Charlie enchaîné

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Interview

Antonio Fischetti : « Je voulais faire de la science avec une dimension beaucoup plus politique et sociale »

mardi 31 mai 2011, par Charlie enchaîné, Jeddo

Charlie enchaîné a rencontré le journaliste scientifique de Charlie Hebdo le 1er mai dernier à Arras (Pas-de-Calais) à l’occasion du 10e salon du livre d’expression populaire et de la critique sociale, où il venait dédicacer son dernier livre intitulé L’empire des sciences (éd. Les échappés), qui regroupe un ensemble de brèves publiées dans l’hebdomadaire satirique. Antonio Fischetti nous a accordé un long entretien, dans lequel il nous parle de son parcours, de son travail de journaliste scientifique à Charlie Hebdo et en dehors, de l’affaire Siné, de son rapport obsessionnel au sexe ou encore des procès qui le concernent de près ou de loin. Ambiance détendue et tutoiement de rigueur.

« Quand ça ne marche pas en sciences, on préfère le taire »

Tu travailles aussi en dehors de Charlie Hebdo. Tu as réalisé un documentaire qui s’appelle Bonjour les morses, et qui a été primé deux fois…

C’est une autre facette de mon activité. Comme acousticien, j’ai fait pas mal de choses autour des sons des animaux. Là, j’accompagnais des chercheurs du CNRS [Centre national de recherche scientifique] qui partaient au Pôle Nord pour étudier la communication chez les morses. Je les filmais. Puis nous avons eu plein de problèmes. À la fin, on s’est retrouvés prisonniers d’un iceberg. On s’est fait entourer par la glace. On était dans un tout petit bateau, une sorte hors-bord, et on est restés bloqués trois jours. Avec une petite cibie, on essayait d’appeler des secours. Finalement, nous avons été évacués par hélicoptère. C’est cette mésaventure que je raconte dans le film.

Donc c’est plus la mésaventure que le suivi de l’exploration.

C’est le suivi de l’exploration, sauf que l’exploration s’est soldée par un échec. C’est l’histoire d’un échec en fait. Je parle quand même un peu du fond, de ce qu’on voulait faire. Au départ, les scientifiques n’étaient pas très à l’aise parce que je raconte que leur expédition a échoué. Ça, on ne le montre pas trop en sciences, en général. Quand ça ne marche pas, on préfère le taire. Mais si ça marchait tout le temps, ce ne serait plus de la recherche ! Il a été primé aussi pour cette raison… En plus, on a quand même failli y passer. Heureusement qu’il n’y a pas eu de tempête. Se retrouver sur un iceberg dans ces conditions, on aurait pu souffrir un peu…

Où peut-on voir ce film ?

Il est passé dans plusieurs festivals scientifiques mais il n’y a pas eu de diffusion télé. Pour l’instant, aucune chaîne n’a eu envie de l’acheter. Le problème de ce genre de films, c’est la diffusion. Il faut guetter les festivals. Sinon, on peut commander un DVD au CNRS Images, qui a produit ce documentaire. L’avantage c’est que j’ai pu être complètement libre pour le faire. Je pense qu’il y a un ton assez original qui n’aurait pas été le même avec une chaîne qui aurait voulu imposer son formatage.

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« Bonjour les morses »
© CNRS Images

Le fait que ce documentaire ait été récompensé te donne-t-il un passeport pour la suite ?

Bien sûr, ça donne une légitimité. Ça donne un truc en plus. Ça n’ouvre pas forcément toutes les portes, mais ça ouvre un peu plus les portes. C’est-à-dire qu’avant, les gens me disaient que je n’avais jamais fait de film. Maintenant je peux dire qu’il y a ça. C’est un peu moins difficile.

As-tu d’autres projets de films ?

Oui. Je reviens tout juste d’Amazonie. J’étais avec les mêmes chercheurs, qui allaient cette fois étudier les oiseaux en forêt amazonienne. Je vais essayer de monter le film dans le courant de l’année.

« Aborder la science par les sons de la science, ça correspondait à ce que j’avais envie de faire »

Tu interviens chaque mercredi dans l’émission « La tête au carré » sur France Inter. Quelles sont tes motivations pour ce travail ?

C’est Mathieu Vidard [l’animateur-producteur de l’émission] qui me l’a proposé. Je précise que ça n’a rien à voir avec Philippe Val, qui maintenant est à France Inter… Je connais Mathieu Vidard depuis bien avant que Philippe Val n’arrive à France Inter. J’y avais déjà été invité trois ou quatre fois avant…

Les producteurs sont indépendants. Ils choisissent leurs chroniqueurs. Mathieu m’a donc proposé de faire une chronique. J’ai accepté parce que ça m’intéressait. J’aime bien son émission. J’y prend beaucoup de plaisir. Ça change un peu de l’écrit. Je viens aussi du son. Je faisais de l’acoustique. C’est logique de faire de la radio. Aborder la science par les sons de la science comme je le fais dans cette chronique, ça correspondait à ce que j’avais envie de faire.

Comment choisis-tu tes sujets ?

Les contraintes sont multiples. J’essaye d’être en lien avec le thème de l’émission, de trouver des sons puis en même temps d’avoir des choses à raconter…Au début c’était un peu ce qui me passait par la tête. Mais finalement c’est plus facile quand je rejoins le thème de l’émission. Plus ou moins, parce que des fois c’est pas facile.

Par exemple, j’ai fait les sons des séismes parce que c’était lié à l’actualité. Mais la semaine dernière [27/4], j’ai fait les langues sifflées, ce qui n’était pas spécialement dans le thème de l’émission. J’étais au Brésil et j’ai rencontré le spécialiste mondial des langues sifflées. C’était donc l’occasion. La semaine prochaine [4/5], on va parler d’Einstein. Il n’y a pas forcément beaucoup de sons sur Einstein. Mais je vais essayer de faire une petite promenade autour de « E=mc² », je vais interviewer des gens.

Tout ça c’est l’expérience. Le comment je choisis mes sujets, je ne peux pas y répondre simplement. C’est quelque chose qui se construit au fil du temps. Je peux avoir une idée sur une émission par rapport à quelque chose que j’ai lu ou dont on m’a parlé il y a dix ans. Par exemple, une fois il y avait une émission sur Pasteur, à l’occasion d’un téléfilm diffusé sur France 2. J’avais vu un extrait d’un film très peu connu de Sacha Guitry sur Pasteur, quelque chose comme quinze ans avant. Ça m’a donné l’idée de comparer comment on représente Pasteur aujourd’hui par rapport aux années 1930. Il a fallu chercher le film de Sacha Guitry, trouver la bande son, parce qu’il n’y a pas de DVD. C’est du boulot.

À chaque fois j’essaye d’inventer un truc. C’est extrêmement variable et c’est toujours un défi. C’est un peu tous azimuts. Il faut être comme une éponge. Prendre tout ce qui vient, emmagasiner, pour le réutiliser plus tard.

« L’affection que je voue à Siné est toujours intacte »

Tu ne t’es pas exprimé publiquement au moment du départ de Siné. Pourquoi ?

On ne me l’a pas spécialement demandé. Je n’ai pas de créneau pour m’exprimer publiquement si on ne me le demande pas. Mais si on me le demande, je n’ai pas de problème par rapport à ça. Je n’ai aucune raison de refuser de répondre. Ma position c’est qu’il n’aurait pas fallu virer Siné. On pourrait me demander pourquoi je n’ai pas quitté Charlie si je pense ça. Parce qu’en même temps, au fond, je pense que Siné a voulu le clash.

Je me souviens que ce fameux jour, le 13 juillet, là où il y a eu le clash, je l’ai appelé en lui demandant pourquoi il ne faisait pas juste quelques lignes, un mot, en déconnant. Mais il a refusé de le faire. Je ne dis pas que cette phrase [sur Jean Sarkozy] est antisémite — elle ne l’est pas —, mais je conçois que certains pourraient la comprendre comme ça. Je pense que ce n’est pas se rabaisser outre-mesure que de faire une phrase ou deux à l’intention de ceux-là.

Les deux [Philippe Val et Siné] se sont complètement braqués. Je n’étais pas du tout d’accord avec la position de Val, mais je pense que Siné aurait pu lever l’ambiguïté. De mon point de vue, ce n’était pas défendable à 100 %. Ce n’était pas non plus très confortable de rester à Charlie, mais je n’avais pas de raison suffisamment forte de rejoindre Siné. Je suis un peu comme le poilu de la guerre de 14, dans les tranchées, qui se fait tirer dessus par les deux côtés. Mais j’assume totalement cette situation.

Peu de temps après, tu as fait un sujet avec Siné sur Arte Radio

J’ai toujours eu de bons rapports avec Siné. Le sujet a été publié quelques temps après, mais j’en avais eu l’idée bien avant le clash. Ça s’est un peu télescopé mais c’était indépendant. L’idée n’est pas consécutive à cette histoire. Ce reportage sur Arte Radio montre bien que l’affection que je voue à Siné est toujours intacte. On a des rapports totalement cordiaux.

Le sujet s’intitulait « Siné Bande encore ». D’où vient ton obsession pour le sexe ?

Ce sont les problèmes d’enfance. Toujours. Il faudrait une longue psychanalyse pour développer. C’est un mystère qui n’est jamais résolu. Siné l’exprime bien dans le sujet sur Arte Radio(Il se tourne vers le dessinateur Honoré) Tu répondrais quoi, toi ?

Honoré. Que c’est inné.

Antonio Fischetti. Ah non, moi c’est acquis ! Ou c’est peut-être inné, je ne sais pas (rires)… Pour moi, ce n’est pas une obsession au premier degré. Tout ce que j’ai écrit autour de ça — L’angoisse du morpion avant le coït, Éternuer dans le chou-fleur —, finalement c’est plus une attitude d’explorateur par rapport à ces questions-là. Une fois que j’ai exploré, ça ne m’intéresse plus tellement. Après je passe à autre chose. Je ne suis pas un obsessionnel qui ne ferait que ça. J’ai besoin d’explorer à fond puis après je fais autre chose.

C’est plus une curiosité de journaliste ?

Oui. Mais je ne nie pas que cette curiosité de journaliste qui s’exprime ne renvoie pas aussi à quelque chose de personnel. C’est nécessaire. Il faut un intérêt personnel. Ça se construit dans l’enfance. Il y a des gens qui sont obsédés qui ne l’avouent pas. Moi j’ai une expression ouverte par rapport à ça. Mais pas trop exhibitionniste non plus.

Chacun a un rapport très différent en fait, surtout à Charlie. Par exemple, Charb (assis à côté) dessine des bites toute la journée. C’est une autre forme d’obsession sexuelle, qui passe par le dessin. Chacun l’exprime de façon extrêmement différente, sous de multiples formes. La réalisation, le réel, c’est encore autre chose.

« Ma position, c’est celle de la rigueur »

Parlons procès pour finir. Celui des caricatures de Mahomet, d’abord. On ne te voit pas apparaître dans le film C’est dur d’être aimé par des cons

Je n’avais pas spécialement de raison d’apparaître. La place était prise par les dessinateurs, par Val, par Caroline Fourest, qui était déjà très impliqués dans ce combat. Je n’avais rien de plus à apporter qu’eux, sinon que j’étais d’accord. Je suis totalement en phase avec la position de Charlie dans cette affaire.

On aurait pu me voir apparaître dans les couloirs. Mais à cette époque-là, la semaine même du procès, je me souviens, je devais absolument finir le bouquin qui s’appelle La symphonie animale et je devais faire un petit DVD qui était à l’intérieur. J’étais vraiment en plein montage de ce truc-là. C’est aussi une raison pour laquelle on ne me voit pas.

Où en est la procédure dans l’affaire qui t’oppose à Brigitte Mauroy ?

En première instance, on a gagné brillamment. En appel, on s’est fait descendre… brillamment aussi. Richard Malka [avocat de Charlie Hebdo] a demandé le pourvoi en Cassation. On attend. Mais on ne lâchera pas. Si on perd en Cassation, on ira à la Cour européenne des droits de l’homme.

Je suis sûr de ce que j’avance sur toute la ligne. Je suis venu au procès avec des documents. Brigitte Mauroy est venue juste avec sa bonne réputation de conseillère. Elle cite un bouquin qui date de 1948, même pas de façon précise. On a dit que je n’étais pas sérieux, alors que j’ai apporté des publications scientifiques que tout le monde peut trouver sur MedLine, avec des chercheurs hyper à la pointe.

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« Je m’amuse tout en étant sérieux »
Photo : Charlie Hebdo / Facebook

Autre procès, qui ne te concerne pas directement, c’est le jugement en Cassation de l’affaire du documentaire Le cauchemar de Darwin, qui a confirmé la condamnation pour diffamation de François Garçon… As-tu un commentaire ?

J’avais témoigné au procès sur un point précis. François Garçon, lui, a été au-delà. Il a été attaqué, il a perdu sur d’autres points que ceux pour lequels je le défendais. Ce que j’ai dit, je le maintiens. L’idée du scénario — le trafic d’armes — n’est fondée sur rien du tout. L’autre idée, c’était : « Est-ce que ce commerce est plutôt positif, profitable ou pas ? » Ce n’est pas là-dessus que Garçon a été condamné, mais sur les expressions qu’il employait. En gros, il accusait Huber Sauper d’avoir payé des enfants. Je ne m’exprime pas du tout là-dessus. Qu’il perde pour diffamation, pour des mots insultants, c’est son problème.

Après, ce qui me gène, c’est que, suite à cela, c’est comme si Le cauchemar de Darwin était totalement inattaquable sur tout. Mais non. Je maintiens mes critiques sur ce film. Mais je n’adhère pas à toutes les critiques de François Garçon. D’abord, on n’est pas obligé d’insulter Hubert Sauper, même si lui-même l’a fait. Après, sur le fait que les enfants étaient payés, je n’en sais rien. Quand bien même, ce n’est pas un problème grave. Quand tu fais un film, que tu as des gosses des rues et que tu leur files 10 euros pour le temps qu’ils ont passé avec toi, je peux le faire aussi. Ce n’est pas ça qui change le fond du sujet.

Si on me redemandait de témoigner sur l’histoire du trafic d’armes, je dirai exactement la même chose. Je continue à penser qu’il y a une malhonnêteté profonde dans ce film, même s’il sert une bonne cause. Combattre l’exploitation, d’accord sur le fond, mais pas n’importe comment. Quand on fait un documentaire, on respecte les faits. Ce n’est pas parce qu’on veut servir une bonne cause qu’il faut tordre les faits et les déformer. Sinon ce n’est plus un documentaire, ça s’appelle de la fiction. Entretenir la confusion entre l’un et l’autre, cela devient malhonnête même si c’est pour une bonne cause.

Encore une fois, ma position pourrait paraître comme faux-cul ou molle parce que je ne veux pas prendre parti, aussi bien là-dessus que sur l’affaire Siné. Alors que c’est l’inverse. Ma position, c’est celle de la rigueur. J’essaie de me dire : « Qui a raison et sur quel point ? » Je ne suis pas obligé d’être à fond dans le tout blanc ou le tout noir. Pour Garçon/Sauper ou Siné/Val, je ne suis ni à fond pour un camp, ni à fond pour l’autre. J’ai ma position, qui finalement est plus difficile à tenir.

Une dernière question. Que penses-tu du Canard enchaîné ?

Je n’en suis pas un grand lecteur, dans le sens où leurs principaux sujets concernent la politique politicienne, les bruits de couloir, etc., et ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus.

On compare souvent Charlie au Canard, mais pour moi ce sont des journaux totalement différents. À Charlie, je peux traiter un tas de sujets, plus variés et moins « politiciens », et qui trouveraient sans doute moins leur place au Canard. Ces deux journaux sont donc complémentaires, et pour ma part, en tant que journaliste, je me sens plus proche de la ligne Charlie.

Propos recueillis par Jeddo


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