Charlie enchaîné

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« Wikileaks mérite d’être salué »

samedi 11 décembre 2010, par Charlie enchaîné

“Au moment où Bush, dans ses Mémoires, vient de reconnaître que toute cette affaire d’armes de destruction massive était fabriquée, les bonnes consciences administratives, bureaucratiques, de la politique et des affaires étrangères, et nombre d’intellectuels s’alarment de la dictature de la transparence et du fascisme de Wikileaks. Wikileaks a fait passer cette vidéo où l’on voit un hélicoptère américain massacrer un groupe de civils dont deux journalistes de Reuters. Rien que pour ça, Wikileaks mérite non seulement d’exister, mais d’être salué.

Wikileaks vient de transférer à de grands journaux de multiples informations sur les affaires étrangères américaines. Le journaux (Le Monde par exemple) les ont triées et consciencieusement vérifiées avant de les divulguer. « On connaissait tout ça ! », glapit le chœur des pleureuses anti-Wikileaks. Alors, si vous saviez, pas la peine d’en faire un fromage, d’accord ? Mais le chœur des pleureuses hurle au fascisme de la transparence, au maoïsme de Wikileaks, qui impose de tout voir et de tout savoir. Et d’en appeler à Orwell. Cette obsession du tout-dire et du tout-savoir, du projecteur perpétuellement allumé et braqué sur les prisonniers est en effet fasciste. Comme est fasciste la présence perpétuelle des caméras de surveillance. Sauf que Wikileaks n’a jamais prétendu tout révéler et tout donner, jamais. Ça, c’est le fantasme des obsédés du complot que sont devenus les anti-complotistes, les paranoïaques qui, dénonçant tous les complotistes, sont aussi malades que ceux qui dénoncent partout l’antisémitisme ou l’anti-islamisme. Wikileaks met la main sur un certain nombre de mensonges, c’est tout. J’ai envie de savoir sur Karachi, et si Wikileaks me donne l’info que cachent les politiques ou les juges ou les deux, tant mieux. Wikileaks fait du boulot de mauvais journaliste ? Pas sûr. Wikileaks travaille avec les journaux. Wikileaks est fasciste parce qu’il ne faut pas tout savoir ? OK. « La langue est fasciste », disait Roland Barthes, ce qui n’est pas une raison pour se taire. Qui a intérêt à ce qu’on ne sache pas, sinon le pouvoir ? Védrine a eu cette phrase merveilleuse : « On ne peut pas tout dire devant les enfants. » Voilà la clef de l’histoire. Les citoyens sont des enfants. Si on leur dit tout, ils vont s’affoler. Si on leur dit que l’Irlande ne remboursera jamais, ce qui est vrai, et que la Grèce ne remboursera jamais, ce qui est vrai aussi, ils vont avoir peur. Il ne faut pas faire peur aux enfants. Le mensonge sert les parents, le pouvoir, les puissants, et toujours le pouvoir se drape dans le mensonge et le mystère.”

« Les assassins chamarrés » (extrait), par Bernard Maris, Charlie Hebdo n°964, p. 3, 08/12/10.


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