Making of
vendredi 21 août 2009, par Charlie enchaîné,
Jeddo
mise à jour : mercredi 10 novembre 2010
Depuis que Charlie enchaîné a été lancé, soit deux ans et demi et quelque 300 articles mis en ligne, le portail rezo.net [1] a repéré — seulement, regrette-t-on — trois articles parus sur le site. Outre celui déjà mentionné plus haut, les « copains » (de Siné et Daniel Mermet) ont apparemment trouvé très intéressants deux articles, publiés en décembre et janvier derniers, qui traitent, d’une part, de remous qui ont eu lieu au sein de la rédaction de Charlie Hebdo (« Débat interne à Charlie Hebdo ») et, d’autre part, de la sortie du film Choron, dernière, soutenu par Siné Hebdo, mais qui n’a pas fait l’unanimité à Charlie (« Le malaise Choron »). Avec, à chaque fois, la voix dissonante de Cavanna et un contenu qui, à première vue, donne une image peu reluisante de l’ambiance dans l’hebdomadaire satirique.
Bref, rezo.net a clairement pris position — et mène campagne — pour Siné contre Charlie Hebdo (surtout contre Philippe Val) et tout ce qui va un tant soit peu dans ce sens est bon à prendre — quand bien même les articles en question portent moins de critiques que d’interrogations [2]. Lorsque Charlie Hebdo dénonce, par exemple, en janvier, l’expérimentation de nouvelles armes à Gaza ou encore, en avril, la détention abusive de Julien Coupat — deux articles que Charlie enchaîné s’est fait un devoir de relayer —, « le portail des copains » reprend le énième billet de Sébastien Fontenelle qui fustige l’ex-directeur de Charlie. Certes, chacun a ses priorités — et l’on ne souhaite pas, ici, faire de procès d’intention au réseau —, mais s’agissant de Charlie Hebdo, rezo.net fait semble-t-il une entorse au pluralisme dont il est pourtant coutumier dans le choix de ses sources et nourrit, de ce fait, une haine injustifiée de l’hebdo [3], qui fait le bonheur des adversaires de la gauche.
Ce préambule posé, venons-en maintenant au cas Siné, pour lequel, précisons-le d’emblée, Charlie enchaîné ne cultive aucune animosité — on regrette, au contraire, que sa « Zone » ait disparu des pages de Charlie Hebdo. Il a été dit ici, et sur le site Caricatures et caricature, que pour établir la une de Siné Hebdo, le dessinateur a pris l’habitude de cosigner le dessin qu’il propose avec un ou plusieurs collaborateurs, en reprenant à son compte une idée soumise par ceux-ci afin, a-t-on compris, que la une soit systématiquement signée Siné — une forme de repère pour les lecteurs de Siné Hebdo, en quelque sorte. Des petits mesquins pourraient donc s’interroger sur le manque de créativité du dessinateur historique.
Alors poussons le bouchon un peu plus loin. Le lecteur, s’il est patient et suffisamment réceptif au second degré, comprendra où l’on veut en venir à la fin de cette petite dissertation. On a accusé, ici ou là, les dessinateurs de Charlie Hebdo de recopier les dessins de leur petits camarades de Siné Hebdo. Une lectrice avisée nous a signalé le cas inverse : la une de Siné et Loup du 12 août 2009 pourrait bien avoir été pompée sur un dessin de Charb paru le 1er octobre 2008 dans Charlie Hebdo.
Bon, soyons un peu sérieux et dissipons tout malentendu : la lectrice avisée dont il s’agit est une collaboratrice de Charlie Hebdo qui nous a contacté par courriel. Que nous dit-elle ? « Les dessinateurs professionnels ne sont pas à l’abri, quand ils réagissent à l’actualité — qui est la même pour tout le monde — de tomber sur les mêmes blagues. » Et ceci est d’autant plus vrai quand lesdits dessinateurs font partie d’une même famille. Jusqu’à la fameuse affaire Siné, ce dernier considérait Charb comme son « neveu ». Ironie de l’histoire, les deux ex-colocataires de la page 14 de Charlie Hebdo sont désormais à la tête de deux hebdos concurrents.
Mais la concurrence n’empêche pas la bienséance. Évidemment, il n’y a pas de quoi fouetter un lion : Siné et Loup n’ont pas plagié Charb, nous dit notre lectrice [4] — de même que Catherine n’avait pas plagié Jiho. En fait, « la métaphore me semble assez convenue », précise-t-elle, avant de poursuivre l’analyse comparative des deux dessins — qui intéressera, à coup sûr, nos confrères de Caricatures et caricature. « On y voit en effet une nuance de point de vue, répond-elle à Charlie enchaîné, qui lui fait remarquer des différences assez nettes entre les deux dessins. Alors que le dompteur-sarko de Charb est hypocrite et complice du lion-capitaliste puisqu’il s’en sert pour duper le public et faire oublier qu’il est depuis le début l’ami des patrons, le dompteur-Sarko de Siné est ridicule et impuissant, mais pas forcément de mauvaise foi. Sarko menteur d’un côté, Sarko minable de l’autre. » Comme quoi, quand il s’agit de taper sur Sarko, les vrais amis d’hier et faux ennemis d’aujourd’hui se rejoignent.
Il est assez amusant de constater que l’ambiance entre les dessinateurs des deux hebdomadaires satiriques n’est pas si délétère qu’on voudrait bien le croire. Le témoignage que nous avions recueilli auprès de Jiho plaidait déjà en ce sens ; « Le côté agaçant ne vient que de quelques internautes », ajoute notre correspondante de Charlie Hebdo, qui conclut : « La réaction de Jiho est celle qu’auraient eue tous les dessinateurs d’ici si la situation avait été inversée, donc : pas de querelle en vue. » D’un côté et de l’autre, on semble s’accorder au moins sur ce point : la caricature repose sur un ensemble de ressorts communs.
Charlie Hebdo et Siné Hebdo ont donc mis un pied hors du bac à sable, et nos amis de rezo.net et d’ailleurs seraient bien avisés de ne pas trop s’épuiser à alimenter un conflit Charlie/Siné qui, même s’il est vendeur, n’a pas vraiment lieu d’être et qui, on l’a dit, n’arrange rien à la situation peu enviable de la gauche et de ses relais médiatiques. Les deux hebdomadaires partagent beaucoup de points de vue sur le fond (sans-papiers, féminisme, anti-chasse, etc.), le reste faisant partie d’un débat légitime à mener — calmement si possible — avec toute la diversité et la complexité de la gauche [5] ; est-il vraiment nécessaire de s’attarder sur des polémiques insignifiantes en prenant un parti résolu pour l’un et en cherchant absolument à discréditer l’autre ?
Mise à jour du 22/8. Rezo.net aura mis moins de 24 heures pour reprendre cet article, sous le titre « Est-ce que la présente chronique sera également reprise par rezo.net ? ». Merci les copains. Ça nous apprendra à jouer aux plus malins !
Ajout du 4/9. Et ça continue, encore et encore... « Siné, Charlie : à qui profite la polémique ? », par Charlie enchaîné.
[1] On ignore quelles sont les personnes qui alimentent rezo.net, le site ne fournit pas d’informations précises à ce sujet.
[2] Curieusement, notre article « France Inter : Le Canard enchaîné raille Philippe Val » n’a pas été repéré par le réseau. Un simple oubli ? En tout cas, le sujet n’a pas échappé au journal Le Plan B, nous aurons l’occasion d’y revenir.
[3] En témoignent les nombreux commentaires vindicatifs reçus par Charlie enchaîné.
[4] Même son de cloche du côté de Siné Hebdo, où l’on répond à Charlie enchaîné qu’il s’agit là d’une « pure coïncidence ».
[5] La création de Siné Hebdo — et bientôt d’un Bakchich papier —, à cet égard, a peut-être apporté un peu de sang neuf dans une presse satirique (hebdomadaire) qui, au niveau national, manquait un peu de pluralisme — même si, encore une fois, les positions des uns et des autres ne sont pas si éloignées. À noter que Fakir, bimensuel d’enquête sociale édité à Amiens, est distribué dans la France entière depuis quelques mois. La presse va peut-être mal, mais les journaux indépendants ont l’air, eux, de tirer leur épingle du jeu.