lundi 14 mars 2011, par Chantal Sayegh-Dursus
En cette année 2011, la misère était devenue règle de vie dans tous les pays du monde. Les puissants se recevaient, s’obligeaient mutuellement, se partageaient les richesses et semblaient avoir oublié la raison même de leur légitimité à la tête des États. Lorsque, malgré tout, surpassant en duplicité et rapacité ses comparses, l’un d’entre eux était pris la main dans le sac, tous les autres ne manquaient pas de l’assurer de leur soutien, de leur compréhension, de leur solidarité ; se prémunissant ainsi par avance de toute accusation de prévarication future.
La Bourse, après avoir spéculé sur le pouvoir d’achat des plus pauvres et généré la crise des subprimes, s’attaqua ensuite à leur propre survie en misant sur les matières premières agricoles servant à leur alimentation de base. Il était devenu chose acquise que seules les mafias avaient droit de cité dans ce monde du XXIe siècle. Grâce à de puissants lobbies, elles s’assuraient d’ailleurs de lois défendant leurs seuls intérêts. Pourtant un démocrate s’y était opposé sur la grande île de l’autre côté de l’Atlantique, disant qu’il fallait rendre le pouvoir au peuple, que les lobbies en soudoyant les sénateurs confisquaient les lois qui devaient être faites dans l’intérêt des électeurs, que tout homme avait droit à l’aide de ses concitoyens. Il fut vite mis sur la touche, empêché et bridé par ceux-là même qui l’avaient élu. Toute forme d’association, surtout humanitaire, était par contre vivement encouragée car elle assurait aux plus démunis une assistance dont les États désiraient se démettre. Dans un pays de la communauté européenne, certains ministres s’avancèrent même à nommer « niches fiscales » les aides minimales fournies aux plus démunis ; a contrario, les nombreux paradis fiscaux et diverses lois protégeant les rapines de tout ordre ne furent pas remis en cause. Un employé d’une banque suisse s’arrangea pourtant pour fournir tous les noms de cette grande évasion fiscale, représentant le budget d’un pays d’Europe pour la prochaine décennie. Il fut simplement licencié et aucun contrevenant ne rendit jamais de comptes, mais peut-on…
Le petit peuple se démenait, s’insurgeait, manifestait mais était superbement ignoré par ces nouveaux princes de la magouille et de la carambouille.
Alors, pauvre parmi les plus pauvres, et pourtant bardé de diplômes, devant lui assurer richesse et prospérité, un homme qui mourrait de faim décida de s’immoler par le feu. Et tous de s’indigner : « Mourir en silence cela se fait, mais s’immoler par le feu quelle barbarie ! » Mais d’autres aussi pauvres et désespérés que lui comprirent ce geste. La Tunisie se souleva et bouta l’ennemi hors de la cité, ainsi le fit aussi l’Egypte. C’était pourtant la lutte désespérée de la plèbe, de la populace, qui n’avait pourtant pour combattre que ses seules mains. Mais vivre ou mourir était devenu depuis fort longtemps équivalent pour ces damnés de la terre. Surpris, certains cherchèrent des coupables. « Comment n’avez-vous pas deviné qu’ils se soulèveraient, uniquement parce qu’ils avaient faim ? » Bref, tous s’interrogèrent, remanièrent, se solidarisèrent… mais un peu tard. Quand le Libyen massacra ses concitoyens, nul n’aida, nul ne fournit d’armes, nul ne conseilla militairement, car seuls des journalistes furent envoyés sur la ligne de tir en guise de solidarité : « Autant les occuper, et cela en fera un peu moins… »
Le roi du Maroc, sentant souffler le vent du désert, décida d’appliquer une monarchie constitutionnelle selon le modèle espagnol. Mais, de l’Algérie au Yémen, en passant par l’Iran ou la Chine, tous les mal-assis se mirent à trembler. Tout le monde, avec impatience, attendait de voir les Syriens, les Coréens du Nord et pourquoi pas les Cubains se décider à faire de même. Et chez nous…
Car les sondages ont parlé : Elle gagnera les prochaines élections. Tous se voilent la face, refont des sondages, des contre-sondages. Cependant, seul l’homme du Centre, qui refusa de se rallier, ou l’égérie des dernières élections pourraient réconcilier les électeurs avec l’isoloir. Car les autres se sont tous compromis, même les éléphants, car ils sont tous du pareil au même, à bâbord comme à tribord. Ils ergotent, ils pensent tous avoir un destin national, mais de destin il n’en n’ont point, car seule l’ambition les guide. De programme, ils en ont encore moins, les bobos et les caviars. Ils se trémoussent sur la scène politique, promettant la bouche en cœur tout ce que voudra entendre l’électeur. Mais l’électeur, lui, a déjà payé, a déjà vu, a déjà donné, donc il n’en veut plus.
Car cette année 2011 est heure de jugement dernier pour tous les prévaricateurs.
Chantal Sayegh-Dursus
Extrait du manuscrit Air du Temps (propriété intellectuelle sécurisée).