Charlie enchaîné

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Un SMS et des questions

vendredi 22 février 2008, par Charlie enchaîné
mise à jour : samedi 23 février 2008

Dans Charlie Hebdo (13/02/08), Philippe Val s’interroge en ces termes : « “Nouvel Observateur” ou nouveau voyeur ? » (titre de son éditorial). Pour lui, « L’Obs est représentatif de la crise de la presse », à savoir que la presse écrite est censée « devenir la référence du sérieux journalistique ». Mission délicate quand, dans le même temps, il faut satisfaire ses investisseurs. D’où, selon le raisonnement de l’éditorialiste, ce dérapage de L’Obs, qui « vient juste d’oublier que l’agonie de la démocratie commençait avec le viol de la vie privée ».

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« Ils ont vérifié l’info ! »
Une de Charlie Hebdo n°817 (13/02/08) illustrée par Cabu
(Source : Les Unes de Charlie Hebdo)

Le Canard enchaîné, par l’entremise de Louis-Marie Horeau (« Du vitriol dans l’eau de rose », 13/02/08), écrit que « Sarkozy a été le premier metteur en scène », justement, d’une partie de sa vie privée, et retrace rapidement les « événement considérables » (ironie) depuis le départ de Cécilia jusqu’au mariage avec Carla. Cette explication constitue une esquisse de la réponse à la question qui intéresse le journaliste : « Qu’est-il arrivé à la presse française connue pour sa retenue en matière d’informations sur la vie privée ? »

Pour Philippe Val, un autre phénomène pourrait éclairer la publication du SMS : la « bataille entre la presse écrite payante (...) et les “nouveaux médias“ », en particulier — on le devine — Internet. Selon l’éditorialiste, « il y aura un vainqueur et un vaincu ». La méfiance — voire la défiance — de Philippe Val à l’égard de la Toile n’est pas nouvelle. Il dénonce ainsi ici l’« hypocrisie » qui consiste, pour Le Nouvel Observateur, à se défausser sur son site Internet : « Comme si le nom même du site, nouvelobs.com, n’avait pas la caution explicite du Nouvel Obs tout court ».

La limite

Louis-Marie Horeau s’interroge, lui, sur la difficulté de « résister à la dérive » tout en demeurant « intransigeant sur les principes ». Il explique ainsi que « quelque séquences “vie privée” » permettent de cerner la personnalité du chef de l’État, notamment ses « fragilités », ce qui en fait « des informations de première importance ». « Jusqu’où aller trop loin ? », se demande-t-il. Le journaliste écrit que c’est le président de la République qui vient de fixer « la limite, sa limite » en portant plainte au pénal.

Cette plainte, « c’est sans doute le plus grave », estime Philippe Val. Sarkozy, « à son tour, brise un tabou », mais commet une « faute (...) bien plus lourde [que celle de L’Obs] compte tenu de ses responsabilités ». L’éditorialiste note qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait utilisé cette procédure jusqu’à présent ; ce faisant, « on bascule dans un autre monde », écrit-il, regrettant que ce soit L’Obs qui ait fourni l’« alibi » à Sarkozy. Néanmoins, bien que se disant convaincu que le SMS « n’a jamais existé », le directeur de Charlie en appelle à « la solidarité avec Le Nouvel Observateur ».

Aucune trace de soutien à l’hebdomadaire de Jean Daniel, en revanche, dans Le Canard enchaîné, qui choisit de ne pas « s’ériger en arbitre des usages journalistiques ». Louis-Marie Horeau relève une conséquence potentielle qui pourrait s’avérer fâcheuse pour la profession : « de quoi auront l’air les journalistes qui demain s’indigneront, à juste titre, d’une écoute téléphonique illégale ou d’un viol de leur correspondance ? » Une autre question à méditer, en effet...


Procédure. Nicolas Sarkozy a donc choisi de contourner les « garanties prévues par la loi de 1881 sur la presse » et de poursuivre pour “faux, usage de faux et recel”. Dans ce cadre, « c’est à l’accusation qu’il revient de démontrer » le “faux”, explique par ailleurs tranquillement Le Canard enchaîné. « Naturellement, [les opérateurs téléphoniques] ne (...) trouveront pas [le SMS] », affirme l’hebdomadaire, mais cela ne serait pas suffisant pour conclure à la culpabilité, car « nul ne peut affirmer que le monstre du loch Ness n’existe pas, mais seulement qu’il est introuvable ». Bref, la seule utilité de cette procédure, c’est qu’il s’agit d’« un bruyant coup de semonce en direction de la presse », conclut Le Canard.


Édito. Le 17 février 2001, Philippe Val expliquait aux lecteurs de Charlie Hebdo pourquoi le journal renonçait à avoir un site Internet, dans un éditorial intitulé « Internet, la kommandantur libérale » :

Pourquoi Charlie n’a-t-il pas de site Internet ? Hein ? Vous vous déplacez encore en diligence ? Et pourquoi ne diffusez-vous pas vos idées comme les Indiens d’Amérique avec des signaux de fumée ? Ton vélo, il a des pneus pleins et un pignon fixe ? Non, alors pourquoi t’as pas un site Internet ? Même mon plombier, il a un site Internet interactif. Tu cliques sur « plombier », puis sur « lavabo », puis sur « siphon », puis sur « pelote de poils qui bouche », tu donnes ton numéro de carte de crédit, hop ! six mois plus tard, tu reçois dans ta boîte aux lettres une pub pour Destop, et le tour est joué. C’est ça, l’avenir. Un site Charlie, ce serait génial. Pourquoi ? Ben, j’sais pas, moi, on verrait le sommaire, les principaux articles, les archives, l’âge du capitaine, une visite guidée des locaux, la marque de croquettes des chiens de Luce Lapin, s’il reste des cacahuètes dans le frigo de la rédaction, et puis il y aurait un forum de discussion et puis des entrées interactives, et puis des conseils pratiques : comment faire la révolution avec un couteau suisse, un poste à galène et une boîte de trombones. Ben non. On n’a pas de site Internet. Oh, on y a pensé. On a vu défiler dans nos bureaux des experts, des militants du Web, des ingénieurs en informatique qui nous ont proposé des projets, tous plus beaux et originaux les uns que les autres. Mais, au bout du compte, on a dit non.

Ami lecteur, tu vas comprendre pourquoi. Il y a deux raisons principales. Mettons de côté l’utilité reconnue du courrier électronique. Plus rapide que le courrier normal et moins volatil que le téléphone, l’e-mail prend une place, dans nos modes de communication, qui n’est pas illégitime. À ceci près que sa confidentialité n’est pas garantie, ce qui suppose qu’on en ait conscience lorsqu’on l’utilise. Pour le reporter qui doit envoyer instantanément à sa rédaction des gros dossiers déjà mis en forme, pour les scientifiques qui peuvent communiquer entre eux très vite et à moindres frais, pour les amoureux que séparent des océans, pour les parents ou les amis lointains, vive l’e-mail ! Un site, c’est une autre histoire.

D’abord, une histoire d’argent, et c’est la première raison. Pour créer un petit site Charlie Hebdo modeste mais vivant, avec archives, forum, services actualisés, choix d’articles et de planches de dessins dont la présentation et le contenu apporteraient un supplément d’intérêt à ce que l’on trouve dans l’hebdomadaire, il faut compter, au minimum, 600 000 francs par an. Dans cette somme, il y a le prix de l’hébergement et le salaire de la personne qui entretient le site à l’année. Comment rentabiliser ? En faisant payer la connexion ? C’est là que commencent les problèmes. Les seuls sites payants rentables sont ceux qui proposent des placements financiers ou du sexe — c’est-à-dire la psychologie rudimentaire de l’internaute de base, agité par les deux instincts les plus primitifs : le rut et la domination. Certains journaux ont investi des sommes énormes pour bâtir des sites dont le succès n’a eu qu’une conséquence : une chute de la vente au numéro. Mais les directeurs des journaux se sont entêtés, terrorisés de ne pas être à la pointe de la modernité. Comme les sites d’information sont condamnés à la gratuité s’ils veulent avoir des connexions, on touche directement le cœur du premier problème. Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, disait que, lorsque les recettes publicitaires d’un journal dépassent 30% des recettes globales, le journal est mort. Sur Internet, le journal est forcément gratuit, et financé à 100% par la publicité, unique moyen de rentabiliser l’investissement, si l’on excepte les « services » cul et fric proposés par le journal, certes, mais qui n’ont pas grand chose à voir avec le journalisme. C’est donc une presse trois fois morte qui est en train de naître sur Internet, tout en faisant concurrence à la presse d’information et d’opinion, laquelle, généralement, vit déjà à plus de 50% de la publicité. Pour un journal comme Charlie Hebdo, qui n’a aucune rentrée publicitaire, créer un site Internet reviendrait à publier une version électronique financée à 100% par la publicité. Qui pourrait le souhaiter, lorsqu’il ne reste plus en France que deux hebdomadaires d’information et d’opinion qui ne vivent que de leurs ventes ? La presse doit pouvoir exister d’abord par son contenu éditorial, ses enquêtes et ses analyses. Que pourrait-on penser de la valeur du travail d’un journaliste s’il n’est plus que l’employé des annonceurs qui lui permettent de caser quelques articles dans leur support promotionnel diffusé gratuitement ? Comme Internet s’est constitué aujourd’hui, la généralisation de la presse électronique, c’est à la fois la mort de l’information démocratique et pluraliste et le triomphe d’un ultra-libéralisme qui possède et contrôle tout, y compris la totalité des moyens d’information. La part des recettes de la vente au numéro est indirectement proportionnelle à la liberté des journalistes de traiter les sujets en fonction de l’intérêt du lecteur, à l’exclusion de tout autre intérêt politique ou financier. Ajoutez à cela que, d’ores et déjà, la majorité des hébergements ont été rachetés soit par Lagardère, soit par Vivendi, soit par la Lyonnaise des eaux-Dumez, et vous comprendrez vite qu’Internet, loin d’impliquer un développement de la presse, est au contraire un piège séduisant par sa facilité de diffusion, mais mortel pour ce qui est diffusé. Séduisant, parce qu’une fois de plus on confond — et toute la publicité pour Internet encourage cette confusion — le sens du mot « liberté » avec le sens politique qu’a pris le mot « libéral ». Internet, c’est sauvagement libéral.

Enfin, la seconde raison, et qui n’est pas la moindre : Internet nous est vendu comme un réseau prétendument d’information. Mais, à part ceux qui ne l’utilisent que pour bander, gagner en bourse et échanger du courrier électronique, qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site personnel ? Des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs, qui trouvent là un moyen de diffuser mondialement leurs délires, leurs haines, ou leurs obsessions. Internet, c’est la Kommandantur du monde ultra-libéral. C’est là où, sans preuve, anonymement, sous pseudonyme, on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impunité. Vivre sous l’Occupation devait être un cauchemar. On pouvait se faire arrêter à tout moment sur dénonciation d’un voisin qui avait envoyé une lettre anonyme à la Gestapo. Internet offre à tous les collabos de la planète la jouissance impunie de faire payer aux autres leur impuissance et leur médiocrité. C’est la réalité inespérée d’un rêve pour toutes les dictatures de l’avenir. Sans une régulation démocratique mondiale d’Internet, débattue par les représentants des peuples de tous les pays ayant pour mission de garantir les droits des individus, dans un avenir proche, nous deviendrons les victimes aliénées d’une révolution technologique dont la propagande nous martèle qu’elle est la clef de la liberté.

Note : les sauts de ligne ne sont pas nécessairement ceux d’origine.

(Source : http://www.namurantifasciste.be/tik...)


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3 Messages de forum

  • Pourquoi pas de site internet pour Charlie ?

    25 février 2008 12:54, par BALI Esther

    Ça se discute : n’importe quel outil de progrès a son bon côté et son mauvais côté. Le tout est dans la manière de l’utiliser. Les journaux papiers, télévisés, tout comme internet peuvent être — et à mon avis sont aussi — des outils de propagande. Internet est une autre manière de diffuser l’information.

    Je comprends mieux l’argument mercantile. Bien sûr, il faut gagner sa vie, mais pour des personnes comme moi qui n’ont que 750 euro/mois à dépenser, m’informer correctement, c’est-à-dire acheter plusieurs quotidiens et quelques hebdomadaires plus un ou deux mensuels est impossible. Je ne devrais donc pour être informée que me contenter des journaux télévisés ? Ben non, ceux-là, ça fait un bail que je ne les regarde plus car rien n’y est information mais plutôt lavage de cerveau et formatage.

    Je trouve mon compte sur la multitude de sites d’information internet qui à mon sens est tout aussi crédible sinon plus que l’information papier. La déontologie journalistique ne dépend pas du support, on est bien d’accord ?

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    • Pourquoi pas de site internet pour Charlie ? 25 février 2008 13:01, par Charlie enchaîné

      « (...) mais pour des personnes comme moi qui n’ont que 750 euro/mois à dépenser, m’informer correctement, c’est-à-dire acheter plusieurs quotidiens et quelques hebdomadaires plus un ou deux mensuels est impossible. »

      Vous avez la possibilité de consulter gratuitement la presse écrite à la bibliothèque ou à la médiathèque (à condition, bien sûr, d’être à proximité et d’avoir le temps).

      Toute information a un coût et le modèle économique qui veut que celle-ci soit financée par des annonceurs (modèle dominant sur internet) est questionnable.

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      • Pourquoi pas de site internet pour Charlie ? 21 novembre 2008 06:41, par ac

        Il y a un point intermediaire entre le journal intégral sur internet au detriment des ventes en kiosque et l’absence : un site de forums , dossiers et autres articles absents de la version papier. Integre a la redaction, il couterait peu et garderait le contact avec les lecteurs, ce qui peut prévenir de pas mal de déboires à long terme.

        Non, ce n’est pas moi qui ai soumis le tout petit devis.

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