Charlie enchaîné

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Zèle de poulet

mercredi 24 décembre 2008, par Charlie enchaîné, Jeddo
mise à jour : mardi 24 novembre 2009

« En cinq ans, le nombre des gardes à vue a augmenté de 54% ! », s’exclament Brigitte Rossigneux et Dominique Simonnot dans Le Canard enchaîné (10/12). Le titre du dossier consacré par l’hebdomadaire satirique à la question donne un chiffre brut : « Plus d’un demi-million de gardes à vue ». Les deux journalistes expliquent les raisons de ce phénomène et rapportent quatre témoignages de « GAV » survenues en 2008.

Le 11 mars 2003, « après une rafale de bavures », Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur « s’était ému de la situation » et demandait à ses flics de lever le pied, car une telle situation « n’est pas admissible dans la patrie des droits de l’homme ». Mais le 2 février 2007, le ministre de l’Intérieur Sarkozy Nicolas signait une note dans laquelle il expliquait que « le nouveau taux d’efficacité de l’activité policière serait dorénavant calculé en fonction du nombre de gardes à vue ».

Incompatible ? Pas forcément, si les poulets réussissent à coffrer sans trop de dégâts les récalcitrants. Dans le cas contraire, il existe heureusement quelques combines : « il suffit d’accuser de rébellion, d’incitation à l’émeute ou d’outrage le clampin qu’on a un peu secoué, un jour de mauvaise humeur ». D’une pierre deux coups : ça permet de « couvrir un début de bavure » et de faire « monter les statistiques ». Le Canard enchaîné relève, heureux hasard, que « les procédures pour “outrages” ont, elles aussi, explosé »...

À quoi sert une garde à vue, à part donner des bonnes notes aux forces de l’ordre ? En principe, « il s’agit d’une mesure purement technique qui consiste à retenir de force une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction » ; répondre à une convocation de la justice ou « suivre gentiment la patrouille » permet normalement au type concerné d’éviter la garde à vue. Et s’il n’y échappe pas, le procureur doit être immédiatement mis au parfum, selon la loi. Fort heureusement pour nos valeureux cow-boys, « il s’agit d’un texte qui sert juste à amuser les étudiants en droit ».

De la théorie à la pratique

La vie secrète des jeunes

En voilà un qui a eu de la chance !
Dessin de Riad Sattouf, paru dans Charlie Hebdo (10/12)

Quatre « gardés à vue » racontent leur (més)aventure dans Le Canard enchaîné, dont les trois premiers ont été repris intégralement par le blog Collectif 217 A. On commence en douceur avec Sylvain Garrel, conseiller municipal (Vert) à paris XVIIIe. Il se pointe tranquillement au commissariat le 31 juillet 2008 à 10 heures du matin, en tant qu’élu, pour contrôler les conditions de garde à vue et apprend qu’il est... en garde à vue, le temps d’une confrontation avec un témoin : on l’aurait vu en train de détériorer une dalle sur un chantier lors d’une manifestation, ce qu’il nie. Il ressortira finalement à 21 heures et n’a plus entendu parler de cette histoire.

On monte d’un cran avec Jean-François de Lauzun, Versaillais de 58 ans. Il lui prend l’idée saugrenue, le 20 août 2008, à 19h30, de traverser alors que le feu piéton est rouge. Une policière qui passe par là le lui fait remarquer mais notre homme a le mauvais goût de faire comme si de rien n’était : un rebelle en puissance, il faut le contrôler. Des passants s’en offusquent mais finalement Jean-François rentre chez lui. Il se croyait tranquille, jusqu’à ce que les flics se pointent à son domicile, à 22h15, et l’embarquent alors qu’il est en pyjama. Motif : incitation à l’émeute. Il est relâché le lendemain après-midi, non sans avoir goûté aux douces conditions d’une cellule sentant l’urine. Depuis, aucune nouvelle. Bonne nouvelle ?

Un poil plus violente, l’histoire vécue par Pierre Conley, 28 ans. En plein milieu d’un rendez-vous galant dans un parc parisien, le soir du 21 juillet, alors qu’il fumait une cigarette roulée, des poulets déboulent pour lui faire subir un contrôle intégral. Se sentant oppressé parce qu’on lui tord un peu le bras, il appelle au secours. On le plaque au sol, il a l’impression qu’on l’étrangle. Finalement, il est en règle. Qu’à cela ne tienne : au poste ! Le contrôle d’alcoolémie ne donne rien non plus. Pour compenser, on le gardera quatre heures menotté. L’IGS n’a pas répondu à ses interrogations ; quant au ministère de l’Intérieur, il lui a promis de mieux former les policiers à la déontologie...

Le quatrième témoignage, repris en intégralité par Vive le feu !, est celui d’Augusta, Française d’origine nigériane de 53 ans, toujours à Paris. Elle achète un épi de maïs au magasin et des policiers l’interpellent dans la rue. C’est louche, une femme noire dans le quartier Château-Rouge avec un épi de maïs dans son sac : ne serait-ce pas l’une de ces vendeuses à la sauvette qui pourrit la vie d’honnêtes commerçants ? L’affaire est entendue pour les flics mais Augusta entend bien se défendre. Mal lui en a pris : elle se retrouve par terre à moitié nue après avoir reçu plusieurs coups. Pour éviter que ça dégénère avec les passants alentours, on balance un peu de lacrymo et on l’exfiltre fissa au commissariat. Manque de chance, la dame sait lire et connaît même ses droits. Sa garde à vue finit à l’hôpital. Pas grave, on lui collera une procédure pour outrage et rébellion.


Sur Vittorio de Filippis

Une semaine avant de nous narrer les exploits de certains de nos vaillants gardiens de la paix, Le Canard enchaîné, sous la plume de Louis-Marie Horeau, nous mettait déjà en condition (« Mandale d’amener », 3/12). « Certes, écrit le journaliste, Vittorio de Filippis a été gâté. Alors qu’il n’encourt pas un jour de prison, qu’il a une adresse, un téléphone et un passé judiciaire désespérément vide, il a eu droit au traitement haut de gamme : insultes, fouille humiliante, menottes. Mais la technique qui consiste à faire enfermer quelques heures, dans une cellule puante, un citoyen qui vous a manqué de respect est utilisée avec bonheur par des milliers de policiers sans que cet exploit justifie le 20 heures de TF1, et encore moins un communiqué de l’Élysée. »

Le journaliste poursuit. « Tous les jours, toutes les nuits, des femmes et des hommes qui ont mal parlé à un représentant de la loi se retrouvent menottés, déshabillés et bouclés, avec ou sans quelques baffes, c’est selon. Parfois, un regard de travers peut suffire. [...] C’est de cette triste routine que l’infortuné Vittorio de Filippis a été victime. La seule différence, au fond assez ténue, tient à ce que c’est à la juge qu’il a semblé manquer de respect. » Avec de bons yeux, on peut lire l’intégral de cet éditorial de Louis-Marie Horeau en une du Canard enchaîné.

Dans Charlie Hebdo (3/12), c’est Philippe Val qui s’indigne des « traitements humiliants » subits par Vittorio de Filippis. « Il est bien évident que la curiosité des policiers pour l’orifice anal du journaliste est un message. Il exprime un désir de bien faire comprendre comment le pouvoir judiciaire considère la profession. [...] Mais Vittorio de Filippis est un journaliste connu. Imaginons maintenant comment sont traités les anonymes, les encapuchonnés qui traînent au pied des barres, et qui ne bénéficient pas de la solidarité médiatique de la profession. Il y a quelque chose de pourri entre le peuple et l’autorité de l’État. »

Charlie enchaîné


Comment (ré)agir face à la police ?

Le bimensuel lillois La Brique (11-12/08) donne quelques conseils au cas où l’on aurait à faire avec la police. Lors d’un contrôle d’identité, il n’est pas obligatoire d’avoir ses papiers sur soi, mais il faut pouvoir justifier de son identité (nom, prénom, date et lieu de naissance, domicile). Dans ce cas, on peut être amener à passer quatre heures maximum au poste pour les vérifications d’usage.

Durant une garde à vue, nos droits doivent nous être énoncés par un officier de police judiciaire dans les trois premières heures. Si l’on en fait la demande, on peut prévenir un proche et contacter un avocat ou un médecin. Selon le journal, la seule obligation d’un gardé à vue est de décliner son identité ; pour le reste, il suffit de n’avoir rien à déclarer, si ce n’est... des violences policières. En outre, il est conseillé de bien relire le procès verbal en fin d’audition.

Jeddo

P.-S.

Ajout du 29/12. Sur la garde à vue, on lira avec profit deux billets du Journal d’un avocat : « Garde à vue » et « (Re)parlons garde à vue ».

Ajout du 30/12. Un tout autre registre, mais qui illustre parfaitement une fois encore le zèle dont savent faire preuve nos vénérables gardiens de la paix, l’empêchement de photographier en rond. À lire sur Rue89 : « Lyon : “Pas de photos. Maintenant, c’est comme ça” ».

Ajout du 24/11/09. Un an après, suite de l’affaire Jean-François de Lauzun (via France Info) : « Une garde à vue à 1 million d’euros ».


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