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Les honnêtes délinquants du Droit Vénal

lundi 15 février 2010, par Hadi Taibi

Au moment où Sarkozy et Hortefeux veillent sur les Français, au moment où les truands dorment paisiblement, des policiers débarquent au petit matin au domicile parental d’une jeune fille de 14 ans, qu’ils font extirper de son sommeil, menotter et conduire manu militari, en pyjama, au commissariat du coin. Fin de la récréation, début de la garde à vue !

Ce haut fait d’arme eut lieu sous le commandement de l’officier de police judiciaire, sous la direction du procureur de la république, sous la supervision du juge d’instruction, sous le contrôle de la chambre d’accusation et sous la tutelle du gouvernement. Pas moins que ça pour un carnaval assommant ! Que reproche-t-on au juste à l’adolescente ? Une rixe dans son école… Voilà le crime ! Il était presque parfait si ce n’était la vigilance de la police, la rigueur de la justice et le sens des responsabilités de l’Éducation nationale.

Interprété dans ses acceptations les plus larges, ce geste, à la fois, de bravoure humiliante, de bavure policière et de “bravitude” républicaine répond à trois logiques : mathématique, civilisationnelle et culturelle.

De prime abord, il faut signaler que la police nationale n’est plus tenue d’élucider des affaires, mais de réaliser des chiffres d’affaires. Il serait plus rentable, à ses yeux, d’arrêter pour quelques heures seulement une dizaine d’innocentes personnes, que d’avoir à courir le risque de coincer un criminel. Ce dernier coûte excessivement cher au contribuable en consommation de papier pour sa procédure, en moyens divers pour son bien-être, en carburant pour son transfert devant les juges et en budget pour son séjour en prison, sans aborder le chapitre ressources humaines à mobiliser ainsi que les risques encourus pour une telle entreprise. La logique arithmétique exige que l’on se contente de tenir à jour une lugubre comptabilité du nombre de personnes gardées à vue, sans discernement de leurs conditions, au lieu de faire dans la qualité des auteurs de méfaits répréhensibles.

« Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur » (Beaumarchais)

Quant à la justice, elle trouve intérêt en le renforcement de la mesure de garde à vue, en ce sens qu’elle fournit le prétexte de soulager les prisons souffrant de surpopulation carcérale. La garde à vue fait peur, comparée à la prison qui fait mal, on finit bien par admettre que tant qu’il y a plus de peur que de mal, la pilule peut passée sans couac au travers de la gorge. Une fois dans l’estomac, on ne se concentre plus que sur le temps nécessaire pour son évacuation. D’un autre côté — ce sont les spécialistes qui le disent —, la peur apporte dans son lot d’appréhensions l’avantage dissuasif que le mal n’offre pas. C’est donc au port sécuritaire de “quiétude” qu’on compte larguer les amarres judiciaires.

La frayeur a de quoi donner froid au dos d’honnêtes citoyens, mais Hortefeux est là pour proposer la couverture politique qui leur réchauffe le cœur et soulage la conscience à ses policiers. Sarkozy, pour sa part, apporte son étrenne promise. Plus lieu de s’inquiéter pour sa sécurité. La République garde tous les Français à portée de sa vue. Ceux qui échappent à la garde à vue doivent garder le sourire béant et savoir que partout ils sont filmés. La détention, par l’État, du monopole de la violence légitime, relève des prérogatives civilisatrices de toute nation qui se respecte.

La logique culturelle de la garde à vue incombe à l’éducation nationale. Et c’est dans le cadre des “sorties pédagogiques” que les élèves auront le loisir de s’imprégner, entre autres, des arts et de la nature de leur beau pays. Qu’y a-t-il de plus symbolique que la garde à vue pour incarner les arts contemporains et la nature de la politique sécuritaire institutionnalisés depuis peu en France ? Faire l’inventaire de l’ensemble des spoliations commises par l’équipe aux commandes de la chose publique en France et leur opposer le bilan des compensations qu’on propose en matière sécuritaire est une tâche exclusivement culturelle. Et à l’image de tout produit culturel, la culture de la haine et de l’ambivalence relève, pour la population, de l’ordre de l’acquis et non pas de l’inné.

Des faits condamnables ayant été commis au sein des établissements scolaires n’auraient jamais dépassé le cadre de la sanction disciplinaire, si ce n’était la complaisance des encadreurs. Au-delà du statut pénal des mineurs qui permet que des adolescents viennent quotidiennement améliorer le rendement statistique de la police nationale en matière de garde à vue, c’est son acceptation par la société qui est le plus à blâmer. Peut-être que dans une dizaine d’années, la fille de la conceptrice de cette loi se verra embarquée, à son tour, dans un commissariat où elle sera obligée de faire appel à son père pour mettre fin à son calvaire. Ce sera là l’occasion rêvée par la France délectable, en quête d’informations palpitantes, de satisfaire sa curiosité latente en découvrant, enfin, l’identité du géniteur de l’enfant de Madame Rachida Dati.


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