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Match perdu sur Tapie vert

samedi 4 septembre 2010, par Hadi Taibi
mise à jour : mardi 7 septembre 2010

« Si tu te sens inutile… utilise-toi ! » Bernard Tapie semble bien s’être inspiré de cette maxime lorsqu’il a décidé d’annoncer son retour en politique. Non pas pour faire de la politique, mais pour faire… du commerce. Eh oui ! Bernard est incorrigible. Tout l’art de ses décisions est qu’il arrive à les faire passer comme naturellement inévitables. D’emblée, il a annoncé son désintérêt pour la chose publique : « ne plus accepter de fonctions importantes, comme député ou ministre ». Défaitiste ? Pas si sûr. Il a juste à son avantage cette caractéristique propre aux amateurs du goût prononcé de la magnificence et de la somptuosité, qui aiment annoncer la couleur dès la lueur de leurs projets.

Photo © Mat Walker / Flickr

La nouvelle n’est pas une fiction, le personnage est réel et ses fantasmes sont bien vertueux. Tapie le séducteur sait fasciner son auditoire en lui faisant entendre sa bonne parole, avant de la lui faire chanter. Quand ses envies le démangent, c’est la succession de ses actions charmantes et attractives qu’il déclenche à la face de ses proies : il se fait annoncer, il s’accroche, il prend ce qu’on lui donne, il assouvit son desideratum et il passe à autre chose. C’est ainsi qu’il s’est frotté au football, à l’équipement de sport, aux instruments de pesage, au cinéma, au théâtre, et même au cirque. Et c’est ainsi qu’il s’est fait connaître tantôt comme courtier et tantôt comme courtisan ou alors valsant entre les activités de mandataire et l’exaltation de caudataire. Il ne laisse personne indifférent, comme si l’on devrait choisir entre lui et son bonheur. C’est tellement difficile de rester de marbre lorsque le diable mène la danse.

Après des années de galère financière, Tapie revient la tête et les poches pleines pour proposer des idées nouvelles et novatrices. Il perçoit du Trésor Public le pactole de 285 millions d’euros. Cette somme servira en partie à supporter la dette fiscale de l’enfant gâté de la République. 50 autres millions d’euros sont généreusement accordés à titre de compensation au préjudice causé au sacré moral de l’homme d’affaires [1]. Ça apprendra bien à l’État de venir fouiner dans la vie intime de Bernard, dont la conviction personnelle censure aussi aisément que la parole de la justice ne révèle.

Tapie n’est pas xénophobe, ses souffre-douleur il les estime au juste rôle pour lesquels il les prédestine, indépendamment de toute autre considération en rapport avec leur race, la couleur de leur peau ou leurs origines. Les plus modestes sont toutefois les plus tendres et les plus délicieux. La diligence ségrégationniste, il l’a abandonnée à son ancien compagnon de lutte Éric Besson ; tout comme il a laissé au docteur Delajoux le soin et l’art de manipuler le bistouri sur le dos des stars.

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« E-commerce et retour en politique pour Nanard »
Dessin de Kiro (Le Canard enchaîné, 19/05/10)

En attendant la mise en service de Tapie Academy (projet de téléréalité), où l’on prévoit un budget de 6 millions d’euros, Bernard Tapie crée un site de vente de biens et services dégriffés. Sa fripe et sa fringue sont étalées dans sa « galerie La-Faillite » sur internet, un peu n’importe comment, à la façon du marché aux puces de Saint-Ouen. On annonce des voyages, des forfaits mobiles, des ustensiles de cuisine, des prêts bancaires, des voitures, de l’électroménager et des assurances à moitié prix. Sa vitrine fascine les curieux. Avant d’y accéder, on est tout de même prié de décliner au vigile ses noms, prénoms, sexe, adresse et un tas d’autres renseignements privés qui hissent les clients triés sur le volet aux privilèges de chez Bernard. En tapant toujours sur les mêmes, Tapie s’assure de faire le moins de mécontents possible.

Darwin prétend que l’homme descend du singe ; quand on s’aperçoit des techniques comportementales qui caractérisent Bernard Tapie, on dirait que certains sont descendus beaucoup plus vite que d’autres.

L’affairiste est populaire et il compte le rester. Son optimisme brille de tout feu. Son insouciance brûle de tout bois. Tout ce qui brille n’est pas or et tout ce qui brûle n’est pas feu. Tant de choses peuvent aller d’un extrême à l’autre ; ce n’est pas pour autant que les ressentis les plus intenses, les plus profonds, les plus vécus s’en vont. On change de forme, pas de fond. Bernard Tapie ne perd pas pied, il refuse les règles du jeu avant même d’entamer la partie. C’est probablement par forfait qu’il tente de la gagner, mais c’est certainement sur tapis vert qu’il est voué à la perdre.

Notes

[1] Ajout du 7/9. Le Canard enchaîné du 8/9 écrit que Bernard Tapie devrait empocher 210 millions d’euros du Trésor public dans le cadre du règlement de l’affaire Adidas, une version contestée par l’homme d’affaires (note de Charlie enchaîné, source AFP).


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