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Mixité sociale

Villa Montmorency : une Zona au cœur du XVIe arrondissement de Paris

samedi 18 octobre 2008, par Jeddo
mise à jour : samedi 22 novembre 2008

Le Canard enchaîné du 8 octobre signale en page 8 une intéressante enquête du Monde 2 (3/10) : « HLM : la Villa Montmorency entre en résistance ». Incursion dans une gated community — littéralement, « communauté à portail » (quoique « communauté gâtée », comme nous allons le voir, conviendrait aussi) — à la française.
Gated Community
© TheTruthAbout...

La Zona, propriété privée, film mexicain de Rodrigo Plá sorti le 26 mars 2008 en France, décrit une enclave surprotégée de Mexico, entourée de murs et gardée par une société de sécurité privée, où la police ne peut pénétrer qu’en possession d’un mandat de justice. Un soir d’orage, trois adolescents des quartiers pauvres parviennent à s’introduire dans cette zone résidentielle réservée aux riches. Ils tentent de cambrioler un maison, mais se font surprendre : deux d’entre eux sont tués, le troisième, Miguel, réussit à s’enfuir. Mais il se retrouve bloqué dans l’enceinte de la Zona et sera pourchassé par ses habitants, assoiffés de revanche et impitoyables.

Affiche du film La Zona Les origines des gated communities, explique Stéphane Degoutin dans sa « Petite histoire illustrée de la ville privée » (Urbanisme, 6-7/04), remontent au dix-neuvième siècle, où des « enclaves réservées à l’élite » voient le jour à Londres, Paris, New York. Ces communautés fermées prennent leur essor dans les années 1960-70 aux États-Unis, écrit Renaud Le Goix dans l’article « La dimension territoriale des Gated Communities aux États-Unis » (Revue Cercles vol. 13, 2005). Ce modèle urbain s’exporte aujourd’hui dans le monde entier : Chine, Amérique du Sud, Russie, Afrique du Sud, Moyen-Orient, Australie, Europe. Selon Stéphane Degoutin, les gated communities d’outre-Atlantique correspondent, dans certaines régions, à « la forme d’habitat la plus banale qui soit », c’est-à-dire qu’elles ne seraient plus « réservées aux riches » et il s’agirait désormais de la « norme ».

La Villa Montmorency, dans le XVIe arrondissement de Paris, présente, dès son origine en 1853, toutes les caractéristiques de la gated community moderne réservée aux nantis (portail imposant, contrôle d’accès, règlement de copropriété drastique). Le cahier des charges, adopté dans les années 1850, proscrit, entre autres, les activités commerciales et industrielles dans la zone. Le Monde 2 note que ce règlement est « toujours valable aujourd’hui ». Le Canard enchaîné (8/10) décrit la Villa Montmorency comme « la plus extraordinaire thébaïde hexagonale pour milliardaire, (...) un petit éden, bien clos, verdoyant, admirablement entretenu ».

Mettons les choses au Point

Jamais en retard pour s’ébahir devant une obscénité, l’hebdomadaire Le Point a consacré, en juillet 2008, un dossier à la Villa Montmorency, rebaptisée « La Cité interdite » [1] — sans, évidemment, mentionner les projets urbanistiques de la mairie de Paris, qui prévoit d’installer quelque 180 logements sociaux à proximité (lire plus loin). Attention les yeux, lecteurs du Point, vous allez pénétrer dans « un cocon douillet pour PDG de haut vol et stars du show-biz »... L’article d’Emmanuel Berretta — vieille connaissance de Charlie enchaîné — et consorts vaut le détour. C’est pourquoi nous nous y arrêtons.

En introduction est décrit le cadre idyllique et quasi-paradisiaque de la Villa Montmorency, qui permet à ses habitants de demeurer « à l’abri (...) des importuns ». Mais surtout, privilège des « riches » et des « très riches », « ce calme, ce luxe et cette volupté, ce lopin de campagne où il fait si bon vivre, c’est à Paris, la mégalopole embouteillée aux 2 millions de visages blafards qui respirent les pots d’échappement, slaloment entre les Vélib’ de M. le maire et glissent sur les crottes de chien ! » Ou comment tacler Delanoë sans en avoir l’air...

Indiens d'Amérique du Nord Mais il y a beaucoup mieux : en plus d’avoir beaucoup d’argent sur leur(s) compte(s) en banque, les riches habitants de la Villa ont de l’humour. Jugez plutôt : « “Avec les impôts que nous payons en France, nous, les riches, sommes devenus tellement peu nombreux qu’on est obligé de créer des réserves”, s’amuse l’un des résidents, doté d’un sens de l’autodérision rare à ce niveau de revenus. » Effectivement, à ce niveau-là c’est rare. Les Indiens d’Amérique doivent se poiler [2].

L’hebdo balance ensuite quelques noms : Bolloré, Niels (patron d’Iliad), Lagardère, Beaudecroux (NRJ), possèdent une ou plusieurs maisons dans la Villa. Mais selon Le Point, « rien d’étonnant que la Villa Montmorency soit le repaire des tycoons français de la com’ : l’Ouest parisien héberge la plupart des grands médias. » L’article ne dit pas si ces ténors du capitalisme se rendent au boulot en bagnole. Sauf — et c’est capital — pour Arnaud Lagardère, dont on sait qu’il « se trouve (...) à huit minutes en voiture de la rue de Presbourg, où siège son groupe. »

P.-S.


Bande annonce de La Zonaallocine.fr

Notes

[1] Quasiment au même moment que Le Point, l’hebdomadaire Challenges (10/7), du groupe NouvelObs.com, consacrait également une enquête à la fascinante gated community : « Montmorency, la Villa où le silence est d’or ». Le sujet est bien parti pour devenir un marronnier de l’été...

[2] Toujours dans l’humour et l’autodérision, un habitant emploie une « expression amusée » pour appeler la Villa : « rupin-land ». On est plié.


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