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Velib’ : une opération juteuse pour JCDecaux

mardi 25 septembre 2007, par Charlie enchaîné
mise à jour : jeudi 21 février 2008

Jean-Luc Porquet (« Le Canard enchaîné », 19/09/2007) décrit « la phase 2 de l’opération Velib’ ». « C’est la contrepartie obtenue par Decaux, écrit le journaliste. De nouveaux panneaux publicitaires débarquent en masse » à Paris (« pas moins de 1628 », dont « 348, immenses, de 8m² »). Le hic, c’est qu’« ils seront éclairés la nuit » et, d’après les calculs effectués par des écologistes, « ils consomment (...) autant d’électricité qu’un ménage français de 2,6 personnes... »

Querelle de chiffres. Selon un article d’Emmanuel Berretta sur « Le Point.fr » (25/09/2007), le nombre de panneaux publicitaires « de 8 mètres carrés [doit] passer de 435 à 348 ». Contrairement à la tendance décrite « Le Canard enchaîné » (« de plus en plus de pub »), « Le Point.fr » affirme, « après vérification », que « les panneaux JC Decaux vont se raréfier » [1].

Certes, si l’information du « Point.fr » est juste, le nombre de panneaux publicitaires diminuerait de 20% dans la capitale. Mais ce que dénonce Jean-Luc Porquet, c’est « [la multiplication] par trois du nombre de messages publicitaires ». En effet, sur les panneaux déroulants, « quatre pubs [se] succéderont toutes les 6 secondes ». D’où cette injonction du journaliste : « Consommez toujours plus ! »

Gagnants et perdants. Cette prolifération du nombre de messages publicitaires a une explication simple. D’un côté, certains panneaux vont être retirés. Ceux-ci, situés par exemple près des écoles, sont statiques. Ils ne délivrent donc qu’un seul message publicitaire à la fois. De l’autre côté, ils vont être remplacés, ailleurs, par des panneaux déroulants, moins nombreux, mais plus “efficaces” : ceux-là permettent d’afficher plusieurs publicités sur un même support, et donc d’accroître le nombre de messages.

L’opération Velib’, qui a bénéficié en France d’une couverture médiatique de grande ampleur, apparaît comme un marché “gagnant-gagnant” passé entre la Mairie de Paris, qui agirait « au nom de la défense de l’environnement », et surtout JCDecaux, pour qui « Paris va servir de vitrine publicitaire » [2]. Mais il y a bien des perdants quelque part... « La Décroissance » (n°42, 09/2007) pose ainsi la question suivante : « Sur un vélo JCDecaux, pédalons nous pour la planète, ou roulons-nous pour le capitalisme qui la détruit ? »


Démontage du Velib’

« La Décroissance » est un journal mensuel indépendant édité par l’association Casseurs de pub. Il milite, entre autres, contre la publicité. Dans le numéro de septembre 2007, Vincent Cheynet, rédacteur en chef du journal, « démonte », à sa manière, l’opération Velib’. « Charlie enchaîné » reproduit ci-dessous de larges extraits de son analyse.

Pour comprendre l’opération Veli’b, (...) il faut remonter au début de la décennie. Depuis 2000, les opérations de contestation de la publicité se sont multipliées en France. Ces actions ont permis de faire comprendre à un certain nombre de personnes que la publicité, loin d’être ce truc ludique et amusant que leur présentaient les publicitaires, est un véritable outil de propagande idéologique, un rouage essentiel de la société de consommation. La société fait d’un moyen, la consommation, une finalité, un but en soi. La source de la crise écologique se trouve justement dans ce genre d’idéologie. Les publicitaires se sont inquiétés de ce regain de lucidité et ont élaboré des stratégies (...) pour se donner une image écolo.

L’entreprise Jean-Charles Decaux [en fait Jean-Claude Decaux, NdR] est le n°2 mondial de l’affichage publicitaire. Son fonds de commerce est la pollution visuelle et la marchandisation de nos paysages. Les panneaux publicitaires Decaux, éclairés 24 heures sur 24, motorisés pour faire dérouler plusieurs affiches, sont les symptômes d’une société qui gaspille de manière aberrante à l’heure du réchauffement climatique. [...]

Face à la montée de la contestation de la publicité en France, le groupe Decaux a conçu les opérations Velo’v à Lyon ou Veli’b à Paris. L’afficheur s’est employé, par ce biais, à se donner une image de protecteur de l’environnement afin de faire face aux critiques, le tout à bon compte, car tout cela est loin d’être « gratuit » pour les municipalités. Le groupe Decaux fournit des bicyclettes en location en échange d’espaces publicitaires. (...) En faisant à la fois payer les municipalités et les annonceurs, Jean-Claude Decaux & fils [Jean-Claude est le père, Jean-François, Jean-Charles et Jean-Sébastien sont ses fils, NdR] viennent de se hisser au rang de 5e fortune de France (...) selon le dernier classement du magazine étatsunien Forbes. [...]

Le « développement durable », ça roule pour la famille Decaux. Les municipalités se déchargent de leurs responsabilités en matière de service public sur des entreprises privées. En échange, ces dernières se servent du service qu’elles fournissent, contre rétribution directe ou indirecte, pour redorer leur blason environnemental et défendre leur modèle idéologique. C’est la stratégie du Green-washing (laver vert). Elle consiste à instrumentaliser l’écologie pour en faire un argument de l’idéologie capitaliste. Le fondation Nicolas Hulot se montre à la pointe de cette stratégie, en vendant aux multinationales une image verte contre rétribution. Le groupe JCDecaux finance l’animateur de TF1. Celui-ci en retour donne son onction dans le rapport d’activité 2004 de l’afficheur en le bénissant ainsi : « De la pédagogie naîtra un meilleur respect pour la nature dans toute sa diversité. L’affichage nous offre une occasion unique d’interpeller le plus grand nombre. » Le capitalisme est une machine extraordinaire pour recycler sa propre contestation.

[...]

Qu’importe, opération strictement parisienne, les journalistes ont organisé avec ferveur une campagne nationale pour l’opération de communication de JCDecaux. On ne compte plus les articles qui ont été célébrés cet été les Veli’b. Les journalistes ont, une fois de plus, abdiqué toute once d’esprit critique (...). Le fait que la publicité soit la principale source de revenu des médias est bien sûr sans rapport aucun. Cela marche d’autant mieux que ces journalistes adhérent au modèle idéologique qui est derrière le système Veli’b. Ces vélos hautement technologiques permettent à leurs yeux de « déringardiser » la bicyclette. Cette technologie n’est pas sans poser des problèmes de liberté publique, car elle enregistre tous les déplacements au moyen de puces RFID. Surtout, la simplicité, argument hautement subversif de la bicyclette, est ainsi évacuée.

Le Veli’b, c’est tout l’art de maquiller la « petite reine » en racoleuse de trottoirs pour le capitalisme.


Suite :
- « Velib’ : une opération juteuse pour JCDecaux (suite) »
- « JCDecaux surfe sur la publicité à Paris grâce au Velib’ »
- « « Le réalisme sera bientôt sur la selle » »

P.-S.

À lire :
- Enquête de Bakchich en deux volets : « Vélib’ : un vélo qui ne tourne pas rond »

Sites internet :
- Journal « La Décroissance »
- Association Paysages de France
- JCDecaux

Notes

[1] Le journaliste du « Point.fr » écrit que « Le Canard [relaye] les alarmes de l’association Paysages de France ». Quant à lui, « Le Point.fr » « relaye » les propos rassurants de JCDecaux, qui se défend en affirmant que ses panneaux seront éclairés à « l’électricité verte », sans toutefois vouloir préciser l’identité de son fournisseur.

[2] Propos de Pierre-Jean Delahousse, de l’association Paysages de France, cité par Jean-Luc Porquet.


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