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Psychanalyse : Antonio Fischetti répond aux attaques

vendredi 13 janvier 2012, par Charlie enchaîné

Dans un billet publié fin décembre sur Mediapart et relayé par Charlie enchaîné, Jean-Louis Racca, enseignant en mathématiques et membre de l’Observatoire Zététique, accusait notamment Charlie Hebdo de soutenir « inconditionnellement » la psychanalyse et de « piétiner allègrement (…) nombre de principes prétendument défendus par le journal ». Nous publions aujourd’hui la réponse que le journaliste scientifique de Charlie Hebdo, Antonio Fischetti, directement mis en cause à travers cette accusation, a envoyée à Jean-Louis Racca (Charlie enchaîné).

Réponse d’Antonio Fischetti à Jean-Louis Racca

Bien que vous ne me citiez pas nommément dans votre texte sur Internet, je suis l’auteur du petit article qui parle de psychanalyse dans Charlie Hebdo du 14 décembre 2011. M’inspirant de votre argumentation, je vais tenter de répondre à vos « précisions », point par point, quoique dans le désordre.

Précision n° 1. Vous évoquez un « mépris incroyable de la rédaction de Charlie » en raison de « l’absence de réponse [à vos] mails ».

Je vous rappelle que nous avons été récemment victime d’un incendie criminel nous ayant obligé à déménager, et vous comprendrez que nous sommes toujours sous le coup d’une certaine désorganisation d’où le retard avec lequel j’ai eu connaissance de vos mails.

Précision n° 2. Vous évoquez « l’absence de volonté du journal de revenir sur le sujet » et vous ajoutez que « cette attitude porte un nom : la censure ».

Un journal, quel qu’il soit, n’est pas tenu de répondre dans ses colonnes aux innombrables courriers qu’il reçoit, et encore moins aux internautes en mal d’audience. Ce n’est pas de la « censure », mais simplement une liberté de choisir les sujets d’articles comme nous l’entendons et non sous la pression de tel ou tel lecteur mécontent. Néanmoins, vous trouverez une (courte) réponse dans Charlie Hebdo du 11/01/12 [lire plus bas].

Précision n° 3. Vous laissez entendre que je connaîtrais mieux mon sujet si j’avais « un tant soit peu enquêté sur les véritables pratiques du milieu psychanalytique ».

Si vous aviez vous-même « un tant soit peu enquêté » à mon sujet, vous sauriez que j’ai publié — outre un certain nombre d’articles de presse — un livre d’entretiens avec une psychanalyste (Le désir et la putain, avec Elsa Cayat, chez Albin Michel). Sans vouloir me vanter, je pense avoir une connaissance du discours psychanalytique supérieure à celle que vous m’attribuez.

Précision n° 4. Vous me « conseillez la lecture de Guillaume Lecointre », que vous désignez par mon « prédécesseur […] en tant que responsable de la rubrique sciences de Charlie Hebdo ».

Je vous conseille, encore une fois, de vous renseigner : vous sauriez que j’ai non seulement lu Guillaume Lecointre, mais que j’ai écrit avec lui. Nous avons nourri non pas l’un à la suite de l’autre, mais en alternance une semaine sur deux, la rubrique « Sciences » de Charlie pendant de nombreuses années, et nous avons publié un livre commun intitulé Charlie ramène sa science (Vuibert).

Précision n° 5 Vous dites que j’affiche un « soutien somme toute inconditionnel » à la psychanalyse, et vous précisez qu’« on serait bien en peine de fournir un seul exemple où Charlie a rejeté un morceau de la doctrine ou un aspect de la pratique thérapeutique psychanalytique ».

Je vous conseille à nouveau de mieux vous renseigner (désolé), et surtout de mieux lire mes articles. Ainsi, au gré des différents papiers que j’ai consacré à la psychanalyse, vous verriez que je parle du « dogmatisme de certains psys » (Charlie n° 1017). J’ai aussi écrit que « la majorité des psychanalystes sont parfaitement ignorants des méthodes scientifiques » et qu’« ils préfèrent se réfugier derrière des présupposés » (Charlie n° 666). Ailleurs, je qualifie de « pitoyable » le fait qu’Élisabeth Roudinesco accuse Michel Onfray d’avoir un discours d’« extrême droite » (Charlie n° 933). Il me semble qu’on fait mieux en guise de soutien « inconditionnel ».

Précision n° 6. Vous dites que j’utilise « la rhétorique de la “guerre de tranchées” : archétype de l’argument du journalisme paresseux ».

Vous avez le droit de trouver cette image banale, mais en tout cas, j’ai pu constater qu’elle est parfaitement justifiée, étant donné les réactions chaque fois que j’écris le mot « psychanalyse ».

Quand je dis du bien des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) je me fais traiter de fasciste par les pro-psychanalyse… Quand je ne condamne pas radicalement celle-ci, les anti-psys m’accusent de soutenir des escrocs… Et quand je reconnais qu’il peut y avoir des aspects positifs ou négatifs dans les deux disciplines, je me fais traiter de mollasson par tout le monde.

Précision n° 7. D’ailleurs, vous m’accusez de « envoyer mollement dos-à-dos les divers protagonistes ».

J’estime, au contraire, que ma position est tout l’inverse de la mollesse. C’est d’être nuancé qui est justement la position la plus difficile à tenir, vu que les balles viennent de tous les côtés. Bien que vous n’appréciez pas l’image, vous êtes vous-même la preuve qu’elle est justifiée : il est bien plus confortable de rester dans sa tranchée, que de s’aventurer dans le terrain miné entre les deux camps comme je le fais.

Précision n° 8. À propos du procès contre Sophie Robert, vous m’accusez de « courbettes envers les spoliateurs, avec quelques conseils bienveillants pour qu’ils s’en sortent sans rougir ! » et vous écrivez que mon article « incite même à se demander [si je] donne encore du crédit aux théories de Bettelheim ».

Mon article n’est en rien un soutien aux théories de Bettelheim. Je croyais avoir été clair en écrivant que la révolte des parents d’autistes est « légitimée par de nombreuses recherches qui montrent que l’autisme est associé à des anomalies cérébrales et génétiques ». Et quand je me demande pourquoi les psychanalystes interviewés dans le film n’assument pas leurs propos, c’est une façon ironique de souligner leur contradiction Cela me semble évident pour quiconque a une lecture honnête de mon texte.

Précision n° 9. Venons-en au fond. Pour vous, la psychanalyse n’a pas plus de valeur que l’astrologie ou le créationnisme.

Savoir si la psychanalyse est une science ou pas, le débat est aussi ancien que la psychanalyse, et il faudrait un livre entier pour y répondre. Je me contenterais de quelques lignes.

Les psychanalystes ont commis beaucoup d’erreurs, c’est exact. Et bon nombre d’entre eux continuent à en commettre (et pas seulement à propos de l’autisme). Cela étant, est-ce une raison pour tout jeter de cette discipline ? La liste des erreurs commises en médecine ou en psychiatrie (pour ne prendre que ces domaines) est très longue (pour n’en prendre qu’un ou deux, il suffit de se rappeler les méfaits qu’on attribuait naguère à la masturbation ou les bienfaits supposés de la lobotomie…), et que je sache, vous ne qualifiez pas ces disciplines de pseudo-sciences.

L'empire des sciences Il est vrai que la psychanalyse n’est pas fondée sur la méthode hypothético-déductive, qui consiste à effectuer des expériences pour confirmer ou infirmer des hypothèses. Mais c’est le cas de la plupart des sciences dites « humaines ». Et à l’aune de ce seul critère de scientificité, il vous faudrait aussi jeter l’anthropologue Levy Strauss, le sociologue Bourdieu, le préhistorien Leroi-Gourhan, et des dizaines d’autres, dans la même poubelle que Freud, Lacan et Élizabeth Tessier. Pourquoi ne le faites-vous pas ?

Enfin, je vous informe que certains psychanalystes commencent à adopter les règles d’une démarche scientifique. Je vous cite deux articles scientifiques parmi d’autres, que vous pourrez retrouver aisément :
- Psychodynamic Experience Enhances Recognition of Hidden Childhood Trauma, David Cohen, Daniel Milman, Valérie Venturyera, Bruno Falissard, Plos One, April 2011, Volume 6, Issue 4.
- Effectiveness of Long-term Psychodynamic Psychotherapy, A Meta-analysis, Falk Leichsenring, Sven Rabung, JAMA, October 1, 2008—Vol 300, No. 13.

Pour conclure sur une note personnelle concernant mon engagement journalistique contre toutes sortes de charlatatenerie, je vous informe que vous en trouverez un grand nombre d’exemples dans le recueil de mes chroniques L’empire des sciences (Les échappés). Permettez-moi de penser que ma position sur la psychanalyse ne fait pas de moi un « fan de toutes les pseudo-sciences » comme vous le laissez entendre.

Antonio Fischetti



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