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Rentrée universitaire

Les joies des jobs étudiants

lundi 6 septembre 2010, par castignolles

« Ahhh, la vie étudiante !… C’était le bon temps, les sorties, les potes, on était jeunes et cons… les meilleurs moments de ma vie ! ».

Trois sortes d’étudiants se partagent le PUF, le paysage universitaire français :

1. L’étudiant boursier, qui a sa bourse, 450 euros par mois, son logement Crous, ne paie pas l’inscription à la fac, ni les polys, et a droit à la CMU. Malgré tout, il galère, il est né dedans.

2. L’étudiant nanti : papa et maman sont là pour payer une coquette studette, maman fait la lessive du « grand » (parce que c’est un grand maintenant) le week-end, et lui mijote avec amour des petits plats dans du papier alu pour la semaine, pour manger « un peu plus équilibré » que son kébab-ciné du jeudi soir, pizza-poker du vendredi soir, jap-boîte du samedi soir et les quotidiens sandwichs à 5 euros.

3. Et puis il y a l’étudiant ni boursier, ni nanti, ou l’étudiant étranger, qui a choisi des études que ses parents n’encouragent pas vraiment, ou qui leur a dit merde, et qui se retrouve à son tour dans la merde. Il n’a pas droit à une bourse, donc pas droit au package de rentrée Crous-inscription-poly-CMU. Comme il a de la fierté, il s’est dit qu’il allait assumer seul avec un petit boulot. Mais ça ne suffisait pas, alors il a pris 2 petits boulots. Il les a tous testés : le classique baby-sitting, le dog-sitting, plus original, voire le papy-sitting, les cours de soutien, la restauration rapide. Mais il en a eu assez de sentir la frite et de la formation « Que faire en cas de hold-up ? ». Avec ses amis, il rivalise donc d’imagination dans le registre des « jobs à la con » : ouvreur dans un cirque, inventoriste dans les pharmacies ou les supermarchés, public dans un jeu télévisé (« Alors, rappelez-vous, aujourd‘hui, nous sommes jeudi ! Et tout à l‘heure, nous serons vendredi pour la finale ! »), sondeur auprès des passants qui n’ont pas d’avis à donner, ouvrier agricole pour la castration du maïs ou le ramassage des melons, brancardier en maison de retraite, standardiste au téléphone pour SOS plombier, vendeur de téléphones portables, distributeur de flyers sous la pluie, animateur de colo pour partir en vacances, bibliothécaire pour ranger les bouquins que les autres étudiants laissent en vrac sur les tables… Il apprend la vraie vie, sur le terrain, pas dans les livres.

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« Mon nouvel agenda continu… »
Dessin © Simon Castignolles

Et puis, il cherche encore : volontaire sain pour des expériences médicales. Ça commence gentiment, puis on lui propose de lui prélever un peu de sang, juste 3 fois 500 mL. Il y en a même qui lui suggèrent un moyen encore plus rapide pour gagner des sous avec son corps… Là, il dit « Stop ! » : assez de se faire vampiriser par le système.

Et un prêt étudiant ? Encore faut-il avoir les moyens, comme pour louer un appart (la fameuse « studette »-placard-à-balai) : c’est bien connu, on ne prête qu’aux riches. Et si le « cautionnaire qui a les moyens », l’étudiant ne veut plus en entendre parler ? Alors, on ne vous prête pas.

Alors l’étudiant, quand il s’endort en cours parce qu’il a travaillé toute la nuit mais ne veut pas sécher la fac, quand il n’a pas assez révisé pour ses exams parce qu’après ses journées de 16 heures, il a passé ses nuits à traverser toute la ville en métro pour remonter le moral de sa copine Patricia (« Tu en as mis du temps à venir ! »), qui l’a finalement plaqué par sms pour retourner avec son ex-ex, un gars « pas beau mais intelligent, comme toi » de qui elle veut un enfant… Quand il a passé du temps à aider son collègue boursier qui avait faim (parce qu’il y a des étudiants qui ne veulent pas aller aux Restos du cœur), ou Huguette, 83 ans, qui l’appelle le dimanche à 7h en lui disant qu’elle veut sauter par la fenêtre, ou son pote Riri qui lui téléphone en pleine nuit en disant qu’il ne veut plus vivre parce que sa meuf menace de le quitter et qu‘il s‘écrase des cigarettes sur le bras, ou encore Ming, son amie d’enfance, qui déprime parce que son bébé a été opéré du cœur et a fait 5 arrêts cardiaques… Quand il a les deux tiers de son année à repasser en septembre et que le redoublement le guette, une année de plus à vivre à ce rythme… Quand il lit sur Internet que l’on va accorder un 10e mois aux boursiers, qu’il y aura 13 461 chambres de plus en cité U mais que les droits d’inscription vont augmenter et que le ticket de RU passe à 3 euros… Quand la bouffe Leader Price est vraiment imbouffable et que, quelques fois aussi, il a faim… Il sature. « Tu as maigri, on dirait, non ? ». Il a du mal à se concentrer sur ses rattrapages et ne pense qu’à la belle indifférence de celle qu’il a aimé comme jamais.

Cependant, il se dit qu’il est heureux et n’a pas le droit de se plaindre, parce qu’il suit les études qu’il a choisies, un métier qui le passionne et dans lequel il croit, qu‘il a encore de l‘énergie à revendre et sait se battre, qu’il a rencontré des gens formidables dans tous ces jobs, qu’il connaît la valeur d‘une présence et de l‘amitié, et que ce sont quand même les meilleurs moments de sa vie. Et quand il gagnera sa vie plus confortablement, ou disons plus normalement, il ne fera pas remarquer à la jeune fille qui lui servira son steak-frites qu‘elle a oublié la moutarde et le sel, et ne traitera pas de « boniche » la personne qui viendra lui faire la vaisselle (il achètera plutôt un lave-vaisselle)…

Simon Castignolles


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3 Messages de forum

  • Les joies des jobs étudiants

    12 septembre 2010 15:59, par speedy
    Merci pour ce papier, tellement vrai. Et je crois aussi que l’expérience du terrain, elle, n’a pas de prix, sur le plan professionnel mais aussi humain. J’aurai presque envie de lâcher une larme pour ces étudiants "nantis", comme vous dites ! Encore une fois, merci à l’auteur.

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  • Les joies des jobs étudiants

    14 septembre 2010 16:50, par Anthony
    Il y a aussi les étudiants touchant 450€ avec les bourses, 215€ d’APL et 300€ avec les petits boulots, qui peut ainsi se payer un appartement dans le centre (à Lille en tout cas), qui revient le week-end pour la lessive (flem de la faire soi-même), qui va en cours malgré tout fatigué, pas par le boulot mais la fête de la veille et qui obtient sa licence car au final, le niveau, il n’est pas si élevé.

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