Charlie enchaîné

Une revue de presse de Charlie Hebdo et du Canard enchaîné.
Et un peu plus.

Accueil du site > Coin des rédacteurs > Air du temps > Pas de Carnaval aux Antilles en février 2009

Pas de Carnaval aux Antilles en février 2009

jeudi 12 mars 2009, par Chantal Sayegh-Dursus

Nous avons tous vu sur France ô des Antillais fêtant le Carnaval, mais il s’agissait de rediffusions des années précédentes.

Les célébrations carnavalesques prévues depuis un an ne se déroulèrent pas cette année-là. L’archipel hébété prenait brutalement conscience du chemin qu’il lui restait à parcourir. Il avait perdu un Grand Homme [1], et un métis [2] venait d’être investi sur la Grande Île proche. Les tambourins et les “cha cha” avaient été relégués et le “gwo ka” ne fut pas dansé en février 2009. Car ces célébrations auraient été indécentes à ce moment de prise de conscience de son histoire.

Comme un homme assoupi, se réveillant après un long cauchemar, la Guyane se mit debout et hurla sa frustration, dans un tempo la Guadeloupe répercuta le son et l’amplifia, la Martinique marqua le rythme.

La mémoire ancestrale des Afro-antillais leur soufflait qu’ils avaient été un jour libres, bien qu’ils en aient perdu l’habitude. Les anciens négriers étaient devenus les patrons, mais comme ils avaient sauvegardé leurs anciens privilèges, rien n’avait vraiment changé. Après la départementalisation faisant suite à l’abolition, ils s’étaient laissé endormir par des leurres.

Ce jour de 20 janvier 2009, la Guadeloupe se releva et fit entendre son désespoir. La Martinique lui répondit le 5 février 2009. Et la violence de leur ire et la précision de leurs revendications firent paraître illusoires les principes fondateurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité de la République.

En haut lieu tous se bouchèrent les oreilles, feignant de ne rien entendre. Car c’était le feulement du fauve désentravé, la détermination de l’humanité en marche que rien ne pourrait arrêter.

Les partis politiques, depuis longtemps inaudibles, furent oubliés au nom de la productivité. Seuls s’affrontèrent le L.K.P. [3], ou U.C.P.A. (Union Contre le Profit Abusif), dont le prénom du président [4] à consonance biblique semblait prédestiné, et le G.P.S.L.M.G (Groupement Patronal Sans Limitation de Marge et de Gratifications). Et des paroles définitives furent prononcées : « Ceux qui n’aiment pas les Antilles et refusent de coopérer qu’ils s’en aillent ».

Et la Guadeloupe avait oublié qu’elle était aussi indienne, syrienne, bretonne avec ses pêcheurs saintois, suédoise, avec les pêcheurs de Saint-Barthelemy, italienne avec ses anciens colporteurs, hollandaise pour moitié avec Saint-Martin, libanaise, plus récemment chinoise et surtout très métissée ; car aujourd’hui elle se sentait entièrement noire, ou du moins son cœur l’était. Ainsi toutes ses voix se joignirent pour se mêler et n’en faire qu’une : « Nous sommes tous des nègres, descendants d’esclaves, et nous demandons de la République Justice et Égalité de traitement pour tous ».

Plus de trois siècles après, les descendants d’esclaves, vendus aux comptoirs d’Afrique, par, ou avec l’aide et la complicité de, leurs frères noirs, avaient enfin reconquis leur dignité et affirmaient d’une seule voix leur identité. Ce ressentiment ancien, depuis longtemps refoulé, mais souvent marmonné, était enfin identifié. La branche sacrifiée pouvait maintenant pardonner et décider de son rattachement au tronc ancestral dont elle tirait ses racines.

Aucun mémorial ne fut pourtant dressé. Aucune demande de compensation nationale, ni de repentance ne furent demandées, pour les horreurs du passé de ce Grand Génocide Noir.

Une seule requête, sans concession, fut formulée par tous les Antillais unis d’une seule voix : ce que la République leur avait un jour promis. « Liberté, Égalité et Fraternité POUR TOUS ».

© Propriété intellectuelle sécurisée.

P.-S.

Photo © from eye to pixel.

Notes

[1] Aimé Césaire.

[2] Barack Obama.

[3] Liyannaj Kont Pwofitasyon. Le LKP est un collectif guadeloupéen qui regroupe 48 organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles.

[4] Elie Domota.


Commenter cet article





Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette