Démontage
vendredi 4 janvier 2008, par Jeddo
mise à jour : samedi 5 janvier 2008
La question du nombre de fonctionnaires « est récurrente à droite », comme l’analysait un article de Politique.net. Gageons que, polie, la station de radio de service public France Inter n’a pas demandé au secrétaire d’état chargé de la fonction publique combien ils sont exactement. Cela dit, quel que soit leur nombre, « l’objectif », claironne André Santini, est de ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. Malin, le journaliste chargé de l’interviewer lui fera remarqué que « ça veut dire qu’on en remplace toujours un sur deux, par définition ». Voici donc le décor posé.
Thierry Steiner recevait, le lundi 17 décembre dernier, André Santini. L’occasion, donc, d’éclaircir la situation des fonctionnaires. Dans les trente minutes d’interview, le journaliste n’a pas trouvé le temps de demander au secrétaire d’état combien exactement il y aura de départ à la retraite dans la fonction publique en 2008. Le flou demeure sur ce point, mais peu importe, une question bien plus intéressante — et pas si éloignée — lui a été posée. Séquence.
Thierry Steiner : « (...) L’objectif est de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite à partir de 2009. Combien y’a-t-il de fonctionnaires en trop dans la fonction publique aujourd’hui ? »
André Santini : « Il n’y a pas de fonctionnaires en trop [1]. Il n’y a pas de plan social. On ne va licencier personne. »
Glissons sur le fait que le journaliste du service public ne juge pas utile de questionner la diminution du nombre de fonctionnaires qui, désormais, est une fin en soit et qu’il n’est plus nécessaire de justifier ni de remettre en cause puisque admise par tout le monde ; Santini est formel : « Il n’y a pas de fonctionnaires en trop », assure-t-il. De quoi rassurer une bonne frange de la population. Mais ne perdons pas de vue l’objectif de la réduction des effectifs de la fonction publique. Santini poursuit.
André Santini : « Nous profitons d’un mouvement démographique extrêmement important qui fait qu’effectivement il y a 150 000 fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat qui doivent partir. Si nous réussissons — ce qui est un objectif — à ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux d’ici 2012, nous reviendrons aux effectifs de la fonction publique de 1992, sous monsieur Mitterrand — la France n’était pas sous-gouvernée à l’époque. Il y a eu une inflation incontestable de recrutements, et aujourd’hui il faut recadrer le dossier. »
Le gouvernement « profite » du papy boom, non pas pour tenter de lutter contre le chômage, mais pour atteindre son « objectif », à savoir retrouver un nombre de fonctionnaires comparable à celui d’il y a 15 ans. La population française aura augmenté de plus de 10% entre 1992 et 2012. Il faudra donc que les fonctionnaires assument 6 millions de citoyens en plus, avec le même effectif que vingt ans auparavant.
André Santini : « Et enfin, l’économie réalisée par le non-remplacement d’un sur deux sera affectée pour moitié au désendettement — qui est considérable (sic) vous le savez, comme nécessité, hein, 12 milliards d’euros de dettes —, et l’autre moitié pour améliorer les fonctionnaires (re-sic). Donc... (se reprenant) le statut des fonctionnaires... il y aura moins de fonctionnaires mais mieux payés, je crois que c’est ce que souhaitent réellement les fonctionnaires. »
Le secrétaire d’état, qui a répondu qu’« il n’y a pas de fonctionnaires en trop », juge bon toutefois de développer sa pensée. Le cheminement de celle-ci le conduit à justifier exactement le contraire de ce qu’il vient d’affirmer. Et pour mieux faire passer la pilule auprès du corps de métier dont il a la charge, il agite la carotte : les fonctionnaires seront moins nombreux « mais mieux payés ». Ça tombe bien car c’est, croit-il, exactement ce qu’ils « souhaitent ». Être moins nombreux, mieux payés, ou les deux ? Les deux. En plus ils ont l’honneur d’être au cœur du dispositif de désendettement public mis en place par l’actuel gouvernement. De quoi être fier.
Thierry Steiner : « Est-ce que les fonctionnaires ne sont pas en train de devenir les boucs émissaires des déficits publics ? »
André Santini : « Non, pas du tout. Les français sont conscients qu’ils ont une bonne fonction publique, ils le disent (...) et en même temps ils demandent une modernisation. (La voix est recouverte par le journaliste) Et les fonctionnaires aussi. »
Résumons : les fonctionnaires sont beaucoup trop nombreux, ce qui coûte cher au budget de la nation ; les fonctionnaires ne sont pas des boucs émissaires, d’ailleurs on les adore ; tout le monde admet — « les fonctionnaires aussi » — que dans un pays moderne les fonctionnaires doivent être autant efficaces pour 64 millions de personnes que pour 58 millions, sans pour autant être plus nombreux ; les fonctionnaires veulent donc « travailler plus pour gagner plus ».
Thierry Steiner : « Vous avez fait faire une étude par l’Ifop et elle montre que 23% seulement des fonctionnaires estiment que les français ont une bonne image de la fonction publique. »
André Santini : « Oui. »
Thierry Steiner : « Ils sont mal aimés les fonctionnaires ou un peu paranos ? »
André Santini : « Ils se sentent mal aimés, absolument. Et c’est vrai que, en période de chômage, n’est-ce pas, on regarde l’autre. Et on dit : Celui-là il a une garantie de l’emploi alors que moi je ne l’ai pas. 70% des jeunes qui veulent entrer dans la fonction publique, je veux qu’ils y entrent parce qu’ils le souhaitent, parce qu’ils ont envie d’être au service. Ceux qui choisissent la fonction publique ne le font pas pour gagner de l’argent, ils le font par engagement. »
C’est sur ces belles paroles pas démagos pour un sou que se termine la première partie de l’entretien. Ainsi, les jeunes qui choisissent de devenir fonctionnaires « ne le font pas pour gagner de l’argent ». Moins d’une minute avant, André Santini affirmait que les fonctionnaires souhaitent être « mieux payés ». De quoi rendre plus d’un fonctionnaire « parano » !
Au cours de la seconde partie de l’interview, on comprend que ce sont essentiellement les cadres qui vont être « améliorés », notamment par l’intermédiaire de la généralisation du salaire au mérite mis en place progressivement à partir du haut. La question du « travailler plus pour gagner plus » est ainsi posée à travers le prisme économique libéral dans lequel le secrétaire d’état est à l’aise (c’est un de ses « dadas »).
Thierry Steiner : « Quand on parle de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux, ça veut dire qu’on en remplace toujours un sur deux par définition, et donc par des jeunes qui sont aujourd’hui bien plus attirés par les salaires du privé. Pour un cadre, le différentiel c’est à peu près 1 000 euros entre le privé et le public ? Comment vous les séduisez les jeunes qui seront la relève de la fonction publique ? »
André Santini : « Vous posez la bonne question qui en même temps prouve (sic) que nous sommes de bonne foi. On va recruter à peu près 100 000 nouveaux fonctionnaires. Et avec la concurrence du privé, nous craignons sérieusement ce que vous venez de signaler, c’est-à-dire la concurrence du privé (re-sic). (Recouvert) Surtout au niveau des cadres. »
Thierry Steiner : « Qui paye mieux. »
André Santini : « Qui paye mieux. Alors, nous devons trouver des formules pour que des jeunes de qualité aient toujours envie de s’engager dans la fonction publique. »
Le gouvernement ne remplacera pas un fonctionnaire sur deux qui partira à la retraite dans les quatre prochaines années, soit, sur les 150 000 annoncés par son secrétaire d’état chargé de la fonction publique, 75 000 postes qui seront définitivement supprimés, et 75 000 qui, « par définition », seront compensés par des recrutements. Mais l’arithmétique gouvernementale est obscure, et André Santini dit « 100 000 nouveaux fonctionnaires » d’ici 2012, « prouvant » ainsi sa « bonne foi ».
Le secrétaire d’état veut mettre le paquet pour conserver et attirer les « cadres », que le privé s’arrache, dans le giron du secteur public. Pour cela il préconise de « trouver des formules ». Mais on ne saura pas lesquelles. Fournir un logement de fonctions à un prix défiant toute « concurrence », comme celui dont a bénéficié le haut fonctionnaire Jean-Paul Bolufer pendant 26 ans, par exemple ?
En attendant, certains fonctionnaires (hospitaliers, policiers, etc.) ont déjà anticipé : ils ont travaillé plus en faisant des montagnes d’heures supplémentaires, dont ils réclament actuellement le paiement, mais comme dirait Santini, ils ne l’ont pas fait pour gagner plus d’argent, mais « par engagement ». Le désendettement de la France passe par le sacrifice consentant et volontaire des agents de la fonction publique !
Voir en ligne : Fonction publique : négociations des salaires
[1] Passages soulignés par l’auteur.