Mixité sociale
samedi 18 octobre 2008, par Jeddo
mise à jour : samedi 22 novembre 2008
On pourrait croire que les riches se gobergent discrètement dans leur bout de paradis, mais non, « pas de vie sociale » chez eux. Lorsque l’on reçoit un invité après 20 heures, il faut parfois s’attendre à recevoir un coup de fil du gardien pour vérification. Pire encore : faire son jogging matinal dans les allées de la résidence est « mal vu ». Voilà au moins de quoi refroidir ceux qui croient que vivre dans une telle prison dorée est sans contraintes.
D’ailleurs, les candidats à l’acquisition d’une modeste demeure à 35 millions d’euros dans la Villa Montmorency ne se bousculent pas au portillon — au portail, pardon. C’est Alain Afflelou qui a mis sa maison en vente et espère en tirer cette somme rondelette. Ce qui fait ricaner un voisin : « À côté, il y a aussi une belle maison de 600 mètres carrés avec 1 hectare de jardin qui affiche un prix de 10 millions d’euros. Elle ne trouve pas preneur depuis deux ou trois ans... » Commentaire plein de bon sens du Point : « C’est la crise, même pour les nantis, il faut croire. » Vite, une quête [3].
Faire passer les riches pour des pauvres comme tout le monde est consubstantiel à cet article du Point. Le summum, nous allons le voir, sera atteint plus bas, en conclusion. En effet, les habitants de la Villa Montmorency n’ont pas toujours été en sécurité ces dernières années : double homicide (mais pas pour des raisons crapuleuses) en 2003, séquestration et cambriolage en 2005, à nouveau un vol en 2006. Tout cela malgré une escouade de gardes et de caméras de surveillance. Mais que fait la police ?
Toujours est-il que Bolloré, qui s’implique énormément dans les questions de copropriété à la Villa, a fait de la sécurité son « cheval de bataille » : « le milliardaire breton (...) entend se battre pour renforcer le nombre de gardes. Mais il se heurte à la plèbe (sic) des petits propriétaires qui refusent de payer davantage de charges... Les chicaneries de syndic ne sont pas seulement le lot de M. Tout-le-Monde. » On n’en doutait pas une seule seconde.
Les ennuis ne sont pas terminés pour les malheureux copropriétaires, qui ont trouvé une occasion — une fois n’est pas coutume — pour se ressouder : l’équipe de l’odieux maire des Vélib’ et des crottes de chien projette de construire 180 logements sociaux sur la voisine « plate-forme de l’ancienne gare d’Auteuil », révèle donc Le Monde 2 (3/10). Certains arguments agités contre ce projet par les Montmorenciens, soutenus par des élus du XVIe arrondissement, sont savoureux. Ils font d’ailleurs le régal du Canard enchaîné — et par conséquent le nôtre.
Contrairement à la Zona de Mexico, forteresse (imaginaire) jouxtant les bidonvilles de la capitale, la Villa Montmorency fait plutôt figure d’enceinte pour privilégiés au cœur d’un arrondissement déjà majoritairement doté d’une population à fort pouvoir d’achat. Mais si jamais la Mairie parvient à faire construire ces logements, « la sociologie du voisinage s’en trouvera quelque peu modifiée », note Le Monde 2. L’un des résidents, se confiant à l’hebdomadaire, affirme que « les habitants de la Villa craignent l’arrivée de populations plus subversives qui obligeraient à remonter les barrières ». Diantre !
Les deux associations identifiées de riverains opposés au projet de l’OPAC arguent que celui-ci « pose un problème d’harmonie architecturale avec le quartier : son emprise au sol est trop importante, il créera un mur de béton de neuf ou dix étages de hauteur qui enlaidira la porte d’Auteuil », résume Le Monde 2. Le Canard enchaîné, s’appuyant sur l’enquête de son confrère, précise que « à l’inverse d’une rumeur complaisamment entretenue dans le quartier, ces logements sociaux (...) ne seront visibles que d’une issue secondaire de la Villa. Il ne s’agira pas d’une barre, ni d’une tour, poursuit l’hebdomadaire satirique, mais de quatre immeubles séparés par des espaces verts plutôt destinés à la classe moyenne. »
Alors pourquoi refuser l’implantation de logements sociaux à proximité de la Villa ? Outre « l’arrivée de populations plus subversives », le même habitant explique que ce qui motive leur rejet est « la peur de [l’arrivée de] populations plus défavorisées ». Évidemment, les associations ne le clament pas tel que haut et fort (par honte ? par politesse ? par intérêt ?). Elles utilisent plutôt ce genre de circonvolution : « La réalisation de 50 % de logements sociaux est une aberration [4], lit-on dans un de leurs rapports. Ce n’est pas en concentrant toute la misère du monde en un même lieu, et en créant ainsi des ghettos, que l’on résoudra le problème de l’intégration. »
Question : en se renfermant sur soi-même dans son petit nid douillet, la Villa Montmorency n’est-elle pas une forme de « ghetto » bien plus aboutie que les futurs logements sociaux dont certains de ses habitants déplorent l’édification ?
Jeddo
Bande annonce de La Zona — allocine.fr
[3] Le Point nous apprend que les « petits locataires » (les guillemets sont de l’hebdomadaire) payent un loyer « de 2 500 à 4 000 euros dans les petits immeubles de la propriété ». À la portée de n’importe quel smicard, car nous sommes « là bien loin des nantis de la première catégorie » (les Bolloré et compagnie).
[4] Les 180 logements sociaux représentent la moitié d’un total de 360 logements prévus. L’une des associations était prête à concéder 10% de logements sociaux.