux qui croient au « mythe » ?

- Hubert Reeves (Mal de Terre, éd. Seuil), astrophysicien, est passé du camp des « pour » au camp des « contre ». Il livre l’anecdote suivante : « Quelques mois avant la fin de ma thèse de doctorat, Hans Berthe [qui avait travaillé à la bombe atomique] m’a fait venir dans son bureau pour me proposer un emploi auprès de la compagnie General Dynamics (...). J’étais invité à Detroit, où le prototype [un nouveau type de réacteur nucléaire à neutrons rapides] allait bientôt entrer en service. (...) Mon rôle, m’expliqua-t-on, très clairement, était d’agir comme consultant scientifique et de présenter un dossier concluant à l’absence de risque et de danger pour la région ! « Et si telle n’est pas ma conclusion, que se passera-t-il ? », leur ai-je répondu. « Ne vous inquiétez pas pour cela, ce sera certainement votre conclusion. » « Alors pourquoi me faire venir ici si vous avez déjà vos certitudes à ce sujet ? » « Pour être entendu au tribunal, nous avons besoin du témoignage d’un physicien nucléaire professionnel issu d’une grande université. Vous serez notre caution scientifique. »  » Il refusera finalement de rendre un avis favorable. Le surgénérateur est malgré tout mis en service et, un an plus tard, il y eut un grave incident. « Pendant quelques heures, l’évacuation de Detroit fut envisagée. » C’était en 1956. Aujourd’hui encore le site est encore « sinistrement inaccessible. »

- Hubert Reeves se pose également des questions sur les coûts. « Les estimations réalistes du coût du kilowatt-heure, en y intégrant les frais de démantèlement des réacteurs et de gestion des déchets, font reculer les investisseurs privés. De surcroît les compagnies d’assurances refusent d’assurer les réacteurs. » Mais également, il pointe du doigt les ressources en Uranium. « Selon un rapport de la commission européenne, les pays de l’Union ne possèdent que 2% des réserves mondiales. » Et il conclut. « Peut-on parler d’indépendance énergétique ? » Imparable.


Liens à visiter :
- Évaluation des retombées de l’accident de Tchernobyl en France : http://www.invs.sante.fr/beh/2001/21/ et http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/sssp/accide.htm.
- Article d’Alternatives Internationales (décembre 2006) : « Déchets : Vers l’enfouissement profond »
- Vidéo de C dans l’air (20 juillet 2007) : « Quand le nucléaire tremble »

Notes

[1] Il y a toujours une industrie nucléaire militaire, et ce malgré les traités internationaux de non prolifération et de réduction des armements.

[2] Sievert : unité d’équivalent biologique de dose ; permet d’évaluer les effets biologiques de la dose physique de radiation reçue. Pour les rayonnement gamma et bêta, un Sievert correspond à une dose reçue de 1 Gray (La radioactivité et ses applications, Maurice Tubiana et Robert Dautray, PUF).

[3] On pouvait craindre à cette époque une pénurie de “combustible nucléaire”. D’où l’idée de “récupérer” le Pu239 pour soit l’utiliser dans Superphénix, soit en faire du MOX (“combustible” mixte à base d’U238, U235 et Pu239). Seul le MOX est aujourd’hui opérationnel (1/3 du parc l’utilise).

[4] ...et un stockage illégal de déchets étrangers à La Hague puisque beaucoup ne retournent pas dans leur pays d’origine.


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