L’objectif est de limiter les retours
lundi 19 avril 2010, par Charlie enchaîné,
Jeddo
Ce n’est plus un secret pour personne, Charlie Hebdo a perdu plusieurs milliers de lecteurs ces deux dernières années — 10 000, selon le directeur de la publication Charb, dans une interview donnée au quotidien suisse Le Courrier. Les principales causes de cette désaffection sont connues : concurrence agressive de Siné Hebdo d’un côté, mais surtout « une érosion lente qui est commune à toute la presse écrite » de l’autre. Interrogé par Charlie enchaîné, Charb relativise : « La situation de la presse — satirique ou non — n’est pas brillante, mais avec prêt de 50 000 ventes, on s’en sort pas mal par rapport à tous les cons qui dépendent du marché publicitaire. »
Conséquence directe du marasme ambiant, le nombre de numéros invendus, et donc de retours, augmente. Ces exemplaires sont naturellement facturés par l’imprimeur, ce qui peut induire une perte budgétaire non négligeable. En ces temps difficiles, Charlie Hebdo n’échappe pas à cette règle économique. « On se situe à la limite au-dessous de laquelle on ne peut pas descendre. Certaines semaines, il manque deux ou trois mille ventes », indiquait Charb au Courrier. Et contrairement à d’autres titres, l’hebdomadaire satirique n’a pas l’intention de miser sur la publicité pour résoudre le problème.
C’est dans ce contexte délicat que Charlie Hebdo a fait appel à la société Destination Media afin d’optimiser sa diffusion. Le prestataire l’a annoncé officiellement sur son blog le 12 avril dernier :
« Depuis le début du mois d’avril, Charlie Hebdo a confié la gestion de sa vente au numéro à Destination Media.Ceci se fait dans le cadre de la réorganisation de l’hebdomadaire autour d’équipes resserrées et avec la volonté d’une plus grande maîtrise d’un canal de diffusion stratégique pour l’hebdomadaire satirique, ainsi que d’une plus grande réactivité dans l’adaptation du titre à son marché, au fil des semaines. »
Ce charabia a interpellé Charlie enchaîné, qui a voulu en savoir plus sur les conditions de cette prestation. Le site Internet de Destination Media regorge en effet d’un jargon marketeux qui en rebuterait plus d’un. À la rubrique « Notre mission », par exemple, on peut lire que « la mission de Destination Media (…) c’est de conseiller [l’éditeur] sur les différents paramètres de son mix ». Pour cela, le prestataire propose une « analyse synthétique du fonds d’études ad-hoc ou collectives disponibles chez les éditeurs », vantant par ailleurs « la réactivité et l’adaptabilité d’une structure à taille humaine » que constituerait son entreprise…
La gamme de conseils proposés à la presse par Destination Media comprend une « recommandation sur la politique de couverture ». Est-ce à dire que la une de Charlie Hebdo serait désormais choisie par le prestataire externe ? « Personne ne se mêle de la ligne de Charlie », rassure la direction de l’hebdomadaire, questionnée sur cette collaboration. Le jargon employé par l’entreprise de conseil sur son site Web « n’est destiné qu’à se faire mousser. » Le périmètre d’intervention de la boîte — nous pouvons aussi jargonner ! — se cantonne « à mieux distribuer et mettre en place Charlie afin de limiter les retours et donc de réaliser de substantielles économies », précise le journal, qui ajoute que le montant de la prestation est « confidentiel ».
Destination Media ne réalisera donc pas d’« analyse du marché concurrentiel » et ne fera aucune « préconisation sur le prix de vente » ni « sur le choix des dates de sorties » de Charlie Hebdo. Ouf ! Mais le prestataire, qui parle d’une « réorganisation de l’hebdomadaire autour d’équipes resserrées », ne laisse-t-il pas présager un cortège de départs volontaires, voire une vague de licenciements économiques, comme c’est le cas pour de nombreuses entreprises en cette période ? Le rédacteur du communiqué s’est un peu laissé emporter. « Il n’y a aucun plan social en vue à Charlie », annonce la direction du journal.