Charlie enchaîné

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L’“affaire Siné” dans Le Canard enchaîné

samedi 9 août 2008, par Charlie enchaîné
mise à jour : mercredi 26 décembre 2012

Loin de l’agitation suscitée par l’éviction du dessinateur « historique » de Charlie, Siné, taxé d’antisémitisme, l’autre hebdomadaire satirique du mercredi, c’est-à-dire Le Canard — encore plus historique que Siné pour le coup [1] —, est revenu à sa manière sur cette affaire le 30 juillet dernier. L’article, « Un Siné, du Cinoche », est signé Jean-Luc Porquet.

Comme lors la désormais fameuse “affaire des caricatures” de Mahomet [2], Le Canard enchaîné a pris sa plume relativement tardivement pour réagir et commenter (sobrement) la nouvelle “affaire” concernant son confrère Charlie Hebdo. Histoire — sans doute — d’avoir un peu de recul, mais aussi de la hauteur (et de se ménager ?), dans ce tourbillon médiatique estival — qui a malheureusement échappé à Charlie enchaîné, maudite vacances !

« Cette affaire Siné les rend tous fous » attaque le journaliste du Canard, qui tente de résumer la situation : « Au départ, une chronique de Charlie Hebdo (du 2/7, NdR) où le dessinateur écrit que Jean Sarkozy vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée juive (...). Et de conclure : “Il fera son chemin [3] dans la vie, ce petit” (en gras dans le texte). » Ensuite, l’avocat de Jean Sarkozy aurait, selon Philippe Val, menacé le journal d’un procès pour antisémitisme s’il n’y avait pas d’excuse. « Tractations entre Val (...) et Siné, qui finit par refuser de s’excuser, Val le vire. Et c’est parti. », écrit Le Canard.

L’épisode Denis Robert

Il nous faut néanmoins ajouter un élément de contexte important — si ce n’est déterminant. Dans le numéro précédent de Charlie (du 25/6, donc), l’éditorial de Philippe Val était consacré aux démêlés judiciaires du journaliste Denis Robert avec la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream, dont l’avocat de Charlie Hebdo Richard Malka défend aussi les intérêts. Le directeur de Charlie y estimait que cette double casquette de Richard Malka, son « ami », ne lui apparaissait pas préjudiciable pour l’impartialité du journal et, dans le même temps, enfonçait Denis Robert, qui « [venait] de perdre encore un procès », écrivait notamment Philippe Val.

Suite à cet éditorial, l’ambiance au sein de la rédaction, à en croire Bakchich, et surtout Marianne2.fr (voir en particulier le dernier paragraphe de l’article référencé), s’était considérablement dégradée. Cette attaque, considérée comme gratuite par beaucoup — notamment sur la Toile — puisque Robert avait déjà déclaré jeter l’éponge, a par exemple « surpris » le chroniqueur littéraire Michel Polac (Charlie du 2/7). Dans le même numéro, tandis que Philippe Val enfonçait le clou [4], Siné écrivait — semble-t-il plus librement que Polac — : « Concernant l’édito-lynchage de Philippe Val sur Denis Robert, je me contenterai, prudemment, du blanc qui va suivre : autocensure. Je ne faisais pas, jusque-là, partie du comité de soutien à Denis Robert. C’est chose faite. » Ce paragraphe de Siné provocateur à l’égard de son « chef », figurant juste au-dessus de la petite phrase sur le fils Sarkozy dans la chronique incriminée du dessinateur, n’est probablement pas sans effet sur les événements et les décisions qui ont suivi [5].

Réactions en chaîne

Trêve de digression, revenons-en au Canard. Jean-Luc Porquet décrit la tempête médiatique : « Deux pages dans le Nouvel Obs, où Claude Askolovitch raconte l’affaire en insistant sur l’antisémitisme de Siné. Pétition de soutien à Siné. Rappel d’un dérapage antisémite de Siné il y a vingt-trois ans. Déferlante d’insultes anti-Val sur le grand défouloir d’Internet. » Etc. Impossible pour Charlie enchaîné de recenser (et de vérifier) tout ce qui a été publié à ce sujet — probablement des millions d’octets. Dans ce feuilleton à rebondissement, notons néanmoins cette « tribune (relevée par Le Canard) de Joffrin dans Libé (25/7) soutenant Val et s’emmêlant les pinceaux : “On choisit sa religion, on ne choisit pas sa race.” (toujours en gras dans le texte) ». Outre que la première assertion est déjà fortement discutable, la seconde suscite ce commentaire de Jean-Luc Porquet : « Comme s’il existait une race juive. »

Pour résumer le fond de l’affaire, le journaliste du Canard pose les questions suivantes : « Grands débats : Siné est-il vraiment antisémite ? Val ne serait-il pas islamophobe, lui qui a publié les fameuses caricatures anti-islamistes ? Est-ce lui qui est stalinien ? Ou Siné ? » Où l’on comprend que Porquet ironise : ces questions de personnes, qui transparaissent dans les nombreux éditos qui ont fleuri au cours des précédentes semaines, semblent bien peu pertinentes, ce qui explique en outre l’attitude adoptée jusqu’à présent par Le Canard enchaîné dans cette “affaire” (qu’il suit de loin) qui agite le microcosme médiatique : il préfère — pour l’instant — en rire, comme en témoigne ce dessin de Pétillon [6] (ci-dessous) paru dans Le Canard du 6/8 (« Affaire Siné : le jeu de l’été »).

Affaire Siné : le jeu de l'été

Surchauffe

Du coup, « on se calme », clame Jean-Luc Porquet, qui rapporte un fait essentiel : « Siné s’était fondé sur un article de Libé » [7], même si le chroniqueur avait oublié de signaler sa source — ce qui, au passage, aurait peut-être évité un tel emballement de la machine médiatique. L’information, « Jean [Sarkozy] vient de se fiancer avec une juive (...) et envisagerait de se convertir au judaïsme pour l’épouser », a depuis été démentie par les intéressés.

Le journaliste du Canard explique le processus : « une info bidon, suivie d’un amalgame pour le moins douteux, une menace de procès suivie d’un licenciement sec (discutable), et voilà que des tas de gens trouvent là l’occasion d’assouvir d’anciennes rancœurs, de prendre des poses, d’en rajouter des tonnes, de régler des comptes politiques et journalistiques, d’en appeler à Dreyfus et Maurras, de se lancer des noms d’oiseaux... » Vu de loin, c’est effectivement à cela que ça ressemble.

Le Canard enchaîné referme ainsi le voile : « l’atmosphère est hautement inflammable. Il serait temps de prendre des vacances (...). » Ce que Charlie enchaîné a eu la bonne idée de faire !

Portfolio

Dessin de Riss en une de Charlie Hebdo n°851 Couverture de Siné Hebdo n°5

P.-S.

Cet article du Canard enchaîné a apparemment eu peu d’écho sur Internet (si nos aimables lecteurs connaissent des sources qui nous auraient échappées, merci de les signaler).

Il a été repris tel quel et intégralement sur le site Bellaciao. Il faut aller lire les commentaires pour s’apercevoir qu’il n’a pas été nécessairement apprécié. « Le Canard a du plomb dans l’aile ? », s’interroge le premier, tandis que le second explique que l’hebdo satirique serait devenu « de plus en plus terne, de plus en plus frileux ». Un autre affirme que « sur le plan du sionisme, Le Canard est plus proche de Val que de Siné », rejoint plus loin par un commentateur qui écrit que « Le Canard enchaîné tend subrepticement a adopté une ligne néo-conservatrice de gauche », ajoutant par ailleurs que le comportement du journal envers Sarkozy lui semble « ambigu » et voit un conflit d’intérêts dans la participation de Cabu à la fois au Canard et à Charlie. Un commentaire plus neutre définit l’attitude du Canard enchaîné comme « mesurée et dépassionnée ».

Autre trace de l’article de Jean-Luc Porquet dans les commentaires d’un billet de Plume de Presse consacré à la défense de Siné (et au dézingage de Philippe Val). Le commentateur n’est pas tendre avec le journaliste du Canard : « Le Canard enchaîné avait superbement ignoré "l’affaire" jusqu’ici mais voilà que, tout mouillé de chaud, il se réveille en sursaut ce 30 juillet, plus de 3 semaines après qu’elle a débuté... Se la jouant au-dessus de la mêlée il refait l’histoire à sa façon en un petit article (titré « Un Siné, du cinoche ») hypocrite et orienté. Inutile de préciser que l’auteur (Jean-Luc Porquet) n’a pas signé la pétition pour Siné... Il ira loin ce petit ! »

Nous reprendrions bien 3 nouvelles semaines de vacances...

Notes

[1] Siné avait confié un jour qu’il n’aime pas lire Le Canard. « C’est mal foutu, les dessins sont mals présentés, ça fait truc d’avant-guerre », disait-il par exemple.

[2] Voir nos deux articles « Un mauvais procès » et « Un mauvais procès » (suite).

[3] Siné avait écrit « du chemin » pour être exact.

[4] « Diffamé par Denis Robert et ses amis depuis des années sur Internet (...), j’ai cru bon de réagir lorsque la poubelle à rumeurs a fini par déborder dans Télérama », écrit-il en sus.

[5] Ajout du 28/8. Cette hypothèse est confortée par le témoignage de l’épouse de Siné.

[6] Ajout des 8/9 et 9/9. À noter toutefois que Pétillon compte parmi les signataires d’une pétition de soutien à Siné initiée en partie par un autre dessinateur du Canard (et ex de Charlie), Lefred Thouron. Ce texte a également été signé par Willem et Tignous, qui dessinent tous deux dans Charlie Hebdo.

[7] « Sarkozy comme chez lui en Israël » (Libération).


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