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Les pitoyables deux sous de l’autel des finances

dimanche 7 novembre 2010, par Hadi Taibi

Appelons-le Durand. Notre gentleman invisible, dont la désinvolture lui permet de mener sans encombre de périlleuses opérations de sabotage, s’avère n’être qu’un fragile personnage, sans génie particulier et traversant des difficultés familiales. C’est ainsi qu’est qualifié le jeune Durand par le génie de ses solides supérieurs hiérarchiques, qui vivent une stabilité sociale exempte de toutes critiques et sans la moindre fausse note ; et c’est d’ailleurs pour tout cela qu’ils consentent à faire preuve de discernement pour juger des qualités d’un subordonné qui, il faut le préciser, est loin d’être naïf, même s’il se trouve être encore plus loin du gabarit du célébrissime Arsen Lupin.

Profitant toutefois de sa transparence physique, de son incantation aveuglante et de sa sournoise déficience, Durand s’introduit clandestinement dans une base des forces navales françaises. Il trompe la vigilance des sentinelles, met au défi le système anti-intrusion en place, avant d’arriver jusqu’à l’intérieur de la salle des machines du sous-marin nucléaire Le Charles de Gaulle. Rien ne pourra à partir de ce moment échapper à l’entreprise destructrice de notre Durand. Tout y passe entre ses mains dévastatrices : perforation des ballasts, taraudage des barres de plongée, désarçonnement des compas gyroscopiques, dégradation des systèmes de veille et de détection, mise hors circuit des moyens de communication et ceux de navigation, pour aboutir à terme au déréglage des mécanismes de mise à feu. Les dommages occasionnés au submersible font que le fleuron de la marine nationale ne devient plus qu’un amas de ferraille.

Ce qui ajoute à l’intrigue un peu de sapidité, c’est que Durand a exécuté son œuvre en se baladant ouvertement dans des installations hautement stratégiques, faisant tous ses va-et-vient sans que personne ne s’en rende compte, et ce, durant trois années et sur plusieurs bases navales distantes les unes des autres. Il a réussi à transformer une grande partie de l’arsenal dissuasif du pays en d’ignobles épaves bonnes à être affectées aux Indes pour leur désintégration complète. Les comptables du diable estiment les pertes provoquées à presque cinq milliards d’euros, sans que le jeune Durand n’ait eu à utiliser un quelconque moyen autre que les doigts de ses deux mains.

Ainsi écrite, une telle fiction n’affectera évidemment en rien les tiroirs-caisses bien gardés de l’Etat. Mettre en scène ce scénario catastrophe nécessitera cependant la mobilisation de moyens colossaux.

De mémoire d’homme, jamais une telle opération n’a pu avoir lieu ; d’entendement d’homme, jamais une telle opération ne pourra avoir réellement lieu. Même l’opération Bernhard, menée secrètement sous le IIIe Reich, avec toute la technique d’un faussaire d’exception falsificateur de billets de banques et avec toute l’efficacité de la machine de propagande juive falsificatrice de vérités, la toute puissante machine de guerre nazie n’a pu atteindre un tel seuil de dégâts. Et pourtant !

Et pourtant, la justice française… des jeux, c’est bien de cela qu’elle accuse Jérôme Kerviel, petit trader de son état, agissant un peu à la manière du joueur de casino. Les juges ont opté pour un procès spéculatif et non pas systémique. Seule la comptabilité macabre du chiffre a présidé aux attendus du jugement rendu comme s’il s’agissait d’un minable délit de filouterie, alors même que le système de la gagne pousse-au-crime, qui a favorisé l’action de Kerviel, a été décrié par la commission bancaire qui en a stigmatisé une panoplie de burlesques défaillances de gestion. La quasi-totalité de la hiérarchie surplombant le trader indélicat a été licenciée, ce qui prouve, on ne peut plus clair, leur responsabilité dans l’affaire, sinon leurs actes de prévarication caractérisée.

Une fois de plus, la justice française… des jeux est passée à côté de la plaque. Elle réclame à Jérôme Kerviel de trouver tout simplement 4,8 milliards d’euros, soit 1,8 fois le montant des fonds propres de la Société Générale… des jeux ; soit de quoi reconstruire Le Charles de Gaulle et racheter un Clémenceau sous emballage sans oublier le moindre avion de chasse pour chasser les mauvaises langues qui disent que le jugement rendu, s’il se trouve être textuellement limpide, n’en reste pas moins éthiquement stupide et juridiquement absurde.


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